Jusqu’où le débat politique peut-il descendre ?
Depuis le week-end dernier, la vie politique française est réduite à cette interrogation brûlante : Nicolas Sarkozy a-t-il bien fait de répondre “casse-toi pauvre con” lors du Salon de l’agriculture ? Cette réplique fait la une de tous les journaux, est en tête de tous les titres des journaux télévisés, est dans toutes les conversations. Qu’a-t-il bien pu se passer depuis les dernières élections présidentielles ? A cette époque, la France avait montré au monde entier qu’elle était capable de se passionner pour un débat politique de fond, elle était venue voter en masse au nom de ses convictions en faveur du candidat ou de la candidate qui avait le meilleur programme et qui incarnait le plus ses valeurs. Aujourd’hui, on ne parle plus que vie privée et dérapages. Le président n’a pas un comportement à la hauteur de la fonction, il baisse dans les sondages, on l’interroge sur sa baisse, il s’énerve, l’opposition en rajoute, la majorité n’ose plus se réclamer lui. La médiocrité s’est emparée du débat politique, l’invective et la violence commencent à poindre. Bien entendu, Nicolas Sarkozy porte une immense part de responsabilité, il a initié ce mouvement, et quand bien même cherche-t-il à y mettre un terme, plus rien ne semble contrôlable. Pour reprendre un terme grec : nous vivons dans l’ubris, c’est-à-dire la démesure la plus totale.
Les médias, que l’on disait inféodés au pouvoir, se livrent à un réquisitoire tous azimuts de sa politique, les éditorialistes épousent ce mouvement d’opinion d’hostilité envers le président. Comme toujours, ils expliquent après coup de manière brillante comment cette chute dans les sondages qu’ils n’avaient pas prévue était inéluctable. Les nouveaux salons mondains que sont les émissions de talk-show ont réouvert leurs portes : l’antisarkozysme s’y déchaîne, tel chanteur prône la résistance, tel acteur qualifie de rafle l’expulsion d’immigrés entrés illégalement sur le territoire, tel philosophe compare le sarkozysme au pétainisme. Certains journalistes se mettent à faire les poubelles en révélant en place publique un “supposé” SMS. C’est ce climat, cette impulsion des gens “d’en haut” qui rend possible la scène du Salon de l’agriculture où un simple passant ose insulter le président de la République. C’est cette première prise à partie qui aurait dû émouvoir le microcosme, pas la réponse. Un seul homme politique a condamné avec force le mépris dont pouvait être l’objet le plus haut représentant de la nation : il s’agit de Lionel Jospin, dont on reconnaît ici les qualités d’homme d’Etat car il ne confond pas l’opposition avec le lynchage.
Nicolas Sarkozy sert de paratonnerre ou de catalyseur à toute la haine qui se répand habituellement sur la classe politique. A travers lui, ce sont tous les responsables publiques qui sont attaqués, ils sont devenus ces dernières années les carpettes sur lesquelles il est de bon ton de venir s’essuyer les pieds. Cette forme de critique se drape dans les habits de l’impertinence, force est de reconnaître qu’elle mérite amplement ce qualificatif, mais pas au sens où en l’entend habituellement. Quelle pertinence y a-t-il en effet à interpeller le président de la République sur sa vie et ses propos privés quand ce sont ses actions et ses prises de parole publiques qui devraient susciter la controverse ? Plutôt que de porter le débat sur la politique du gouvernement, nombre d’opposants contribuent à la diversion, ils détournent les Français des vrais problèmes politiques du pays. Pourtant les sujets ne manquent pas : laïcité, politique étrangère, réforme de l’école primaire et surtout politique économique.
En effet, le contexte économique mondial s’assombrit de mois en mois, la croissance faiblit, la crise dite des subprimes n’en finit pas de s’étendre, les matières premières s’envolent ce qui contribue à la montée des prix à la consommation. Ajoutons des problèmes plus récurrents comme l’augmentation des dépenses de Sécurité sociale, l’explosion de la dette extérieure ou la nécessaire réduction du déficit public. Malgré cela, la question économique n’est plus débattue en France, la faute à un président qui se disperse et lance d’innombrables chantiers périphériques et à une opposition trop contente de pouvoir surfer sur l’impopularité de l’exécutif sans avoir à trancher ses différends internes. Les conditions étaient pourtant toutes réunies, avec la remise du rapport Attali sur la libération de la croissance, pour que s’engage un débat de fond dans le pays. Au lieu de cela, on s’est focalisé sur la question “lilliputienne” des taxis et autres professions réglementées. Les pistes de la commission ne manquent pourtant pas d’audace avec le pari du numérique et de la société de la connaissance.
Il faut prendre garde à ce que la critique, souvent légitime, du sarkozysme ne se transforme en coagulation de tous les conservatismes et de tous les corporatismes. La tentation est forte de vouloir stopper le mouvement de réforme qui a été impulsé au sommet de l’Etat. L’année 2008 sera particulièrement éclairante, avec la mise en application de la Revue générale des politiques publiques, le rendez-vous des retraites et les mesures annoncées par le gouvernement sur la compétitivité de notre pays. Chacun devra prendre ses responsabilités : le président de la République ne devra pas fléchir malgré l’impopularité et le probable échec de la majorité aux municipales, l’opposition devra s’employer à une critique constructive et responsable, les médias devront se livrer au travail de pédagogie nécessaire pour que le pays prenne conscience de la gravité des enjeux.
Ayons toujours en tête l’exemple de la Fronde sous Richelieu et surtout sous Mazarin, ce mouvement populaire regroupant tous les conservatismes face à un mouvement de modernisation du pays sans précédent mené par les deux cardinaux-ministres. A cette époque, déjà, on pointait du doigt le comportement privé à la tête de l’Etat, les “mazarinades” se multipliaient pour moquer le cardinal italien, on l’accusait de manipuler, pour ne pas dire plus, Anne d’Autriche, régente du royaume et mère de Louis XIV. Malgré leur très faible popularité pendant leur gouvernement, l’Histoire a tranché en faveur de Richelieu et de Mazarin, elle a reconnu qu’ils ont été les artisans de la France moderne et unie tandis que la Fronde était le baroud d’honneur d’une société féodale et divisée. Chaque opposant doit méditer cet exemple, en recherchant l’intérêt de son pays avant l’intérêt de son parti ou de sa corporation. La sévérité du jugement de l’opinion envers Nicolas Sarkozy ne sera rien face à la sévérité du jugement de l’Histoire sur ses opposants s’ils persistent dans la voie qu’ils empruntent aujourd’hui.
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