Désordres dans l’espace politique français
Tout le monde s'y retrouverait beaucoup mieux, si en votant pour un parti de gauche, on était sûr de voter pour un parti qui par ses actes concrets, privilégie la lutte contre le chômage (et donc les dépenses d'investissements), et la rémunération du travail (salarié, indépendant, ou entreprenarial), plutôt que la rémunération de la propriété du capital (immobilier, financier ou actionnarial). Pour cela il faudrait que les « valeurs » des partis de gauche telles qu'ils les conçoivent, soient en phase avec les intérêts que la gauche devrait défendre par ses actions concrètes. Ou pour le dire avec les mots de Marx, il faudrait que dans la pensée des partis de gauche, ce qui est de l'ordre de la « superstructure » (leurs « idéologies », ou leurs conceptions des « valeurs » auxquelles ils adhèrent), soit en phase avec les intentions qu'ils devraient avoir en matière « d'infrastructure » (les intentions qu'ils devraient avoir concernant l'organisation économique concrète, et donc les intérêts qu'ils devraient servir objectivement).
Or justement, dans l'espace politique français d'aujourd'hui, les électeurs ont bien du mal à distinguer la gauche et la droite, et cela se comprend parfaitement, puisque les partis de gauche ont beau affirmer leur adhésion à des « valeurs de la gauche », la plupart d'entre eux n'en sont pas moins objectivement au service du capital, bien plus qu'au service de l'emploi et du travail. D'énormes manques de lucidité les ont en effet conduits à concevoir les « valeurs de la gauche », de telle manière qu'elles leur commandent de privilégier objectivement par leurs actes les revenus du capital aux revenus du travail et aux investissements ! Histoire d'embrouiller encore plus les choses, l'extrême droite voyant que la plupart des partis de gauche ne sont objectivement plus au service des classes modestes et moyennes, et voyant que celles-ci s'en sont aperçues, a décidé depuis peu de préconiser des mesures qui privilégient l'emploi et les revenus du travail, en espérant que les classes moyennes et modestes reconnaitraient leur intérêt là où il est. Avec d'ailleurs un certain succès, grâce aussi à l'appui du système médiatique, qui sait bien que les votes pour l'extrême droite sont stériles.
Au final, si on classe les courants politiques de gauche à droite selon les « valeurs » auxquelles ils disent adhérer, alors on les obtient dans leur ordre naturel. L'extrême gauche dit adhérer aux « valeurs » les plus à gauche, puis vient la gauche radicale, puis la gauche modérée, puis la droite gaulliste, puis la droite libérale, puis vient enfin l'extrême droite qui dit adhérer aux « valeurs » les plus à droite. Mais si on classe les courants politiques de gauche à droite selon qu'ils soient objectivement plus au service de l'emploi et du travail, ou plus au service du capital, alors l'ordre des partis est complètement chamboulé ! La gauche radicale est objectivement le plus au service de l'emploi et du travail, puis vient la droite gaulliste, puis l'extrême droite, puis l'extrême gauche, puis la gauche modérée, et enfin la droite libérale qui est objectivement le plus au service du capital. Les deux courants qui alternent au pouvoir, gauche modérée et droite libérale, sont donc les deux courants qui sont objectivement le plus au service du capital. Comme par hasard...
Tout cela est illustré par le graphique suivant, qui place les courants politiques sur un espace à deux dimensions, la dimension horizontale étant celle des « valeurs » auxquelles les partis disent adhérer, et la dimension verticale étant celle des intérêts qu'ils servent objectivement. Plus un courant dit adhérer à des « valeurs » de gauche et plus il est placé à gauche sur le graphique. Et plus un courant est objectivement au service de l'emploi et du travail, plutôt qu'au service du capital, et plus il est placé en bas sur le graphique. Si les « valeurs » des courants telles qu'ils les conçoivent, étaient en phase avec les intérêts qu'ils devraient objectivement défendre, alors les courants se positionneraient le long de la diagonale qui part d'en bas à gauche et va vers le haut à droite : plus un parti serait à gauche (dirait adhérer à des « valeurs » de gauche), et plus il serait en bas (serait au service du travail et de l'emploi). Une flèche représente un déplacement d'un courant, de la position qu'il devrait avoir, vers la position qu'il a effectivement ; et une flèche est étiquetée par la raison du déplacement qu'elle représente : un manque de lucidité pour un courant de gauche, ou une opération séduction adressée aux classes modestes et moyennes pour l'extrême droite.
L'espace politique français d'aujourd'hui, sur deux dimensions : « valeurs » et intérêts objectivement servis.
