« L’esprit du 11 janvier 2015 » (2/2) : la naissance d’un culte religieux à la conquête de l’École républicaine
« L'esprit du 11 janvier 2015 » est le socle du tournant politique effectué à la suite des attentats survenus les 7, 8 et 9 janvier. Manuel Valls en a détaillé les fondements et les mesures à prendre dans son discours solennel du 13 janvier à l’Assemblée nationale. Les premiers pas de cette politique sont notamment visibles dans l’école avec une nouvelle intransigeance au nom des « valeurs républicaines ». Cet article en deux parties a pour objet son analyse. Dans la première partie, les mots de ce discours furent analysés pour montrer combien ils sont vides de sens et sources de manipulation. Dans cette deuxième partie la construction de cet esprit et les dangers qu’il représente pour l’école et la société sont exposés.
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La première partie de cet article a montré, en s´appuyant sur le Faust de Goethe, les ressorts de la manipulation dans le discours de Manuel Valls. Elle est en définitive simple : détacher les mots de leur signification (soit en ne la cherchant pas, soit en la remplaçant), les charger émotionellement et les utiliser comme vecteurs d'émotions pour orienter la volonté de ses auditeurs. Ceux-ci ne remarquent pas que le sens des mots leur échappe et se laissent guider par les seules émotions que leur inspirent ces mots.
Comment cependant utiliser de tels mots vidés de leur sens ? Méphistophélès dans le passage cité de Faust dans la première partie l’explique :
Avec des mots on discute parfaitement
Avec des mots on construit tout un système
Sur des mots on fonde merveilleusement toute une croyance
D'un mot on ne peut enlever un iota.
Voyons donc dans quelle mesure Manuel Valls suit ces principes et si effectivement il « fonde merveilleusement toute une croyance » et comment il veut la propager.
Nature dogmatique de l’expression « l'esprit du 11 janvier 2015 »
L'expression « l'esprit du 11 janvier 2015 » signifie qu’un « esprit » commun a rassemblé les manifestants le 11 janvier 2015, l’emploi de l'article défini insistant sur l’unicité de cet esprit. Cependant cette affirmation ne coule pas du tout de source. D’une part, on peut très bien considérer que, non un esprit commun, mais une émotion commune a rassemblé les manifestants. D’autre part, les motifs des manifestants furent a priori très divers.
« L'esprit du 11 janvier 2015 » est ainsi une assertion non démontrée, donc un dogme. C'est la pierre fondatrice de la nouvelle « croyance ».
Construction du culte de « l'esprit du 11 janvier 2015 »
Pour bâtir une croyance sur ce dogme, Manuel Valls copie, sans originalité, la structure propre aux religions monothéistes. Les éléments principaux en sont : l´affiliation à un esprit (Dieu unique), un moment fondateur (apparition d'un grand prophète ou incarnation divine sur Terre), un message (révélation divine), un rayonnement (peuple élu ou universalisme), et enfin l'instauration d'une institution religieuse.
Tous ces éléments sont en effet contenus dans la description de « l'esprit du 11 janvier 2015 » faite dans le discours de Manuel Valls :
- Manuel Valls affilie « l’esprit du 11 janvier 2015 » à l' « esprit des lumières » (non divin, mais presque).
- Son moment fondateur furent les démonstrations du 11 janvier et « il y aura un avant et un après ».
- Son message est centré sur les « valeurs républicaines » de « liberté », « égalité », « fraternité », « laïcité » et « tolérance ».
- Cet esprit est porté par la « France », dont c'est « la lumière ».
- Cet esprit a aussi une portée universelle, et c'est « son message universel que l'on a voulu abattre », et c'est pourquoi « le monde entier est venu à [la France], car le monde sait lui aussi la grandeur de la France et ce qu'elle incarne d'universel. »
- Son institution enfin, est « La République » qui, comme une église, « est fraternelle, [..] généreuse, [..] est là pour accueillir chacun. »
Sa forme est tout aussi religieuse : outre le ton incantatoire de l'orateur, de multiples termes du discours sont issus du vocabulaire mystique, par exemple « Nous allons entretenir, je l'espère, comme un feu ardent, cet état d'esprit". Particulièrement caractéristique est la demande aux Français d'être « habité[s] par [c]es valeurs ». Être « habité » (par un esprit - bon ou mauvais), c'est ne plus être tout à fait soi, c'est cohabiter avec une entité spirituelle étrangère : en l'occurence ces « valeurs » vidées de leur sens que les Francais sont exhortés à suivre.
