Distinction objective de la gauche et de la droite
Ce qui rend le débat politique français stérile, c’est qu’il baigne en permanence dans un océan de considérations morales souvent simplistes. Ainsi, la plupart des gens qui se disent de gauche estiment que le but de la droite est uniquement de favoriser les riches aux dépens des classes populaires tandis que la majorité des personnes de droite pensent que la gauche est incapable de gérer le pays puisqu’elle ne pense qu’à dépenser. Bref, l’immoralité pour les uns et l’incompétence pour les autres, tel semble être le coeur du débat politique français. Pourtant cette thèse ne résiste pas à l’examen des faits : plusieurs conquêtes sociales ont été réalisées sous des gouvernements de droite qui, s’ils cherchaient simplement à faire plaisir aux riches, n’auraient aucune chance de se faire élire tant ses derniers sont minoritaires. De l’autre côté, si on regarde l’évolution des performances économiques de la France (essentiellement le déficit et la croissance) au cours de ces dernières années, on observe que les gouvernements de gauche ont des performances au moins comparables à celles de la droite.

Une autre approche, qui vient de l’utilitarisme économique, serait
de dire que chaque individu se détermine en fonction des intérêts qu’il
a à voter pour tel ou tel parti. Le but des responsables politiques
serait alors de coaliser suffisamment de groupes d’individus pour
obtenir la majorité. On aboutirait à une sorte de lutte des classes qui
aurait au moins le mérite d’être parfaitement rationnelle. Cependant, on
n’observe rien de tel quand on analyse la composition des électorats
des grands partis politiques : tous possèdent une base populaire
importante et trouvent le soutien d’une partie des classes plus
favorisées. Bien entendu, un certain déterminisme social subsiste, on
trouve ainsi plus d’ouvriers au PS qu’à l’UMP et plus de chefs
d’entreprise à l’UDF qu’au PCF, mais ils sont beaucoup plus nuancés
qu’on pourrait le croire au premier abord.
La principale
raison à cette situation, c’est que les grands partis républicains,
quand ils sont au pouvoir, recherchent davantage un optimum social que
la satisfaction de revendications catégorielles. Les Français ont en
effet horreur du clientélisme, du corporatisme et du communautarisme ;
ils ont, contrairement à ce qu’on entend souvent, largement conscience
de ce qu’est l’intérêt général. La première chose à faire pour aller
plus loin dans le débat politique que de s’en tenir à des jugements
moraux simplistes et erronés est donc de faire sien le postulat suivant
: le but des principaux partis politiques est d’améliorer le bien-être
de la population.
Cette formulation est suffisamment vague pour
permettre de distinguer la droite de la gauche. En effet, chaque camp à
des opinions différentes sur les objectifs à atteindre pour augmenter
ce bien-être et surtout sur les moyens d’y parvenir. Dès lors, un débat
politique serein peut s’installer, valeurs contre valeurs, méthode
contre méthode. On en revient toutefois à l’interrogation initiale :
qu’est-ce qui distingue les gens objectivement de droite des gens objectivement de gauche ? Selon moi, il s’agit principalement de la
place accordée à la responsabilité individuelle face à la
responsabilité collective.
Si on schématise, à droite on pense
que c’est l’individu lui-même qui est responsable de ses réussites et
de ses échecs tandis qu’à gauche on pense que c’est le contexte social
qui prévaut. A partir de là, les principales oppositions politiques
deviennent plus claires : la gauche réclame un Etat social fort, qui
mutualise les risques, qui répartisse les richesses pour combler les
inégalités sociales tandis que la droite estime qu’il faut encourager
ceux qui prennent des risques et laisser aux individus la
responsabilité de s’assurer face aux aléas de la vie par le biais
d’organismes privés. Pour le dire autrement, on pourrait affirmer que
ce qui distingue le plus la gauche de la droite aujourd’hui, c’est leur
degré d’adhésion à la sociologie et notamment la distinction qui existe
entre corrélation et causalité.
Prenons un exemple simple, on
observe qu’une certaine partie de la population a un taux de chômage
plus important que la moyenne nationale. L’interprétation 100% de
gauche est de dire qu’une ou plusieurs des caractéristiques de ce
groupe sont des handicaps sociaux (discrimination par exemple) qui sont
la cause de leur faible taux d’activité. A l’inverse, l’interprétation
100% de droite est de dire que ce groupe possède des propriétés
intrinsèques qui font qu’il est moins productif que le reste de la
population, ce qui explique son fort taux de chômage. Aucun de ces
deux raisonnements ne peut être considéré comme faux sur le plan de la
logique, il traduit simplement le fait qu’à partir de la même
corrélation observée, il y a deux manières d’envisager la causalité (de
la société vers le groupe ou du groupe vers la société).
Bien
entendu, peu de gens sont complètement de gauche ou complètement de
droite au sens où je l’entends ici, il n’en reste pas moins qu’un
engagement politique réfléchi résulte selon moi avant tout d’une
certaine vision de l’homme et de sa capacité ou non à s’affirmer face
au contexte. L’histoire des individus joue un rôle crucial dans la
construction de cette vision de l’homme. Plutôt que de devenir qui on
est, on est ce qu’on est devenu. Pour illustrer ce propos, j’aimerais
m’arrêter sur deux catégories complètement opposées, une de gauche et
l’autre de droite. Les premiers, qu’on pourrait appeler la "gauche
caviar" (au sens noble du terme) sont ceux issus d’un milieu aisé qui
ont choisi le camp d’une classe sociale qui n’était pas la leur. Une
des motivations possible de ce choix peut être une sorte de culpabilité
d’avoir profité d’une situation favorable sans l’avoir pleinement
mérité, c’est-à-dire admettre que sa responsabilité et son mérite
individuel n’a pas joué un rôle crucial dans la détermination de son
niveau social. Face à eux, on trouve des personnes issues d’un milieu
modeste, qui ont réalisé une forte ascension sociale et qui ont choisi
un camp qui n’était, là non plus, probablement pas le leur au départ.
On peut justifier ce choix par simple opportunisme si on en reste à
l’opposition gauche/droite héritée de la lutte des classes,. Je pense
plutôt que ce qui justifie cet engagement, c’est que ces personnes sont
persuadées que, si elles ont réussi malgré leurs handicaps initiaux,
c’est que la réussite individuelle tient avant tout du mérite et de la
volonté personnelle, pas du contexte social.
Ce qui vient
complexifier cette équation politique, c’est que d’autres facteurs
que la simple opposition gauche/droite (telle que nous l’entendons en
France) interviennent également dans l’engagement politique. On peut
ainsi citer l’opposition entre le progressisme (assez proche du
libéralisme) et le conservatisme. Pour moi, ce dualisme est très
largement indépendant du clivage gauche/droite tel que je l’ai défini.
On peut ainsi trouver des libéraux et des conservateurs à gauche comme
à droite. La France a ceci de particulier que les libéraux économiques
sont souvent conservateurs sur le plan des moeurs et réciproquement,
pourtant, dans beaucoup d’autres démocraties (aux Etats-Unis par
exemple), c’est cette tension libéralisme/conservatisme qui est au
coeur du débat politique. D’ailleurs, en anglais, liberal signifie
"de gauche". On touche là à la principale spécificité française : alors
que dans de nombreux pays c’est autour de la question de la liberté que
se déterminent les principales forces politiques, chez nous c’est le
débat autour de l’égalité qui prévaut. Comme l’a écrit Tocqueville, la
France a la passion de l’égalité, ne pas en être conscient, c’est ne
rien comprendre à notre pays.
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