La déchéance de la nationalité française, évoquée par le ministre de l’intérieur au printemps pour « sanctionner » un individu accusé de polygamie et de fraude aux aides sociales, reviendra sûrement dans le débat public lors de l’examen du projet de loi Besson à l’automne. Cette notion, définie dans des termes extrêmement précis par le code civil, ne doit pas devenir un mode de gestion des questions qui se posent à la société française.
Alors que le Parlement est saisi d’un énième projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, porté par Eric Besson et qui sera discuté à l’automne, la question de la déchéance de la nationalité, dont on a beaucoup parlé au printemps dernier, pourrait revenir sur le devant de la scène à l’occasion de l’examen de ce texte.
La déchéance est une modalité bien précise de perte de la nationalité française qui ne concerne que les personnes devenues françaises par acquisition, quel que soit le mode d’acquisition de la nationalité (naturalisation, mariage…). Il en est fait de très rares applications chaque année.
Placée sous les feux de l’actualité par « l’affaire de Nantes » dans laquelle le ministre de l’intérieur a mis cette possibilité en avant pour « sanctionner » le comportement d’un Français de religion musulmane, ce dispositif ne peut, en droit, être mobilisé que lorsque des faits suffisamment graves ont été relevés. Les conséquences sont en effet lourdes puisque la personne concernée est exclue de la communauté nationale et perd ses droits civiques, comme le droit de vote.
Après les épisodes parmi les plus sombres de l’histoire de France – la loi du 22 juillet 1940 avait conduit à réexaminer toutes les acquisitions de la nationalité et 15000 personnes avaient perdu leur nationalité - , le législateur a cherché à encadrer les cas dans lesquelles une telle décision peut être prise.
L’état du droit est clair et le gouvernement l’a manifestement méconnu : la polygamie, ou le fait d’imposer le voile intégral à une femme, n’est pas une hypothèse dans laquelle la déchéance de la nationalité peut être décidée et le gouvernement a fait preuve d’une hâte coupable en maniant une telle menace.
La polygamie, si elle est démontrée, peut être sanctionnée et elle permet de s’opposer à la délivrance d’un titre de séjour pour un étranger ou même à l’acquisition de la nationalité ; mais la déchéance de la nationalité, dont les conséquences sont plus graves, ne doit pas devenir un mode de gestion de ces sujets de société. Le Parlement doit résister à la tentation d’inscrire dans le code civil des dispositions de circonstances qui ouvriraient la porte à des manipulations. Car, après la polygamie, cette brèche pourrait être exploitée dans des directions dangereuses. La déchéance de la nationalité doit rester strictement limitée aux cas où la Nation est, d’une manière ou d’une autre, mise en danger.
Le code civil prévoit depuis 1804 les règles essentielles permettant d’acquérir la nationalité française (naturalisation, acquisition par mariage…) ou conduisant à sa perte, soit à la demande de la personne concernée, soit à l’initiative du gouvernement. Pour mémoire, plus de 140 000 personnes acquièrent chaque année la nationalité française, toutes procédures confondues. Le code civil prévoit également différentes procédures conduisant à la perte de la nationalité, ce qui emporte des conséquences graves (perte des droits civiques comme le droit de vote, dans certains cas aussi perte de l’emploi…).
La déchéance de la nationalité, très peu employée, correspond à des cas dans lesquels l’intérêt national est en jeu et qui ne correspondent en rien aux hypothèses envisagées par le gouvernement. Quelques semaines après que la burqa a occupé le devant de la scène médiatique, le Parlement, à nouveau saisi d’un texte sur les droits des étrangers, l’intégration et la nationalité, doit résister à la tentation d’ouvrir une brèche dans une construction solide et équilibrée. La déchéance de la nationalité ne doit pas devenir un mode de gestion des questions qui se posent à la société française.