Dans la suite je complète cette vision de l'espace politique français (vision très empreinte de ma subjectivité, qui est proche de la gauche radicale et de la droite gaulliste, ou encore, du « souverainisme » de gauche ou de droite gaulliste). Je décris (toujours aussi subjectivement), chacun des six courants que j'ai distingués dans cet espace : les partis qui lui appartiennent, ses « valeurs » telles qu'il les conçoit, les raisons pour lesquelles on peut dire qu'objectivement, il est plutôt au service de l'emploi et des revenus du travail, ou plutôt au service des revenus du capital, et quand c'est le cas, les raisons pour lesquelles ses « valeurs » telles qu'il les conçoit ne sont pas en phase avec les intérêts qu'il devrait objectivement défendre.
La droite libérale.
Partis de droite libérale : UMP (Sarkozy), Nouveau Centre (Morin)
Parti qui donne parfois l'impression d'appartenir à la droite libérale, tout en donnant parfois aussi l'impression d'appartenir à la gauche modérée : Mouvement Démocrate (Bayrou).
La droite libérale est, de par ses « valeurs », au service de l'intérêt du capital. C'est elle en effet qui s'adresse aux français les plus riches en leur disant explicitement qu'elle défendra leurs intérêts, et en maintenant avec eux une relation de confiance, par des choix qui les avantagent et les protègent. Avec l'aide du système médiatique, elle peut aussi s'adresser à d'autres électorats (de droite gaulliste ou d'extrême droite) pour être élue, mais elle s'adresse à ces derniers beaucoup plus par les discours que par les actes.
Quand elle est au pouvoir, les intérêts qu'elle sert objectivement sont en phase avec ses « valeurs ». Elle est favorable à l'exposition des travailleurs français à une concurrence portant sur le critère du coût du travail, avec les travailleurs des pays pauvres et émergents, par une désactivation des frontières par rapport aux mouvements de biens (« libre-échange »), de capitaux, ainsi que, dans une certaine mesure, de personnes. Cela met les travailleurs exposés à cette concurrence, souvent peu qualifiés, au chômage, ou exerce sur leurs revenus une pression à la baisse. Mais cela profite aux travailleurs non exposés à la concurrence des pays pauvres et émergents, et aux détenteurs du capital, grâce au plus bas prix des biens fabriqués par des travailleurs payés moins cher, et grâce au meilleur rendement des placements et investissements directs dans des entreprises qui paient le travail moins cher.
La droite libérale est favorable à une politique monétaire « monétariste » (néo-libérale), qui restreint le crédit, et donc raréfie le capital, ce qui lui donne plus de valeur et de rendement, mais qui en même temps rend plus difficile pour les entreprises d'obtenir des financements pour leurs investissements, ce qui n'est pas bon pour l'emploi.
Elle est favorable à la dérèglementation du système financier, ce qui permet aux spéculateurs de gagner de l'argent sans avoir à gérer des risques, mais qui rend le crédit moins disponible pour financer des investissements.
Elle est favorable à la dérèglementation du marché du travail, ce qui affaiblit les salariés face à leurs employeurs.
Elle est favorable à la privatisation et dérèglementation de secteurs comme l'énergie, les transports ou la grande distribution, ainsi qu'à la dérèglementation du secteur immobilier, ce qui augmente les loyers, marges, marges arrières et donc prix.
Enfin, elle est favorable à ce que les impôts soient bas, particulièrement pour les plus riches (en proportion du revenu).
Chômage de masse, manque de moyens de l'État, plus bas revenus pour la majorité des travailleurs, hauts loyers et prix augmentés par des hautes marges et marges arrières, mais enrichissement des plus riches, sont les conséquences logiques des choix qu'elle préconise et fait quand elle est au pouvoir.
La gauche modérée.
Partis de gauche modérée : courants dominants du PS (Aubry, Royal, Hollande, Valls, Delanoë), Europe-Écologie (Duflot, Joly)
Parti qui donne parfois l'impression d'appartenir à la gauche modérée : Mouvement Démocrate (Bayrou)
Partis qui donnent parfois l'impression d'appartenir à la gauche modérée, tout en donnant parfois aussi l'impression d'appartenir à d'autres courants de gauche : « aile gauche » minoritaire du PS (Montebourg, Hamon), Parti de Gauche (Mélenchon), Parti Communiste (Laurent).
De par ses « valeurs », la gauche modérée devrait être beaucoup plus au service de l'emploi et des revenus du travail qu'elle ne l'est. Mais par manque de lucidité, elle conçoit certaines de ses « valeurs » de telle manière que celles-ci lui commandent d'être, objectivement, par ses actes, presque autant au service des revenus du capital que la droite libérale.
