Déficit et chiffrages : le chiffrage difficile du candidat expert
Il est pour certains coutume de considérer un peu vite que la droite est sérieuse avec le budget de l’Etat et la gauche, irresponsable et dépensière. Il est pourtant intéressant de confronter le favori des sondages et des médias à ses propos imprudents et à son propre bilan. N’est-il pas un expert passé deux fois par Bercy, dans les gouvernements Balladur en 1993 puis sous Raffarin en 2003 ? Depuis 1978, sur les dix années où le déficit a été supérieur à 3%, huit sont imputables à la droite, dont les quatre plus fortes, et deux à la gauche.

Partons des 50 milliards (chiffrage du programme par le candidat en janvier), puis de la promesse de restituer 68 milliards d’Euros aux contribuables (devinez lesquels) soit une diminution de 4% du taux des prélèvements obligatoires. Aujourd’hui, il faut que Thierry Breton, François Fillon reprennent les choses en main et communiquent au maximum pour donner de la crédibilité à la somme de promesses sans avoir l’air de démentir le candidat et... sans que la grande presse ne s’en étonne trop.
"Nous poursuivons massivement le plan de désendettement" pour passer à "moins de 60% (du PIB) sur l’année 2010", nous dit Thierry Breton.
Sarkozy commencera la baisse des prélèvements obligatoires après 2010, selon Breton dans La Tribune.
Sarkozy promet, ses conseillers disent "oui, mais..." dans Libération.
Le déficit et la dette : petit rappel utile
Mais vous souvenez-vous de ce premier ministre (Raffarin), qui dénonçait la limite des 3% de déficit qui avait fait l’objet d’un accord européen. Si la dette s’est construite petit à petit depuis trente-et-un ans, les années et les gouvernements ne sont pas équivalents, gestion de droite et gestion de gauche diffèrent.
Consultons Le Figaro du 13 février ; à la une : "La dette et les déficits s’imposent dans la campagne", les photos des ministres des Finances depuis 1996, et les mesures du déficit public sont présentées. Entre 1997 et 2000, DSK et C. Sautter avaient réduit de moitié ce déficit, de 3,5% à 1,5% du PIB. Il est resté à 1,5% en 2001 (Fabius). Et puis il est remonté brutalement de 1,5% à 4,2%, un quasi-triplement entre 2001 et 2003 (Mer), 2004 (Sarkozy, 3,7%) et un recul entre 2004 et 2006, où il est à 2,6% (Breton) (cf. Wikipedia plus d’informations sur la dette publique de la France).
L’exercice du Figaro a le mérite d’aider à y voir plus clair sur la manière dont le déficit s’est creusé ; le propos aurait pu être plus complet s’il avait démarré l’analyse cinq ou dix ans plus tôt, mais voilà, de 1993 à 1995, le déficit s’est aggravé de façon spectaculaire en montant à 3,5% lorsqu’un certain Sarkozy était à Bercy, secrétaire d’Etat au budget. Et c’est dix ans plus tard, avec Sarkozy ministre des Finances, que la dette de la France a explosé, en 2003, pour passer le cap des 1000 milliards d’euros. Cette année-là, le déficit public avait représenté 4,2 % du PIB. Depuis 1978, sur les dix années où le déficit a été supérieur à 3%, huit
sont imputables à la droite, dont les quatre plus fortes, deux à la gauche.
Plus cocasse encore, pour cette majorité sortante, et cela devrait faire réfléchir, la promesse du candidat Chirac avait été de faire baisser le taux de prélèvements obligatoires. Les impôts directs ont bien diminué entre 2002 et 2007, alors même que la dette a augmenté de 300 milliards d’euros depuis l’alternance Jospin-Raffarin. Cependant le taux de prélèvement a tout de même augmenté de 44% à 45% par la montée d’autres prélèvements pesant sur le salarié. Autrement dit, les gouvernements de Raffarin et Villepin ont allégé les charges des contribuables les plus favorisés au détriment de ceux qui le sont moins, et surtout de ceux qui viendront après. En quoi ces cadeaux ont-ils été productifs, alors que le nombre net de créations d’emploi a été pendant ce quinquennat de l’ordre de 200 000 contre 1,8 millions les cinq années précédentes ?
Le candidat et sa majorité éprouvent donc une difficulté à montrer leur bilan. Ils déplacent le "débat" et l’attention des médias sur les promesses générales du candidat.
