Dette : effaçons l’ardoise !
« La banqueroute est nécessaire, une fois tous les siècles, afin de mettre l'État au pair ; et le Roi ne risque rien à emprunter, car il est le maître de ne plus payer les anciennes rentes quand elles ont été servies assez longtemps. » (Abbé Terray, contrôleur général des finances du Royaume de France, 1769).
« Il faut payer la dette ! », tel est le mantra que nous serine jusqu'à plus soif le clergé des grands médias, et l’orchestre va explorer ses gammes de plus belle à mesure que se profilent les présidentielles… Le règlement de la dette publique semble être devenu un impératif moral catégorique pour tous les VRP médiatiques et politiques du système financier. « Régler la douloureuse », c'est ce que devraient faire en premier ressort les responsables politiques du pays. Face à cette obsession comptable, la situation économique et sociale du peuple français ne tient que pour quantité négligeable dans la balance des priorités nationales.
La vraie question à se poser vis-à-vis de la dette publique est « comment ne pourrait-on pas ne pas la payer ? ». Le bon sens – hélas rare en économie – suffit pourtant à constater qu’au regard du montant colossal de cette dette et de la croissance économique atone de ces dernières années, l'État français NE POURRA PAS la rembourser ; il pourra (s’)essayer à la rigueur, avec des conséquences désastreuses pour nous tous. La stratégie de tout dirigeant sensé et soucieux du bien-être du pays devrait être de trouver les meilleurs moyens de se débarrasser de la dette publique, afin de s’atteler à solutionner des problèmes bien plus urgents. Nous essaierons donc ici de ménager quelques chemins dans ce sens.
Repères sur la dette publique française
Pour commencer, prenons la mesure de ce qui angoisse tant nos chers éditorialistes. La dette publique est la somme de tous les emprunts contractés par l'État, les collectivités territoriales et les organismes publics, notamment la Sécurité sociale. La dette publique est un fait logique. Chaque pays, chaque région, chaque ville a besoin de fonds propres pour financer des investissements, qui sont le fondement de l'action publique. Pour disposer de ces fonds propres, l'État peut attendre d'accumuler suffisamment de trésorerie par le prélèvement d'impôts et de taxes. Mais ce faisant, il prendrait alors un retard préjudiciable, notamment pour l'équipement, le renouvellement, l'amélioration de structures publiques, qui permettent de renforcer les capacités productives du pays. Ainsi, pour éviter d'agonir la population et les entreprises sous une fiscalité confiscatoire, l'emprunt, encadré par certains gardes-fous, est la pratique la plus légitime et efficace qui soit.
En allant glaner quelques données sur le site de l’Insee, on peut voir que la dette publique française s’élevait au 2ème trimestre 2016 à 2170 milliards d’euros, soit 98,4% du PIB. Fin 2015, la dette se répartissait comme suit :
Comment fonctionne l’achat de la dette publique ? Il est géré par l’Agence France Trésor (AFT) qui place les emprunts d'État sur les marchés obligataires (marchés sur lesquels se négocient et s’achètent les dettes publiques des états). Trois types de titres sont proposés aux créanciers : les obligations assimilables au Trésor (OAT), émises pour une durée minimale de 5 ans et dont certaines courent sur 50 ans ; les BTAN, bons du Trésor d’une durée de 2 à 5 ans ; les BTF, émis pour une période de quelques semaines.
Qui détient la dette publique ? Avec la généralisation du trading à haute fréquence (opérations financières réalisées en quelques microsecondes), plus de 10 milliards d’euros de dette française changent de main chaque jour. Par ailleurs, de nombreux titres ont été achetés indirectement via des montages financiers particulièrement tordus. Ainsi, il est bien souvent compliqué de connaître les véritables propriétaires de la dette ; la Commission des Finances le reconnaît elle-même : « la rapidité avec laquelle les titres sont échangés et l'internationalisation des marchés, avec de nombreux intermédiaires, compliquent la recherchent. » 1… Entre nous, rembourseriez-vous une somme si vous ne saviez pas vraiment à qui vous la devez ? Premier problème, qui ne joue pas en faveur de nos amis créanciers.
Fait notable dans la détention2 de la dette française : la prédominance des non-résidents (62%), qui peuvent être des étrangers ou des français résidant à l’étranger. La moitié d'entre eux se trouvent dans des pays de l'Union européenne, l'autre moitié en dehors. Il peut s’agir de fonds de pensions, d’assurances, de fonds spéculatifs, de banques ou encore de fonds d’investissement souverains (banques centrales). C’est chez ces non-résidents que l’identité réelle des créanciers est la plus trouble et demanderait une clarification. Nous y reviendrons.
Parmi les détenteurs franco-français de la dette, on trouve en premier lieu des assurances (telles qu’AXA Investment, Allianz Global Investors, MMA Finance, CNP Assurances, MATMUT…). Ces dernières utilisent notamment les emprunts d'État pour garantir leurs placements d’assurance-vies. 9% des titres de la dette sont détenus par des banques françaises (telles que CM-CIC AM ou BNP Paribas AM). Les OPCVM sont des organismes de placement de l'épargne de particuliers sur les marches financiers. Quant aux autres possesseurs de titres de la dette... Inconnus au bataillon ! la Banque de France refuse d'en dire davantage. On peut toutefois affirmer sans trop se mouiller que ces créanciers de l'ombre n'appartiennent pas à la catégorie des « sans-dents » !