L'incessante exigence de l'unité est aussi propre à la fondation d'une nouvelle croyance. Rien ne peut être mis en question dans « l'esprit du 11 janvier 2015 » puisque « D'un mot on ne peut enlever un iota ». Il n'y a rien à discuter puisqu'il n'y a pas d'idée et on ne peut qu'être pour ou contre. C'est le propre de toute croyance de rejeter la pensée et, de fait, de l'interdire. Cette unité est tout d'abord exigée des députés, derrière un léger vernis diplomatique (1). Le vote final (2) montra que les parlementaires et les sénateurs ont bien compris le message. Cette unité sera ensuite exigée des Français, nous y reviendrons.
Les députés présents participèrent pleinement à cette glorification du nouvel esprit : les commentaires furent dithyrambiques, la communion fut totale, les clivages dépassés et pas moins de cinq « standing ovation » furent données. Signe des temps, la Marseillaise est chantée pour la première fois depuis 1918 à l'Assemblée nationale (posons-nous d'ailleurs la question, pourquoi justement la Marseillaise n'a pas été chantée depuis 1918). Grâce à cet appui le moment fut ainsi qualifié d´historique.
Ce discours a donc tout d'une harangue religieuse pour annoncer la nouvelle croyance de l'« esprit du 11 janvier 2015 ». Manuel Valls fonde un vrai culte, suivant parfaitement les conseils de Méphistophélès. Certes le cadre républicain est déroutant, mais celui-ci n'est plus que décor. En réalité toute cette assemblée est dans une église et Manuel Valls appelle à une croisade au nom du nouvel esprit.
L'« esprit du 11 janvier 2015 » est donc complet : un dogme, une origine spirituelle, un moment fondateur, une portée universelle, des valeurs, une église, un grand prêtre.
Il manque les ouailles.
Plan de conquête à l’école
Encore s’agit-il donc de conquérir les ouailles, ou bien de leur imposer la nouvelle croyance. Le plan de conquête se laisse deviner par les les premières mesures détaillées par Manuel Valls.
Y sont d’abord prévus guerre à l'extérieur et contrôle accru à l'intérieur, sous couvert de lutte contre les « terroristes » (dont la définition n’est bien sûr pas exposée). Grands sont donc les risques d'un Patriot Act à la française et d'une guerre sans fin contre le monde musulman dans une logique de « Choc des civilisations ».
Mais c’est surtout la grande bataille de l'éducation qui va attirer notre attention, une nouvelle croyance devant avant tout préparer l'avenir et former au plus vite les esprits des générations futures. Manuel Valls fait appel à la « mobilisation totale » des recteurs d'académie (dont la prime a d'ailleurs opportunément augmenté de 10.000 € à la veille du réveillon de Noël) pour mener « cette bataille que nous devons gagner, celle de la pédagogie auprès de notre jeunesse » pour la défense de « [nos] valeurs ». : « Avec un message d'exigence. Un message qui doit répercuter à tous les niveaux de l'éducation nationale, autour du seul enjeu qui importe : la laïcité ! La laïcité ! La laïcité, parce que c'est le cœur de la République et donc de l'école. »
En voulant placer « la laïcité [au] cœur de la République et donc de l'école », Manuel Valls suit parfaitement les préceptes de Méphistophélès. Mettons-nous à la place des professeurs : comment expliquer aux élèves un mot comme « laïcité » qui, nous l'avons vu, est vidé de son sens, menant à toutes les interprétations possibles et imaginables ? Ils ne pourront que « s'en tenir aux mots » des programmes scolaires en l'occurence. Les élèves ne pourront pas non plus faire autrement. Il s'installera donc un certain esprit : celui de ne pas se poser de questions, de ne pas chercher le sens des mots, de se contenter « de suivre [le] seul maître » qui a écrit les programmes. Les mots et les concepts, ne seront alors plus qu'utilisés mécaniquement et de façon abstraite.
« Tenez-vous en aux mots ! » Cette adjonction de Méphistophèlès définit au mieux ce qu'est « l'esprit du 11 janvier 2015 ». On comprend toute l'importance de l'école.
Les premières applications du plan : interdiction de la pensée
Ce virage est confirmé par les annonces de Francois Hollande. En déclarant l'« acte II de la refondation de l'école », il se donne pour objectifs la « transmission des valeurs », l'« autorité du maître » et la « fermeté ». Il appelle à des « réserves citoyennes », terme militaire, c'est-à-dire à la mise en place, dans chaque académie, de groupes de volontaires qui pourront intervenir en soutien dans les établissements. De telles réserves sont prévues dès le printemps.