La conception que la gauche modérée a de « l'Europe », lui commande de ne pas envisager de sortir de l'euro, et de respecter les traités et directives européens, qui exigent le libre-échange, la liberté de circulation des capitaux, l'ouverture des frontières aux personnes même quand celle-ci est instrumentalisée par le patronat pour maintenir des salaires au plancher, une politique monétaire monétariste, et de nombreuses dérèglementations et privatisations.
La conception que la gauche modérée a de « l'Ouverture » au reste du monde, lui commande à nouveau de désactiver les frontières par rapport aux mouvements de biens et personnes et parfois capitaux. Pour la gauche modérée, il est donc bon en soi d'exposer les travailleurs français à une concurrence avec ceux des pays pauvres et émergents, qui porte sur le critère du coût du travail.
Enfin, une partie de la gauche modérée conçoit la « Liberté » de la même manière que les penseurs néo-libéraux, c'est à dire, comme le fait d'avoir peu d'impôts y compris sur les plus riches, peu d'entreprises nationalisées et autres interventions de l'État, des frontières désactivées et peu de règlementations à respecter, et une politique monétaire empreinte de monétarisme.
Par rapport à la droite libérale, la gauche modérée reste tout de même favorable à un peu plus de réglementation, un peu moins de privatisation, et des impôts plus importants pour les plus riches.
Mais cela n'empêche pas qu'engluée dans ses conceptions sans lucidité de certaines des « valeurs » qu'elle considère comme les siennes, la gauche modérée fait objectivement très peu de choses à côté de ce qu'il est possible de faire, pour lutter contre le chômage, ainsi que pour réduire les inégalités.
L'extrême gauche.
Partis d'extrême gauche : Nouveau Parti Anticapitaliste (Poutou), Lutte Ouvrière (Arthaud)
Parti qui donne parfois l'impression d'appartenir à l'extrême gauche : Parti Communiste (Laurent).
Que ferait l'extrême gauche si elle était au pouvoir ? Instaurerait-elle une économie communiste, où on mettrait vraiment tout l'appareil productif en commun ? Ou commencerait-elle par réformer peu à peu l'économie telle qu'elle est aujourd'hui ?
Toujours est-il que, si l'extrême gauche n'est ni peut-être pour le respect des traités européens, ni assurément pour une conception néo-libérale de la « Liberté », elle conçoit souvent « l'Ouverture » avec le même manque de lucidité que la gauche modérée : la conception qu'elle a de cette « valeur » lui fait souvent considérer comme bonne en soi, l'exposition des travailleurs français à une concurrence portant sur le coût du travail, avec les travailleurs des pays pauvres et émergents.
A part ça, l'extrême gauche est pour beaucoup de règlementations, nationalisations, et impôts pour les plus riches, et surement aussi une politique monétaire keynésienne, facilitant le crédit pour l'investissement.
L'extrême droite.
Partis d'extrême droite : FN (Le Pen), Parti de la France (Lang).
Longtemps l'extrême droite a été aussi libérale que le droite libérale sur les sujets économiques, voire même plus : en voulant encore moins d'impôts et de règlementations, sauf sur l'ouverture des frontières aux personnes, et en ayant une idée de la politique monétaire encore plus monétariste que le monétarisme, avec le retour à l'étalon or.
Mais depuis un certain temps une grande partie de l'extrême droite change sa doctrine économique, pour l'adapter aux intérêts des salariés des classes modestes et moyennes. Au moins dans les discours, si ce n'est pas aussi dans un programme économique sérieux, l'extrême droite se rapproche des programmes de droite gaulliste et de gauche radicale.
Toute l'extrême droite garde comme particularité d'être pour la « préférence nationale », c'est à dire pour que les étrangers résidant et travaillant en France ne bénéficient pas autant que les français de la solidarité nationale française.
C'est donc par ses idées sur la société française, bien plus que par ses idées économiques, que l'extrême droite se particularisait hier et se particularise aujourd'hui.
La droite gaulliste.
Partis de droite gaulliste : Debout La République (Dupont-Aignan), Union Populaire Républicaine (Asselineau).
La droite gaulliste a une conception du « Mérite » par le travail, qui justifie que le partage de la richesse entre détenteurs du capital et salariés soit un peu moins en faveur des salariés, que ce qu'il devrait être aux yeux d'une gauche telle qu'on l'imagine. Le « Mérite » par le travail, ce n'est pas seulement le temps de travail ou l'effort, mais aussi les responsabilités exercées, la difficulté de la tâche, le travail d'apprentissage plus ou moins difficile de la tâche. La droite gaulliste n'aime pas non plus qu'il y ait des aides trop abondantes pour les chômeurs, et sans au moins une contrepartie.