Les taux d'intérêts historiquement bas auxquels se monnayent la dette française (0,37% en 2016)3 ne doivent pas nous faire oublier l'importance de la charge de dette : de 44 milliards d'euros en 2016, elle représente le deuxième poste de dépenses pour l'État.
La loi du 3 janvier 1973
Cette loi4 votée sous la présidence Pompidou a organisé la vente sur les marchés financiers des titres de la dette française. Auparavant, la France finançait sa dette par l'achat de bons du trésor par la Banque de France. En quelque sorte, l'État se prêtait à lui même en assurant ses investissements grâce à sa propre banque centrale et ce à taux zéro ! Le seul risque de ce procédé était de générer une inflation excessive du fait du trop grand volume de monnaie injectée dans le circuit économique : c'est la fameuse « planche à billets ». La loi Pompidou-Giscard interdit donc à la Banque de France de prêter à l'État, qui doit recourir aux marchés financiers, ce qui fait exploser la dette publique en deux décennies.
Cette loi est abrogée en 1994 pour laisser la place aux règles du traité de Maastricht, entérinant l'interdiction pour tous les États membres de l'UE de se financer via leur Banque centrale. Par la loi de 1973, la France avait donc préparé sa servitude européenne...
La crise des subprimes
La faillite de la banque US Lehman Brothers à l'automne 2008 entraîne par effet domino la perte de milliers d'actifs par les banques françaises, particulièrement exposées. Le gouvernement français décide alors d'un plan de sauvetage ruineux de 360 milliards d'euros qui accroîtra d'autant plus la dette publique. Inutile de préciser que les banques ainsi sauvées ne font aucun cadeau à l'État quant aux prêts qu'elles lui accordent...
Une banqueroute française est-elle possible ?
Elle est non seulement possible mais inévitable. A plusieurs reprises dans son histoire5, notre pays s'est affranchi de son endettement grâce à divers mécanismes. Sous l'Ancien Régime, la confiscation des biens des plus grandes fortunes du Royaume étaient monnaie courante, ainsi que la réduction des taux d'intérêts. La dévaluation surtout fut l'arme préférée au siècle dernier pour réduire drastiquement le montant de la dette. On pense notamment à Poincaré, qui déprécia le Franc de 80%, réduisant l'endettement dans la même proportion.
Les choix qui s'offrent à nous
Le préalable absolu est un recouvrement de notre souveraineté qui nous laisse de véritables marges de manœuvres quant à la gestion de nos finances et de notre politique économique. Ce premier choix est simple est radical : la sortie de l'Union européenne et le retour à une monnaie nationale.
Nous savons grâce aux travaux de plusieurs économistes, Jacques Sapir6 en tête, que l'Euro handicape gravement l'économie française, et notamment ses exportations. La monnaie unique, trop forte, rend les produits français trop chers à la vente à l'étranger. Ceci explique en grande partie le cycle de chômage de masse et de désindustrialisation qui nous touche. Une monnaie nationale plus faible rendrait les produits français plus compétitifs à l'exportation.
Le nouveau Franc se situerait au départ à parité avec l'Euro, mais nous pourrions le dévaluer soit en le laissant flotter, soit en recourant à l'émission monétaire massive par la Banque de France. La dévaluation aurait le double avantage de relancer la machine productive et de réduire le volume de la dette. La sortie de l'Union Européenne restituerait également 9 milliards d'euros de budget annuel à l'Etat, somme correspondante à la contribution française au budget de l'UE.
Un audit de la dette s'impose à l'évidence. L'opacité dans la détention des titres de dettes cache de nombreuses créances irrégulières et donc illégitimes. L'État devra refuser de les régler tout comme celles des banques sauvées en 2008 qui ont suffisamment bénéficié des largesses de nos impôts. L'audit permettra aussi de retrouver les Français résidents à l'étranger qui pratiqueraient l'évasion fiscale, faisant perdre au bas mot 80 milliards d'euros de recettes par an au budget de l'État, un joli pactole en perspective !
© Gabriel Zucman, La richesse cachée des nations
Les seuls créanciers que nous devrions rembourser sont les petits porteurs : des retraités par exemple qui auraient placé de bonne foi leur épargne dans la dette française. Là encore, seul un audit peut nous renseigner sur leur nombre mais ils sont à l'évidence très minoritaires. Derrières les fonds souverains étrangers se cachent des États - nous pourrions proposer à défaut d'un remboursement, des partenariats stratégiques, commerciaux, technologiques...
Ces premières mesures nous permettraient de nous débarrasser d'une écrasante partie de cette dette illégitime. Le reliquat pourrait être monétisé par la Banque de France qui aurait retrouvé ses prérogatives de financement de l'État. La dette publique doit redevenir un instrument politique, un pari sur l'avenir et non plus être une épée de Damoclès au service de la finance, condamnant chacun de nous à tendre la main à ses chaînes.
1http://www.lesechos.fr/15/07/2016/LesEchos/22234-109-ECH_pourquoi-l-etat-ignore-qui-detient-sa-dette.htm
2http://fr.reuters.com/article/companyNews/idFRL5E7N51QI20111228 (liste des 5O plus gros détenteurs de dette) française)
5http://www.alternatives-economiques.fr/vive-la-banqueroute-comment-la-france-a-regle-ses-dettes-de-philippe-le-bel-a-raymond-poincare—en-passant-par-sully—colbert—talleyrand—etc—_fr_art_1225_64556.html
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