La ministre de l´éducation Najat Vallaud-Belkacem fut aussi très claire lors des questions au gouvernement à l'Asemblée nationale . Elle décrit d'abord les cas d'incidents lors de la minute de silence organisée dans les établissements scolaires qui fut l´objet d´une surveillance à l´échelle nationale des élèves par leurs enseignants. L'auteur de cet article n'en connaît pas d´équivalent. La conclusion de la ministre est sans équivoque : « Oui, l'école est en première ligne, elle sera ferme pour sanctionner, pour créer du dialogue éducatif y compris avec les parents car les parents sont des acteurs de la co-éducation. L'école est en première ligne aussi pour répondre à une autre question car même là où il n'y a pas eu d'incidents il y a eu de trop nombreux questionnements de la part des élèves. Et nous avons tous entendu les « Oui je soutiens Charlie, mais.. Pourquoi les deux poids, deux mesures ? Pourquoi défendre la liberté d'expression ici et pas là ? » Ces questions nous sont insupportables surtout lorsqu'on les entend à l'école qui est chargée de nous transmettre des valeurs et il nous faut nous interroger sur notre capacité à le faire. C'est ce que le premier ministre a fait devant les recteurs hier, c'est pour la raison pour laquelle je mobilise l'ensemble de la communauté éducative pour que nous ne répondions pas par des discours mais par des actes forts. Merci. »
Les actes forts effectivement n’ont pas tardé : convocation au commissariat pour apologie du terrorisme d’enfants de 8 ans, 10 ans, 14 ans ... La Ministre applaudit. Imaginons ce qui se passe dans les familles en France à l’annonce de telles réactions et la chape de plomb qui s’y installe puisqu’une parole de son propre enfant peut être maintenant le sujet d’une convocation au commissariat, d’une accusation et demain d’une condamnation.
Telle est donc l’« acte II de la refondation de l'école » : tout questionnement est interdit, toute parole suspecte est rapportée, un climat de peur s´installe. Historiquement on peut se référer à la peur rouge du Maccarthysme ou encore à l´épisode de folie collective des sorcières de Salem. Mais la folie actuelle, au nom des dites « valeurs républicaines », est tout à fait consciente et maîtrisée par le gouvernement pour imposer son nouveau culte.
Le procédé n'est donc pas nouveau. L'Histoire a montré comment, au nom de tels cultes, furent lancées des guerres au nom de la paix, fut justifiée la barbarie pour la civilisation ou encore bâties des dictatures en se réclamant de la liberté dans une logique toute orwellienne. La seule différence aujourd´hui sont les techniques de manipulation des populations sans aucun doute très élaborées. La programmation neurolinguistique, appelée aussi PNL, est ainsi un procédé de manipulation utilisé fréquemment dans la propagande politique (se reporter par exemple à cet article).
Conclusion
La nature des mots comme dans le discours de Manuel Valls est donc méphistophélique : il ne faut surtout pas les appréhender avec leur idée d'origine, car ils en ont été vidés. Avec de tels mots est bâtie une nouvelle croyance, avec le dogme de « l'esprit du 11 janvier 2015 » comme pierre de fondation. Les institutions républicaines, l'école en premier lieu, doivent en être l'église. Tel est le résumé de cette analyse du discours de Manuel Valls.
« Tenez-vous en aux mots ! », tel est donc l'« esprit du 11 janvier 2015 » : négation de toute pensée et exhortation à suivre des « valeurs », ces bombes émotionnelles, que nous sommes sommés de ressentir. L'éducation en est la bataille majeure et toute la réponse à y donner est contenue dans l'éclair de lucidité de l'Étudiant de Faust : Mais une idée doit toujours être contenue dans un mot.
(1) « Loin de moi l'idée de déposer, après ces événements, la moindre chape de plomb sur notre débat démocratique, et vous ne le permettrez pas, de toute façon. Mais, mais nous devons être capables, collectivement, de garder les yeux rivés sur l'intérêt général. » En clair : Manuel Valls requiert bel et bien cette chape de plomb.
(2) Le projet de loi sur la poursuite de l'intervention française en Irak dont le discours était l'objet fut adopté avec une majorité de 488 députés (1 vote contre et 13 abstentions). Le Sénat a pour sa part voté à l'unanimité : 327 sénateurs sur 346 se sont prononcés pour (19 abstentions). Donc un seul élu sur 848, Jean-Pierre Gorges, député d'Eure-et-Loire, vota contre.
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