La démocratie est-elle menacée ?
Le Blog Citoyen interroge, dans une petite série d’articles, l’avenir de la démocratie, en tant que système politique organisé. La démocratie n’est-elle pas en effet parvenue au terme d’une évolution inéluctable qui la conduit à sa déchéance ? Ce système politique, considéré par certains comme l’ultime achèvement de l’évolution de l’organisation sociale de l’humanité, n’est-il pas entré dans une phase d’autodestruction aggravée par les attaques extérieures que ce système subit de toutes parts. La démocratie n’est-elle pas aujourd’hui confrontée à une alternative cruciale : soit la fin de la démocratie telle qu’elle est conçue depuis les temps modernes soit la réalisation d’une démocratie nouvelle, améliorée, capable de dépasser ses propres paradoxes, capable de colmater ses faiblesses qui la rendent si vulnérable aux attaques extérieures ? Voilà semble-t-il la problématique qui se pose aujourd’hui à l’humanité dans sa globalité et à chaque être humain considéré ici comme citoyen dans son individualité. Modestement, le Blog Citoyen va tenter de poser les termes et les enjeux de ce débat.
Le terme démocratie désigne un ensemble de
principes philosophiques et politiques suivant lequel un groupe social donné
organise son fonctionnement par des règles élaborées, décidées, mises en
application et surveillées par l’ensemble
des membres de ce groupe. (Source : Wikipédia) La formule
célèbre d’un des pères de la démocratie américaine, le 16e
président des Etats-Unis, Abraham
Lincoln, résume semble-t-il cette définition : « le gouvernement
du peuple, par le peuple et pour le peuple », au point que la Constitution
de la Ve République française reprend cette formule.
La démocratie, ainsi conçue, s’oppose à des degrés
divers à l’ensemble de tous les autres systèmes politiques : anarchie,
aristocratie, despotisme, dictature, gérontocratie, monarchie, oligarchie,
ploutocratie, technocratie, théocratie, tyrannie. Elle s’y oppose dans la
mesure où ces autres systèmes politiques ne respectent pas un des principes
fondamentaux de la démocratie : la séparation des pouvoirs.
Conceptualisée à l’origine par deux grands penseurs,
John Locke et Montesquieu, cette théorie de la séparation des pouvoirs a
largement évolué tant dans sa conception que dans son application et aujourd’hui
dans ses enjeux. Traditionnellement, on la présente comme la nécessité de
séparer le pouvoir législatif (celui qui édicte les lois), le pouvoir exécutif
(celui qui met en œuvre les lois) et le pouvoir judiciaire (celui qui contrôle
le respect des lois). On y ajoute aujourd’hui le pouvoir médiatique (celui qui
parle et met en images l’ensemble de la société) tant ce dernier, d’une nature
certes différente des trois autres, est devenu un pouvoir à part entière. En
France, on mentionnera également le pouvoir religieux (celui qui médite) depuis
la séparation de l’Eglise et de l’Etat fondant le principe de laïcité si cher
et si spécifique à la France mais qui résonne aujourd’hui au niveau mondial en
raison de son caractère intrinsèquement universel.
L’intérêt principal de cette séparation des
pouvoirs, qui peut être plus ou moins stricte, réside dans l’objectif primordial
- lequel constitue un autre principe fondamental de la démocratie - de disposer d’institutions
étatiques qui respectent au mieux les libertés des individus.
C’est aujourd’hui autour de cet enjeu - le respect
des libertés individuelles - que l’évolution de la démocratie semble le plus menacer
le système lui-même tant un ensemble de faits conduisent à considérer que ce
respect des libertés individuelles ne constitue plus un principe si fondamental
de la démocratie mais au contraire en constitue une faille, une faiblesse qui
se retourne contre la démocratie elle-même.
Les sociétés modernes disposant d’un système
politique reposant sur des principes démocratiques semblent donc confrontées à
un dilemme cornélien :
Faut-il
renoncer, même partiellement aux libertés individuelles au risque de
perdre le sens de la démocratie elle-même ?
Il faut bien reconnaître que la démocratie depuis
son avènement moderne repose sur cette contradiction originelle - la liberté individuelle conçue de manière
absolue ne peut que conduire à la faillite du système démocratique lui-même en
dérivant vers un système anarchique où la loi du plus fort (que ce pouvoir soit
fondé sur la force ou sur l’argent) prédomine les relations sociales - qui
en fait a priori le régime politique le plus fragile qui soit. Et aujourd’hui
ces contradictions sont soit utilisées par les ennemis extérieurs de la
démocratie soit mises en exergue par des personnes censées constituer elles-mêmes
les garants de la démocratie pour mieux en affirmer ouvertement ou à mots
feutrés l’obsolescence.
