Jean-Marie Le Pen végète
Au menu de notre dialogue, ici, ce matin : les propos de Jean-Marie Le Pen, invité de RTL à 7 h 50, et aussi une réflexion sur l’état des forces et des candidats en présence car à cinq semaines du premier tour de cette élection présidentielle, des lignes de force s’installent qui commencent à dessiner un paysage. Celui ci n’est pas définitif, il ne le sera qu’à la dernière minute du dernier jour. Pour autant, ce paysage politique de la France votante sera le fruit de tendances et de courants déjà visibles, dont on ne peut certes apprécier l’ampleur définitive mais dont on peut déjà évaluer la puissance.
Jean-Marie Le Pen n’avait pas l’humeur très coopérative ce matin. Avant d’entrer dans le studio, il évoquait ce qu’il nomme "le complot sondagique" qui privilégie "la bande des trois", selon son expression, et le repousse, lui qui fut deuxième du premier tour de l’élection présidentielle en 2002, à une quatrième place à la fois humiliante et sans intérêt. Cette disposition d’esprit l’a conduit à répondre négligemment et de manière très générale à une question dont je pensais qu’il saisirait l’opportunité pour développer un thème qui lui paraissait important.
Très tôt dans notre entretien, je lui ai en effet demandé quel serait, selon lui, le principal sujet de débat des cinq semaines à venir. L’interrogation était volontairement ouverte, la réponse fut tout aussi volontairement fermée. Le tour que prend une interview ne dépend évidemment pas des seules questions, des seules volontés du journaliste. Il est aussi, et surtout, affecté par les réponses et par la volonté qu’a ou n’a pas l’interlocuteur d’entrer dans le dialogue. Ce matin, il est évident que Jean-Marie Le Pen n’était pas d’humeur à parler. C’est ainsi. Dans homme politique, il y a homme, avec ses humeurs et ses sentiments. Ceux du président du Front national n’étaient pas forcément accordés avec ses intérêts de candidat. Ceci le regarde, mais j’ai tenu, au cours de l’entretien, à noter cela, avec la volonté de livrer un élément explicatif à ceux qui ont entendu notre échange. La même cause a produit les mêmes effets à la toute fin de notre dialogue.
Le verdict du procès de Périgueux constituant le titre principal de l’actualité, j’ai voulu recueillir son sentiment sur l’euthanasie, une réalité inscrite dans la vie quotidienne de chacun, présente à l’esprit de tous car nous savons que la vie est ainsi faite qu’elle pose toujours la question de la mort. Jean-Marie a semblé ennuyé par la question. Il s’est lancé dans une réponse confuse dont j’ai cru déduire, pour ne pas laisser les choses dans l’ambiguïté à propos de ce sujet important, qu’il était favorable à des pratiques d’euthanasie légalement encadrée. A peine en avais-je formulé l’hypothèse que Jean-Marie Le Pen me reprend, assurant que c’était exactement l’inverse. Donc, ai-je ajouté au micro, vous êtes contre. Eh bien non, ni pour ni contre, ni blanc ni noir, a-t-il conclu à la manière significative de quelqu’un qui, finalement n’était qu’à moitié là. Bien sûr, on peut faire porter sur le journalisme, et en l’occurrence le journaliste, la responsabilité de la contre-performance du candidat que l’on soutient dans l’élection. C’est facile et pas très douloureux. Certains ne s’en priveront pas. L’ennui, c’est que la réalité est ailleurs. A ne pas le comprendre, on risque de perdre sa lucidité, et donc l’intelligence du moment.
Un dernier mot : Jean-Marie Le Pen, finalement, a eu ses signatures. Comme lui, neuf ou dix candidats obtiendront le droit de se présenter. Finalement, ce filtre que l’on a beaucoup critiqué n’est pas si mauvais. Ce pluralisme, auquel tant de gens semblent attachés, au point de trouver normale la surreprésentation de courants de pensée catégoriels ou d’expressions historiques en voie de disparition, est respecté par un système qui évite qu’au premier tour de cette grande consultation électorale, vingt, trente, quarante candidats ne se présentent devant leurs concitoyens, noyant ainsi dans le ridicule une confrontation des candidats et des idées censée éclairer notre avenir. A cinq semaines du scrutin, le point de la campagne.
Le regard, l’intuition, les sondages, nourrissent la réflexion. Un candidat, un seul, a installé sa campagne et n’en bouge pas. Il s’agit de François Bayrou, pourfendeur du système, dénonciateur de l’échec depuis un quart de siècle de l’UMPS, hydre à deux têtes dont il fut naguère l’un des représentants. Sa constance dans cette dénonciation, la mise en scène par ses soins du courage nécessaire pour l’argumenter, son image rurale qui lui confère sincérité et bon sens, représentent des points d’appui solides dans sa démarche. Estimé aujourd’hui à un haut niveau des intentions de vote, environ 20%, il est, à cette étape, la surprise de la campagne.