"Il y a le chiffrage, mais il y a, surtout, le raisonnement"
Le candidat devrait nous dire : Je compte déplacer le poids de la fiscalité sur la TVA, ou bien sur une fiscalité locale, ou bien... je compte retirer 20 000 ou 100 000 postes d’enseignants ou d’infirmières sur cinq ans. Pour l’instant, on entend un tonitruant ; "On ne remplacera plus que la moitié des fonctionnaires partant à la retraite", sans que soient indiqués quels postes, quelles fonctions, dans quels secteurs. Compte-t-il poursuivre la détérioration de l’enseignement public (et de la recherche), faire évoluer le système d’assurance-santé vers le modèle états-unien ?
Cette technique du glissement vers des affirmations générales et floues qui en appelle au portefeuille de l’électeur fortuné et aux maigres espoirs de ceux qui sont moins bien lotis, est portée sans retenue par la droite américaine et des communicants chevronnés.
C’est ainsi que les républicains états-uniens ou la droite berlusconienne sont parvenus à rallier une partie des classes populaires victimes de leur politique de démolition des services sociaux et de l’Etat. Jusqu’à leur vendre une guerre où ils perdront leurs enfants.
"Chacun de vous sait mieux que l’Etat comment dépenser votre argent", disait Reagan en 1984. "Je vais rendre 1500 $ par famille", disait Bush en 2000, "Vous devez en avoir pour votre argent", répond en écho Sarkozy en 2007.
Sarkozy dit : "Je vais faire une réforme fiscale", mais il ne dit pas ce qu’il veut faire. Touchera-t-il à la TVA, comme le fit le gouvernement Juppé (passage de 18,6 à 20,6%, ramenée à 19,6% par le gouvernement Jospin). Jusqu’où veut-il diminuer le poids de l’impôt sur le revenu, les droits de succession, l’impôt sur les bénéfices, l’ISF ? Plus le traitement préférentiel des stock-options, le bouclier fiscal... pour protéger les plus aisés. Quant au coût de l’allégement envisagé des charges et de la fiscalité sur les heures supplémentaires (4 à 5 milliards d’euros), il est aussi occulté, alors que cette mesure favorise certes le pouvoir d’achat de gens très honorables, mais n’a aucune efficacité économique et encore moins d’efficacité sociale.
Eric Le Boucher, dans Le Monde du 11 février, (Sarkozy : "M. Mitraillette") le souligne : "Cette trouvaille ne servira à rien, directement, pour réduire le chômage. Au contraire, elle est favorable à ceux qui ont les emplois, les insiders. Mais son plus gros défaut est que les heures supplémentaires n’existent en quantité qu’en cas d’accélération de la croissance, mais qu’elles fondent en cas de recul." Le candidat déclare pour le justifier : "Il faut savoir que les allégements de charges et d’impôts sur les heures supplémentaires amèneront des recettes de TVA." Or si des chômeurs bénéficiaient de propositions d’emploi, ils seraient eux aussi enclins à participer à la consommation et à ces recettes de TVA. Curieusement Sarkozy ne le dit pas.
Car il préfère diviser, montrer du doigt. Comme si la caissière de supermarché, ceux et surtout celles qui n’ont que des emplois à temps partiel sans l’avoir choisi ne souhaitaient pas avoir plus d’heures en continu dans leur emploi du temps. Ce n’est pas elle qui demande un emploi du temps en morceau de gruyère. Ce n’est pas le cadre ou l’ouvrier licencié qui choisit d’être exclu du travail. Sarkozy ramène le chômage comme d’autres la maladie à des défaillances morales chez des individus montrés du doigt. Souhaitons-nous dans cette phase difficile de mutations nécessaires aggraver le côté sauvage de la vie économique et sociale par cette opposition des uns aux autres, et en particulier par l’ostrascisation des jeunes et des banlieues ? Lorsqu’il est mis en difficulté sur le côté fantaisiste de ses chiffrages successifs, il répond, dans Les Echos du 18 février : “Il y a le chiffrage, mais il y a, surtout, le raisonnement. Ma stratégie est de penser que nous réduirons nos déficits et notre dette le jour où nous réhabiliterons le travail.”
Valeur travail ? Les aides à la création d’entreprise, les mécanismes d’accompagnement mis en œuvre par des associations, la non-imposition des bénéfices réinvestis valent mieux que la création de rentes sociales protégées par la suppression des droits de succession.
Difficile démocratie à l’heure des médias. Ceux-ci ne doivent-ils pas aider à chiffrer, à donner suite aux affirmations, à contraindre les candidats à un discours responsable ? Là-dessus, la dénonciation par François Bayrou du déficit et la volonté de Ségolène Royal de s’attaquer à la dette publique sont salutaires et forcent l’UMP à mettre au clair sa doctrine... ou son projet. A moins que le candidat-ministre-communicant ne veuille pas - dans ce domaine comme dans celui de la violence- s’appuyer sur les chiffres dès qu’il lui sont défavorables.
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