Mais contrairement à la droite libérale, de par sa conception du « Mérite » par le travail, ainsi que de par sa conception élevée de « la France » et de son peuple, la droite gaulliste fait passer la croissance, la prospérité du pays, et la lutte contre le chômage, avant les intérêts des détenteurs du capital. Il faut attendre des gens qu'ils travaillent, mais pour être juste il faut le leur permettre. Aux yeux de de Gaulle, les intérêts des détenteurs du capital sont bien moins importants que la grandeur de « la France » et de son peuple, qui passe par la prospérité de la France et par l'activité méritante, et non l'inactivité, du peuple français. Et puis, la droite gaulliste a une conception plutôt généreuse de « la France », qui lui commande de faire en sorte que chaque membre du peuple français, y compris les salariés, aient quand même une plutôt bonne condition, et de faire en sorte que chaque membre de ce peuple trouve sa place dans l'appareil productif. Selon la légende, de Gaulle aimait profondément la France et le peuple français, et avait une haute idée de lui même qui lui commandait de se comporter de manière honnête et loyale. Richelieu, Louis XIV, Colbert ou Napoléon, sont d'autres icônes qui passent pour ne pas avoir été particulièrement de gauche, tout en ayant été très étatistes.
Et contrairement à la gauche modérée, la droite gaulliste n'a pas une conception de telle ou telle « valeur », qui lui commanderait de faire le contraire de ce qu'on attend d'elle. Sa conception de « l'Europe » ne lui commande pas de faire ce que disent aujourd'hui de faire les traités européens, ce qui lui permet d'être pour une activation des frontières par rapport aux mouvements de biens (« protectionnisme »), de capitaux et de personnes, et donc une protection des travailleurs français par rapport à la concurrence sur le coût du travail avec les pays émergents. Elle parvient aussi à être pour une sortie de l'euro et une politique monétaire plus keynésienne, pour une réglementation et nationalisation partielle du système financier, et des secteurs comme l'énergie, les transports, la grande distribution, ou l'immobilier.
Toutes ces mesures devant avoir pour effet de relancer efficacement la croissance, lutter efficacement contre le chômage, et de réduire les inégalités qui aujourd'hui sont très marquées.
Sa conception de « l'Ouverture » et de la « Liberté » ne lui interdisent pas non plus ces choses. En matière « d'Ouverture », la droite gaulliste préfère aider les habitants des pays pauvres par des aides pour qu'ils développent leur propre appareil productif, plutôt qu'en permettant à certains habitants des pays pauvres de venir s'intégrer dans l'appareil productif français pour pas cher, surtout lorsque cette immigration est instrumentalisée par le patronat pour maintenir des salaires au plancher, et aggrave une situation de chômage de masse.
La gauche radicale.
Partis de gauche radicale : Mouvement Républicain et Citoyen (Chevènement), Mouvement Politique d'Éducation Populaire (Nikonoff).
Partis qui donnent parfois l'impression d'appartenir à la gauche radicale : « aile gauche » minoritaire du PS (Montebourg, Hamon), Parti de Gauche (Mélenchon), Parti Communiste (Laurent).
Comme la gauche modérée et l'extrême gauche, la gauche radicale veut réaliser les conditions du bonheur des français, et donc lutter contre le chômage et les inégalités.
Mais contrairement à ces deux autres courants de la gauche, la conception qu'elle a de « l'Europe », de « l'Ouverture », et de la « Liberté » ne lui commandent pas de faire le contraire de la poursuite de cet objectif très terrestre de « changer la vie » des français. Comme l'extrême gauche, elle ne conçoit jamais la « Liberté » de manière néo-libérale. Et elle est prête à faire à peu près tout ce que la droite gaulliste est prête à faire, parfois quand même avec moins de franchise, plus de négociations ou de flou : protectionnisme, politique monétaire keynésienne, règlementations, interventions de l'Etat voire nationalisations, réforme profonde voire sortie de l'euro. Elle a tout de même plus de mal que la droite gaulliste à voir l'immigration comme un possible instrument de maintien des salaires au plancher et facteur d'aggravation d'une situation de chômage de masse.
Par rapport à la droite gaulliste, elle a aussi un projet de partage de la richesse entre salariés et détenteurs du capital qui soit plus en faveur des salariés, et elle est prête à taxer un peu plus les plus riches. Un projet qui plait à la gauche radicale est aussi celui des entreprises coopératives : permettre aux travailleurs qui en sont capables et le veulent, de posséder eux-mêmes, de manière collective, les entreprises dans lesquelles ils travaillent, et de gouverner de manière démocratique ces entreprises.
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