Nicolas Sarkozy tâtonne. Ayant jugé au tout début de l’année que l’électorat de son camp était solidement arrimé, il avait procédé par gros clins d’oeil vers la gauche, citant comme le fin du fin de la pensée politique des phrases entières de Jean Jaurès et Léon Blum, deux penseurs, soit dit en passant, que la ville de Neuilly n’a pas encore jugé bon d’honorer d’un square ou d’une impasse. Depuis quelques jours, changement de cap. Nicolas Sarkozy est revenu aux fondamentaux de son camp. L’immigration, l’identité nationale, puis l’immigration et l’identité nationale, puis l’identité nationale et l’immigration : que du lourd qui, visiblement, obéit à ce vieux principe de la politique selon lequel l’important, c’est de bien souder les siens au premier tour avant de s’attaquer au second. S’il trahit une forme d’inquiétude dans le camp sarkozyste, ce changement de cap semble avoir peu d’effet dans els sondages. Le socle du président de l’UMP paraît stable, il se situe dans le haut d’une fourchette évaluée entre 25% et 30% des intentions de vote.
Ségolène Royal est à la peine. Ses multiples prises de parole ne lui permettent pas d’ancrer une idée, une proposition, qui permettrait d’identifier sa campagne. L’ordre juste, rappelé en permanence comme un principe fondateur de sa future action, paraît trop général, trop flou, pour constituer un marqueur solide. Le reste de ses propos est relativement conformiste, au point que beaucoup d’observateurs semblent lier ce constat au retour des éléphants, suggérant ainsi que la personnalité fraîche et innovante entrevue à l’automne, lors de la campagne interne du Parti socialiste, est désormais muselée par un appareil politique lourd et archaïque. A sa manière hier soir, Ségolène Royal a donné du crédit à cette thèse en se présentant comme à nouveau libre de ses mouvements et de sa pensée par rapport au parti socialiste. Ce qui, d’ailleurs, risque de susciter quelques commentaires aigres dans les heures à venir. Au total, la candidate socialiste continue d’agréger dans les études un quart de l’électorat, ce qui est bien, mais ne paraît pas en mesure de progresser encore, ce qui la place toujours sous la menace d’un troisième concurrent.
Jean-Marie Le Pen végète. Lui qui se faisait gloire de n’avoir jamais changé de discours souffre d’apparaître aujourd’hui comme répétant les mêmes discours, égrenant les mêmes horribles perspectives pour la France. Quelques meetings de-ci de-là, quelques prestations médiatiques gourmandes, ne suffisent pas à donner à sa campagne l’air de fière conquête que l’on serait en droit d’attendre de quelqu’un qui, naguère, a fait trembler tout le système. Personne, bien sûr, n’oublie que jusqu’ici, les enquêtes d’opinion ont régulièrement sous évalué son impact. Mais chacun sait aussi que l’histoire ne se répète pas. Ainsi, pour lui comme pour les autres, le sort est par nature incertain. A l’instant, 15% des intentions de vote l’accrochent solidement à la quatrième place. Pas de quoi être optimiste. Suivent ensuite la floraison des candidats qui, pour n’être pas grands, ne sont pas non plus petits, mais plus noblement l’expression de ce pluralisme français que la terre entière, et sans doute aussi la lune, nous envient. Les scores, pour l’instant, sont lilliputiens. Mais vu la force des idées, et l’impact de la campagne officielle à la télévision, les uns et les autres devraient glaner quelques pourcentages.
De ce tableau général, quelles leçons tirer ? Dans l’appréciation générale des choses, Nicolas Sarkozy fait la course en tête. Les réflexions sérieuses sur le second tour de l’élection présidentielle l’y placent tout le temps parmi les deux concurrents admis à y concourir. Pas plus que pour d’autres, une participation n’est promise à Nicolas Sarkozy. Chaque candidat, lui compris, peut fauter, donc chuter. Mais le poids des courants politiques et leur histoire récente dans la République rendent probable la présence du candidat de l’UMP au second tour. Face à qui ? Là est la question. Si c’était face à Jean-Marie Le Pen, ce qui n’apparaît pas le plus probable, alors Nicolas Sarkozy aurait de grandes chances d’être élu président de la République selon une mécanique de reports de voix venus de l’UDF et même de la gauche qui le placerait très certainement en tête du duel. Il semble également que Nicolas Sarkozy pourrait triompher si son adversaire était Ségolène Royal. Une part sans doute significative de l’électorat UDF viendrait sur lui, ainsi qu’une part non négligeable de celui de Jean-Marie Le Pen.
A l’inverse, les ressources électorales de toute la petite gauche paraissent faibles, l’agonie des communistes se joignant ici à l’atonie des écologistes. Quant aux petits ruisseaux du trotskisme, trois candidats à nouveau, plus l’éventuelle rivière bovéiste, ils composent un maigre capital qui ne permet pas à la gauche d’envisager très sereinement le second tour. Demeure l’hypothèse François Bayrou. C’est, bien sûr, la plus excitante pour l’esprit. Une idée majoritaire s’est installée selon laquelle le président de l’UDF serait le seul à pouvoir battre, au second tour, son homologue de l’UMP. Personnellement, je suis très sceptique.
