Jérôme Cahuzac est-il victime de la vengeance de celui qu’on nomme « Colombo » ?

Mediapart a publié mardi un article dans lequel Jérôme Cahuzac est accusé d’avoir détenu pendant plusieurs années un compte non déclaré en Suisse. Le site Internet s’appuie notamment sur les propos et les notes d’un ancien directeur du Fisc, Rémy Garnier dont le surnom est " Colombo". L’homme est aujourd’hui à la retraite, mais il n’a pas oublié ses vieux dossiers, et peut-être sa rancune..
Qui est Jérôme Cahuzac ?
Il est le fils d'anciens résistants de gauche : son père, grand invalide de guerre a 24 ans, ingénieur de l’armement mendésiste, était membre du réseau de Jean-Pierre Vernant et sa mère, professeur d’anglais de classe prépa à Henri-IV, était l'organisatrice d'un réseau de passeurs de Juifs vers l'Espagne.
Cependant il réfute que ses choix politiques puissent être commandés par sa classe sociale. : "Je n’ai jamais été marxiste et ne crois ni au grand soir ni à la grande réforme. C’est ma conscience qui m’a dicté mes choix".
Davantage tourné vers ses études de médecine que vers le militantisme politique, ce chirurgien viscéral de formation a pris sa carte dès 1977 au Parti socialiste sur les conseils de son ami et constitutionnaliste Guy Carcassonne. Il fut conseiller technique au cabinet de Claude Évin entre 1988 et 1991 et a fait partie de l'équipe de campagne de Lionel Jospin en 2002. Son parcours personnel commence vraiment en 1997 lorsqu'il est élu député. Il a été président de la commission des Finances à l'Assemblée nationale jusqu'aux législatives de 2012.
Au PS c'est un électron libre. Ni cador, ni paillasson, il n’est pas de ces fédérateurs de courants et agitateurs d’idées qui forgent les poids lourds politiques. Il n'est pas non plus de ces fidèles sans envergure, cantonné de facto au second rôle.
Il est de caractère entier, certains le disent "rugueux", "cassant", "arrogant". C'est un "guerrier" qui a "ses convictions" mais reste cependant "correct et toujours loyal" et on ne l’entendra jamais "balancer sur quelqu’un". C'est un excellent orateur, il fait toujours ses interventions sans notes.
Il est redouté par ses adversaires qui, comme François Baroin, le jugent "redoutable". « C’est d’abord quelqu’un de très doué et vif d’esprit, mais sur le plan politique il n'hésite pas à faire prévaloir ses objectifs" dit Philippe Marini, le président UMP de la commission des finances du Sénat.
Sa pratique du sport à haute dose résume son caractère de compétiteur né. Grand amateur de boxe, ce dur à cuire au physique sec a participé à la Vasalopett dans les années 90 (course de ski de fond de 90 km en Suède), multiplié les ascensions des cols du Tour de France et a gravi l’été dernier le Mont-Ventoux. Un éternel insatisfait, jamais content de ses temps.
Aujourd'hui c’est le ministre le plus craint, et le plus détesté des membres du gouvernement (lire article du site Europe 1 en cliquant ICI) Peut-être le plus haï de certains aussi. A 60 ans tout juste, le ministre délégué au Budget, Jérôme Cahuzac, est l’homme qu’a choisi François Hollande pour incarner une rigueur de gauche jamais vue à ce jour. Il lui a confié la tache la plus ingrate du quinquennat. Le sale boulot c'est pour lui : tailler 10 milliards dans les ministères et lever 15 milliards d'impôts pour 2013. Une mission qu'il assume non sans fierté.
Jérôme Cahuzac n’a pris aucune pincette dans les négociations de son premier budget et est resté fidèle à sa ligne très technique : zéro blabla, rien que des chiffres. C’est pour cela que cela a plutôt bien marché selon son entourage. De très gros budgets comme l'Intérieur, la Défense et les Affaires sociales ont été réglés en moins de deux heures. Sur les trente-huit missions budgétaires, seules six ont nécessité l’arbitrage de Matignon, dont celles de la Culture et du Logement, avec lesquelles les frictions ont été très fortes. Un proche de Jérôme Cahuzac a expliqué : "il est très méthodique et applique la même méthode avec tous ses interlocuteurs, quel que soit leur poids politique. Il demandait à chacun : "Quelles sont tes priorités et quelles économies tu fais pour y parvenir ?" C’est sûr que ça ne passait pas avec ceux qui essayaient de déplacer la discussion sur un plan politique !"
Qui est Rémy Garnier appelé "Colombo" ?
Rémy Garnier est un ancien agent du fisc aujourd’hui à la retraite, qui est décrit par ses anciens collègues comme un inspecteur coriace, obstiné et méthodique. Or en 1999 sa route croise celle de Jérôme Cahuzac qui était à l'époque député du Lot-et-Garonne et maire de Villeneuve-sur-Lot.
