La bipolarité répond-elle à une structure mentale de la pensée occidentale ?
Il est intéressant de constater que le bipartisme tend à s’imposer dans la vie politique en France (gauche-droite), aux Etats-Unis (républicains-démocrates) et même dans d’autres pays démocratiques européens. Les tentatives centristes ou d’alliances virent à l’équilibre instable, comme une bille métallique entre deux pôles cherchant à l’attirer, sans que la polarité ne se déplace au centre sur la bille, devenant aimant à son tour, au détriment des deux autres pôles.
Et, pourtant, les partis dominants ont plutôt eu tendance à se modérer plutôt que se radicaliser, en se « centrisant ». Par exemple, la droite en France, traditionnellement conservatrice, priorisant l’ordre, le travail, les valeurs morales et traditionnelles, et en économie le capitalisme, a composé avec la nécessaire solidarité et un interventionnisme de l’Etat. Et la gauche socialiste, plus libertaire sur les valeurs morales, priorisant la solidarité et la redistribution, avec le rôle central de l’Etat dans l’économie et cette redistribution, a dû aussi accepter le capitalisme et le nouvel ordre économique imposé par la mondialisation.
Face à ces deux pôles, le Mouvement Démocrate cherche à proposer une nouvelle offre, cohérente et explicite en termes de valeurs et de projet. Elle n’est pas la synthèse, ni le dénominateur commun des deux offres. En termes de valeurs, elle s’oppose aux valeurs de la droite UMP (et de la droite républicaine américaine, de G. W. Bush) et elle rejoint les valeurs de la gauche sociale-démocrate du PS (et des démocrates américains), en témoigne le Manifeste des Gracques, très proche de la charte des valeurs du Mouvement Démocrate. En revanche, le Mouvement Démocrate n’est pas sur la même ligne programmatique que le PS, refusant de laisser croire en un Etat tout-puissant qui peut tout prendre en charge (et en même temps déresponsabilisant les individus).
Presque 20 % des Français ont voté pour cette offre « centriste » ou « centrale » aux élections présidentielles de 2007, imposant le Mouvement Démocrate comme la troisième force politique du pays. Et, pourtant, ce score n’a pu se maintenir aux élections législatives et municipales. Certes, la loi électorale et le mode de scrutin, favorisant les stratégies d’alliances avec un parti dominant, par anticipation d’un second tour discriminant au profit du majoritaire, y sont pour beaucoup. De plus, il est plus confortable pour les sponsors intéressés par la victoire de certains et surtout des retours d’ascenseur, de financer un nombre limité de partis... Mais il y a aussi probablement une autre cause, plus insidieuse, plus psychologique, à ce retour en force de la bipolarité politique, de ce bipartisme qui s’apparente de plus en plus au bipartisme américain...
Dans la mentalité occidentale, dans la structure mentale des individus comme dans l’inconscient collectif d’une société d’hommes, imbibé de la mémoire de son histoire passée, de l’influence religieuse, de ses guerres et de ses épopées, la plus grande partie des concepts fonctionnent dans la dualité : idée du bien et du mal, du beau et du laid, de Dieu et du Diable, du mâle et de la femelle, du couple composé d’un homme et d’une femme, du vrai et du faux, du corps et de l’esprit, de la thèse et de l’antithèse, du capitalisme et du communisme, de la gauche et de la droite...
Est-ce que cette dualité existe dans la nature et que notre esprit se complaît à la reproduire, à la retrouver, ou bien est-ce que notre pensée a besoin de rendre le monde dual, en le simplifiant, pour mieux le comprendre, simulant la nature en la représentant sous forme de concepts duels ? Peu importe la portée ontologique de la pensée duale...
Le fait est qu’il est plus facile pour l’homme, en particulier l’homme occidental, de simplifier le monde pour le comprendre et ainsi se l’approprier, par des mots simples et par des classifications basiques et binaires.
C’est d’ailleurs la technique rhétorique qu’a employée Nicolas Sarkozy (surtout Henri Guaino, rédacteur de la plupart de ses discours de campagne), comme l’ont bien analysé Louis-Jean Calvet et Jean Véronis, dans leur ouvrage Les Mots de Nicolas Sarkozy (Editions du Seuil), opposant les catégories de population entre elles : les gens qui se lèvent tôt aux autres (les chômeurs), les fonctionnaires qui coûtent cher aux autres qui bossent dur et paient des impôts, etc.
Et cette rhétorique a été d’une redoutable efficacité car elle parle aux gens, elle répond à leurs attentes. C’est simple, le monde est clair, expliqué, et donc leur appartient. Ils se sentent soudain intelligents et en savent gré à leur interlocuteur. C’est magique. Succès garanti.
De même, l’homme occidental aime le duel, le combat entre deux hommes ou deux équipes, qu’il reproduit dans ses loisirs, le sport, les jeux. Le développement de l’individualisme et des jeux vidéo a favorisé des jeux entre deux partenaires ou entre un homme et une machine.
La pensée orientale, asiatique ou moyen-orientale, procède d’autres modes de structuration mentale, elle est plus nuancée, moins binaire, plus dans la gamme des nuances, avec moins d’affrontement entre valeurs extrêmes. Le Yin et le Yang représentent la complémentarité plus que la dualité.
Aussi, indépendamment du fond des valeurs, des idées et des programmes que peut développer un parti, en particulier un parti émergent et non dominant face aux deux majoritaires, peut-on s’interroger sur la stratégie à adopter pour pouvoir devenir l’un des deux pôles et ainsi naturellement entrer dans la structure mentale binaire de la population.
Sur cette hypothèse, la meilleure issue pour le Mouvement Démocrate et son grand challenge à venir est de s’imposer comme l’alternative crédible à la politique de Nicolas Sarkozy, comme le fait aujourd’hui François Bayrou, ce qui est vrai sur le plan des valeurs. Il doit devenir lui-même un pôle, en proposant un projet alternatif crédible, remplaçant le PS ou bien en incitant la partie du PS social-démocrate à le rejoindre.
Ou bien il faut changer profondément les mentalités...
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