Deux cas de figure méritent d’être étudiés. D’une part, Nicolas Sarkozy est en tête du premier tour, François Bayrou est second. Le représentant de l’UMP ajoute à son capital de départ une fraction de l’électorat FN. Il est alors proche de son but. Pour empêcher son élection, François Bayrou doit regrouper derrière lui le maximum de l’électorat de toutes les gauches. Tâche difficile. Son argument principal sera alors la crainte qu’inspirerait Nicolas Sarkozy. Il y a fort à parier que ceci laisse de marbre les dirigeants trotskystes, altermondialistes, communistes, peut-être aussi écologistes. Sarkozy-Bayrou : blanc bonnet et bonnet blanc. Des dirigeants hésitants, c’est un électorat hésitant. Les reports risquent donc d’être très faibles.
L’autre gros morceau, c’est évidemment le gâteau socialiste. D’abord, il est peu probable que les dirigeants de ce parti reproduisent la scène du 21 avril 2002. Ce soir-là, ils étaient tous venus sur les plateaux de télévision, dès le dimanche soir, pour appeler à voter Jacques Chirac contre Jean-Marie Le Pen. Cette fois, tout est différent : Nicolas Sarkozy n’est pas Jean-Marie Le Pen, François Bayrou n’est pas Jacques Chirac. S’ils se comportaient néanmoins ainsi, en appelant à barrer la route à Nicolas Sarkozy et donc à voter pour François Bayrou, les responsables socialistes accompliraient un acte sans précédent de sabordage du courant socialiste. Ceci compliquerait évidemment la tâche du Parti socialiste lors des élections législatives à suivre. Comment combattre un François Bayrou qu’ils auraient contribué à élire ? Plus finement, conférer au leader centriste la position de rempart antisarkozyste reviendrait à lui confier en même temps le rôle d’accoucheur de la social-démocratie française, ce que n’ont su faire en leur temps ni François Mitterrand, ni Lionel Jospin, ni Dominique Strauss-Kahn.
Il y aurait quelque ironie à confier ainsi les clés de la vieille maison, pour reprendre l’expression de l’auteur à la mode Léon Blum, à une personnalité de l’historique courant chrétien-démocrate. Sans doute la France regorge-t-elle d’exceptions. Celle-ci serait aussi spectaculaire que cocasse. Le risque est donc grand de voir François Bayrou échouer dans la dernière ligne droite pour cause de brinquebalance idéologique et de n’importe quoi stratégique.
Le deuxième cas de figure est plus intéressant. Là, François Bayrou finit en tête du premier tour, devançant Nicolas Sarkozy qualifié lui aussi. Pour l’instant, cette hypothèse n’est évoquée dans aucune étude, elle apparaît farfelue, impossible à réaliser. Il ne faut cependant pas l’écarter sur le plan de la méthodologie. Il ne faut pas non plus l’exclure dans la réalité, tant le paysage politique française est déréglé. Cette condition, arriver premier au premier tour, apparaît pourtant indispensable à la réalisation du formidable pari dans lequel s’est engagé François Bayrou : devenir président de la République. S’il arrivait premier, d’abord, l’UMP exploserait. C’est par là que tout doit commencer ; Homme à l’histoire de droite, François Bayrou doit d’abord recomposer la droite. Les chiraquiens, des sarkozystes de frais, des opportunistes de tout poil, rejoindraient François Bayrou. Celui-ci, clément dans la victoire, leur ferait une place de choix, dans le gouvernement pour les plus importants, dans des circonscriptions pour les autres, et ainsi, constituerait l’un des piliers de sa future action. Devant le choc que provoquerait l’élimination, à nouveau, de leur candidat, sans doute des responsables socialistes, minoritaires mais pas marginaux, quitteraient-ils le Parti socialiste. Alors, François Bayrou serait en situation d’accomplir sa promesse de dépasser les vieux clivages et, rejetant Nicolas Sarkozy vers la bordure du camp droit, pourrait triompher de ce duel singulier. On le comprend : ce scénario, exigeant, n’est pas aujourd’hui le plus certain.
Il en reste un dernier : Royal-Bayrou au second tour. Ce serait stupéfiant mais tellement incongru aujourd’hui, qu’il serait farfelu de tenter de l’analyser. D’ailleurs j’en profite : tout ce qui précède n’est que spéculation, tentative de mise en ordre de ceux que nous voyons, de ce qui est là, sous les feuilles que brasse tous les jours une actualité désordonnée.
Heureusement, la vie dépasse souvent l’imagination, et aussi savantes soient-elles, les spéculations ne deviennent pas automatiquement réalités.
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