Du Mouvement démocrate : une forme politique en antiphase avec ses forces politiques
Cet article examine le risque d’implosion du Mouvement démocrate. Analysant le phénomène de parti politique sous l’angle d’une structuration des forces politiques en des formes de protestation politique, il débouche sur une nécessaire remise en question d’un appareil organisationnel en antiphase avec des structures partisanes aux attentes rénovées. Cet article nous conduit à spéculer l’implosion d’un parti en même temps qu’à dégager un agenda de recherche renouvelé qui accorde une plus grande attention à la dimension discursive de la vie politique et sociale.
Plusieurs dizaines de candidats écartés froidement des législatives par un Mouvement démocrate à la stratégie déterminée... « Un mois de mai ordinaire », diront dans l’ombre les habitués de la « realpolitik ». « Un crime de lèse-majesté auquel nous habituent les formations politiques », diront les citoyens. Depuis l’émergence de nos démocraties représentatives, il n’est en effet pas rare de voir les bases militantes écartées au profit de représentants désignés. Notre régime politique est ainsi fait. L’histoire, c’est le temps. Le temps, c’est la mémoire. Et nos démocraties représentatives sont l’otage de stratégies d’action collective. Il ne nous faut jamais oublier cet enseignement fondamental de la science politique : les partis politiques sont un ensemble de mécanismes sociaux qui régulent des comportements collectifs en étroite compétition avec des comportements individuels.
Sur ce constat historique attristant, quels indices nous laissent présager la fin d’un mythe ? Quels soupçons nous laissent pressentir que l’UDF - Mouvement démocrate sera le premier parti à subir de plein fouet une insurrection militante ? Les partis traditionnels ont fait un usage séculaire de ces pratiques et sont toujours présents. Pourquoi le Mouvement démocrate serait-il une forme de protestation politique en inadéquation totale avec les forces politiques qui le soutiennent ?
C’est du noyau quintessenciel du mot « démocratie » que doit partir notre réflexion. Plus que l’histoire d’un parti, plus que le charisme d’une personne, le nom d’un parti, « Mouvement démocrate » exerce un contrôle informel sur les forces politiques qu’il structure. Alors que monsieur François Bayrou appelle à l’attente des citoyens de réformer le système politique français, il souhaite faire de ce nouveau parti « un mouvement de citoyens actifs, participant à la vie publique ». Il est en effet opportun de débattre du symbole qui résume son action et fédère aujourd’hui des dizaines de milliers de partisans. Sans explicitement décrire des règles, deux mots - Mouvement démocrate - peuvent en effet relier différentes personnes entre elles pour éclairer des valeurs qu’elles partagent et approcher leur source.
Prenons un exemple : « Le Mouvement démocrate sera le parti de la liberté ! » Dans cette expression d’un ex-candidat à la présidence de la République, le mot « démocrate » se réfère à l’une des mutations les plus imprévisibles de nos démocraties modernes. Les citoyens auxquels s’adresse François Bayrou ne sont pas seulement promis à la maîtrise de leur destinée ; ils sont promis à la possibilité de se relier à un pouvoir légitime garant de liberté. Dans l’immense entreprise de communication de l’ex-candidat à la présidence, la référence au Contrat social se laisse d’ailleurs subtilement deviner. Comme Rousseau, François Bayrou ne considère pas la volonté générale comme la somme des volontés particulières. Il considère la volonté collective comme ce qui procède de l’intérêt commun. Il indique qu’un problème objectif se pose à la collectivité, que des choix seront faits pour le résoudre et que des moyens seront mis en œuvre pour y arriver. Le discours séduit, semble fédérer des forces politiques. Il faut donc prendre constat. Comme nous le dit le sociologue Manuel Castells, tout ce qui se signale à l’ère de l’information est l’indice d’un nouveau mode d’existence de l’individu dans les horizons de la démocratie. Le mot « démocrate » serait-il structurant, comme le socialisme ou le libéralisme l’était, d’une force politique ? La question se posait à nous il y a un mois.
Après analyse du discours d’un échantillon aléatoire de militants, il apparaît crédible que le manque de consultation directe du peuple et la partitocratie (biais introduit par les mécanismes de la représentation) soient l’hémicycle du débat des générations intellectuelles qui portent le Mouvement démocrate. Du fait des différents caractères du mandat représentatif, et surtout de la liberté de désignation des mandataires laissée aux partis, les partis de la République et la forme de gouvernement à laquelle ils servent de socle peuvent en effet être en rupture avec les attentes citoyennes. C’est là tout l’intérêt de la science politique que de voir qu’un système qui se voudrait parfait ne l’est jamais que de l’opinion de la société.
En guise de conclusion à notre introspection, retenons que la révolution bayrousienne tient à ce qu’elle conjugue à une force politique (retour à une démocratie plus directe) une forme politique (le Mouvement démocrate) dans un climat de crise de la souveraineté qui n’est pas celle des mécanismes institutionnels qu’un bon aggiornamento remettrait d’aplomb. L’hypothèse d’un « nouvel ordre du centre » comme le résultat de l’inéluctable prise de conscience d’un nouveau mode d’existence de l’individu dans la société est donc crédible. Le Mouvement démocrate incarne en effet, plus que le centre ou l’UDF, une nouvelle forme de citoyenneté.
Ceci ne n’est pas sans impact sur le futur du parti. Alors que le MoDem se devrait d’incarner une forme d’organisation politique en phase avec les attentes de cette « nouvelle identité démocrate », il est aisé pour tout politologue de détecter au sein de l’organisation un paradoxe typique de l’action collective. Soyons clair. Comme dans chaque organisation politique, les intérêts de l’organisation et de ses dirigeants finissent toujours par supplanter ceux de ces adhérents. Tous les observateurs s’entendront, le Mouvement démocrate est un parti traditionnel. Les mécanismes de hiérarchisation sont toujours présents, déteignent sur la désignation des représentants, l’appareil de parti se fait le formateur d’une idéologie... Il n’est nullement la forme politique qu’attend la nouvelle citoyenneté : un bureau politique avec une structure hiérarchique qui refléterait celle du gouvernement dans la cité démocratique, des processus d’élection, de représentation et de délégation définis précisément par des statuts qui seraient l’écho d’une constitution démocratique. Il devrait ainsi y avoir, à terme, une inadéquation réelle entre la forme du Mouvement démocrate et l’attente d’une tranche représentative des réseaux citoyens qui le soutiennent.
Quel est l’objectif de monsieur Bayrou et de ses conseillers ? S’agit-il d’une stratégie de « démocratie du centre » ou d’une stratégie « d’occupation du centre » ? La première forme le distinguerait de Nicolas Sarkozy. La seconde l’en rapprocherait. Toujours est-il que les forces politiques sont toujours plus déterminantes que les formes. Et qu’au jeu de l’ « occupation », le Mouvement démocrate risque l’implosion. Peut-être pour cette raison monsieur François Bayrou lancera-t-il, dès l’été, de grands ateliers de réflexion autour des statuts de son parti... au risque de voir une génération de politiciens privés d’élection, au risque, diront les plus mauvaises langues, de voir monsieur Bayrou privé de la présidentielle en 2012. C’est là toute la gloire et tout le péril d’être démocrate...
Par Fabian GIORDANO et Jérémy DAGNIES, Chercheurs en Sciences Politiques à l’université catholique de Louvain - Facultés universitaires de Mons, Belgique.
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