Des sondages en démocratie
La main de Panurge
D'un côté, les instituts de sondages, ou plutôt les médias qui relaient l'information, annoncent que Hollande est crédité de 30 %, Sarkozy de 23 %, Le Pen de 20 %, Bayrou de 13 %, Mélenchon de 9% et ainsi de suite. Puis ils affirment dans le même temps que 48% des Français n'ont pas encore fait leur choix.
Cela signifie que les 30%, 23% etc. s'appliquent en fait aux gens qui ont exprimé leur choix, soient 52% des sondés.
Or, 30% + 23% + ... = 100%.
D'un pur point de vue logique et mathématique, il vaudrait mieux présenter les choses comme suit :
48% d'indécis ;
Hollande 15,60% d'intentions de vote (52% de 30%) ;
Sarkozy 12% (52% de 23%) ;
et ainsi de suite.
Cela mettrait en valeur le réservoir de citoyens qu'il reste à convaincre d'une part et relativiserait le "poids" réel des candidats d'autre part.
En fait, si l'on y regarde de plus près, ce prisme déformant est de même nature que celui qui a consisté à supprimer les votes blancs ou nuls des comptabilités électorales. En se recentrant sur les bulletins exprimés, on évacue tous ceux qui se déplacent aux urnes pour signifier qu'aucun des candidats ne leur convient. Si bien que meilleur moyen d'être visible pour ces citoyens est de s'abstenir, car au moins, les médias parlent de l'abstention, ne serait-ce que tout au long de la journée électorale. Mais alors, ces citoyens qui sont fondamentalement républicains puisqu'ils se seraient déplacés aux urnes sont jetés dans le même sac que les "dépolitisés".
On voit bien que derrière ces prismes déformants il y a la marque de l'oligarchie. Une forte abstention ne les dérange pas (bien au contraire ; si le peuple ne se mêle pas de politique, c'est tant mieux pour eux car ils peuvent faire leurs petites affaires tranquillement) du moment que les apparences sont sauves.
Pour revenir au cas des sondages, ce prisme joue également comme instrument d'injonction à se conformer à la tendance lourde, au mouvement de masse, qui est en fait un mouvement de pseudo-masse. Et c'est là que les sondages jouent pleinement leur rôle d'arme de manipulation massive.
L'école de Palo Alto, créée par Gregory Bateson dans les années 50, a étudié les phénomènes de psychologie des masses (à travers une démarche intellectuelle systémique) et mis en place des expériences démonstratives dont on peut trouver quelques descriptions dans le livre de Paul Watzlawick "La réalité de la réalité".
Edward Bernays (neveu de Sigmund Freud) a quant à lui écrit un guide pratique de la manipulation des masses en démocratie intitulé "Propaganda" et publié en... 1928. Cet essai a été réedité en 2007 chez Zones avec une préface de Normand Baillargeon.
La lecture de ces deux ouvrages agréables à lire permet, sans tomber dans la paranoïa ni la théorie du complot, d'avoir un regard critique et analytique de la façon dont on nous présente les résultats des enquêtes d'opinion... et si l'on est un esprit libre de ne pas se laisser abuser ni impressionner par les sondages tels qu'ils nous sont présentés... et ainsi voter pour ses convictions. Car le vote utile pour la démocratie consiste à exprimer ses idées tandis que répondre à l'injonction des instituts de sondages est un vote utile... pour l'oligarchie !
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