En décembre 1998 il notifie à France Prune, l'association de coopératives lot-et-garonnaises alors leader en Fance dans le secteur du pruneau, un redressement de 3 millions de francs, pour surfacturations. L'association sollicite alors le député maire PS de Villeneuve-sur-Lot, Jérôme Cahuzac, pour soutenir un recours gracieux auprès de Christian Sautter, le ministre du Budget à cette époque. Ce dernier passe l'éponge avant la fin des négociations, en janvier 1999. L'inspecteur n'est pas prévenu de cette décision du ministre. Il en est Informé en novembre 1999, alors il rédige le document, avalisé par sa hiérarchie, qui clôture d'ordinaire la vérification, en précisant qu'il "maintient ses analyses et conclusions".Ce commentaire lui vaudra l'expiation. Curieusement missionné de nouveau en septembre 2001 pour un contrôle toujours chez France Prune, il est dessaisi la veille de son intervention, puis de tous ses autres dossiers (lire l'article de Sud-Ouest en cliquant ICI)
Son acharnement contre les puissants l’auraient conduit à briser sa carrière Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Économie, l’aurait mis à pied le 25 juin 2004 pour deux ans, assortie d'un sursis d'un an.
Alors il recentre son combat personnel sur Jérôme Cahuzac. En 2008, il aurait décider à titre personnel d'enquêter sur celui-ci. Il signale alors à sa hiérarchie l’existence éventuelle d’un compte à l’UBS de Genève au nom de Jérôme Cahuzac, reconnaissant lui-même qu'il n'était pas capable de dire s'il s'agissait d'une vraie ou d'une fausse information et souhaitant poursuivre ses investigations..Ce que le ministère de tutelle, celui du Budget, alors dirigé par le ministre UMP Éric Woerth, lui aurait refusé.
Contacté par Le Figaro Éric Woerth a déclaré mardi 4 décembre : "Je n'ai jamais connaissance du moindre document ou témoignage concernant la situation fiscale de Monsieur Cahuzac losque j'était ministre du Budget. Pour moi cela n'a jamais été un sujet. Si l'administration fiscale avait eu des soupçons, les rérifications auraient suivi leurs cours". "Je démens catégoriquement avoir reçu un courrier de cette nature Dire le contraire "est un mensonge" a conclut l'ancien ministre.
Rémy Garnier terminera ses dernières années d’inspecteur au placard, mais il met à profit son temps pour consigner ce qu’il dit savoir dans des carnets. Une ex-collègue confirme : "il nous disait : ‘une fois à la retraite, je sortirai des trucs’." Il est à la retraite depuis le 1er juillet 2010.
Rémy Garnier est un agent de l'État, puni dans l'exercice de sa mission, méprisé dans ses droits et inéquitablement jugé, Des décennies de rancoeur envers l'administration contre laquelle il a tenu à témoigner à tout prix. Il a lui fallu sept tomes, prêts à la publication, pour raconter son combat : "La Cabale", "Les Sabots de Bercy", "Le Mouton noir ", "Da Bercy Code" ,"Divagation", "Les Marionnettes" et " L'Arme fiscale dévoyée". Une œuvre précise comme une balle. Le testament de Rémy Garnier à la démocratie fiscale.
Mais pourtant toute cette prose n'a pas suffi à sa thérapie, il a voulu se venger de Bercy en attaquant son ministre actuel, en ressortant de ses archives cette enquête inaboutie par la faute de sa hiérachie et qu'il a communiqué à Médiapart .
Il avait pourtant déclaré : "Je n'ai pas de rancœur contre Jérôme Cahuzac. Il a fait son boulot de député en défendant France Prune, mais son idéologie socialiste aurait dû le pousser à défendre aussi le fonctionnaire que je suis. Il aurait pu intercéder en ma faveur au début, auprès de Fabius".
Jérome Cahuzac, quant à lui refuse d'endosser le rôle de responsable de la punition : "Je suis intervenu parce que la question de survie de la coopérative m'a convaincu. Mais quelle était ma légitimité à plaider pour lui auprès d'une administration qui l'a jugé dérangeant plutôt que d'utiliser ses qualités ? Un piège lui a été tendu en 2001 lorsqu'il a été réinvesti sur le dossier France Prune. J'avais d'autant moins à m'en mêler que je n'étais plus député en 2002."
Alors Rémy Garnier s'en est pris à lui mercredi matin sur Europe 1, sans évoquer le fameux compte en Suisse : "Je considère que la parole d’un ministre a perdu tout crédit à partir du moment où il soutient sciemment les éléments les plus corrompus de son administration. Moi, je suis victime de l’omerta. Depuis de nombreuses années, l’administration fait barrage. Pour moi, M. Cahuzac n’a plus aucune crédibilité. C’est tout ce que j’ai à dire pour l’instant." ( voir vidéo ci-dessous).
En conclusion il convient, à mon avis, de rester très prudent. Et pas seulement parce que toute personne mise en cause a droit à la présomption d’innocence. Mais aussi il faut prendre en considération le contentieux de ce fonctionnaire avec l'administration son employeur, et qui réclame à l'État 600 000 euros de dommages et intérêts, dont 40 000 euros de préjudice moral pour les humiliations, les brimades et les vexations endurées et qui pourrait avoir une idée de vengeance à l'encontre de celui qu'il juge être le responsable du début de sa galère professionnelle.
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