Or, nous sommes confrontés depuis l’ère moderne à un
paradoxe. En effet, a priori, nul ne conteste plus la démocratie comme
fondement de l’organisation politique des sociétés humaines. Ceci n’a pas
toujours été le cas dans l’histoire de l’Humanité, et en soi il s’agit là d’un
progrès incontestable.
Mais cet unanimisme de façade, d’aucuns parleraient
de pensée unique, ne constitue en réalité qu’un leurre au visage double.
Ainsi, premièrement, les régimes politiques qui ne
respectent pas les deux fondements majeurs de la démocratie - séparation des pouvoirs et respect des libertés
individuelles - tels les dictatures et leurs dictateurs n’ont de cesse de
montrer au monde que leur légitimité s’appuie en réalité sur des principes
démocratiques. Combien parmi les chefs d’Etat actuels, et participant pourtant à
l’Organisation des Nations Unies - organisation symbole de cette victoire
théorique du principe démocratique -, n’ont pourtant pas été élus par les voies
démocratiques ? Une majorité en réalité. Pour autant, ne sont-ils pas ceux-là
mêmes qui les premiers tendent à justifier leur place et leur fonction par les apparats
de la démocratie, notamment par le recours au suffrage du peuple, par
l’organisation d’élections dont chacun tente de pervertir le système, notamment
par la corruption.
Prenons l’exemple, très opportun je l’avoue, du
Guide libyen Mouammar Kadhafi reçu en grande pompe par le président de la
République française, Nicolas Sarkozy. Il présente lui-même le système
politique de la Libye comme étant fondé sur des principes démocratiques. Pour
autant, la polémique générée par cette visite fastueuse du chef d’Etat libyen
au cœur même du pays, la France, qui se targue, par une immodestie dont chacun
se raille, d’être le défenseur universel des principes démocratiques, ne peut
s’expliquer que par le fait qu’il apparaît comme une évidence que monsieur
Kadhafi n’est pas un chef d’Etat qui défend la démocratie. Sa petite phrase
pour justifier le recours au terrorisme pour les plus faibles constitue d’ailleurs
à cet égard une arme à double tranchant, surtout à l’adresse du pays qui a le
premier prôné le droit à la révolte des peuples comme principe
fondamental ! Je ne doute pas que les lecteurs auront d’autres exemples
plus pertinents en tête.
Mais ce qui est peut-être plus inquiétant, c’est
que, d’un autre côté, les régimes politiques qui sont censés respecter les deux principes
fondamentaux - séparation des pouvoirs et respect des libertés individuelles -
[souvent désignés par les ennemis de la
démocratie comme les pays occidentaux bien que cette définition ne corresponde
qu’à une vision historique du développement des principes démocratiques]
font l’objet certes d’attaques extérieures - mais cela a toujours été le cas
depuis l’origine de la démocratie - mais surtout d’attaques insidieuses en leur
sein même. On peut en citer deux attaques intérieures, de natures différentes
d’ailleurs.
Tout d’abord, je citerai la tendance historique de
certains responsables américains (mais il en existe bien d’autres) - je pense
notamment à George W. Bush qui n’a pas hésité à déclarer ouverte la guerre des
civilisations entre l’Occident et l’Islam sous-entendant qu’il s’agissait d’une
nouvelle guerre des religions mais aussi à Mike Huckabee présenté à l’envi par
les médias comme le messie républicain - de s’appuyer ouvertement sur la Bible
et la religion pour mieux légitimer leurs décisions politiques. Pourquoi cette
dérive serait-elle une menace pour la démocratie ? En soi, les religions (en tant que système de pensée philosophique) ne constituent pas une menace
pour la démocratie à la condition seulement que cette philosophie ne cherche pas
par une démarche moraliste à encadrer les fonctionnements de la société dans ces
aspects non religieux. Or l’histoire de l’avènement de la démocratie aux temps
modernes s’est bien construite sur l’opposition de ce régime politique à l’idée
que la légitimité du pouvoir politique était issu d’un élément divin quel qu’il
soit. C’est ainsi que tous les régimes politiques modernes (régimes
démocratiques et non démocratiques confondus : France, Grande-Bretagne,
Italie, Chine, Japon, Russie) ont mis fin à ce lien qui existait entre le pouvoir
politique et le divin. La légitimité ne vient plus de Dieu. C’est peut-être
cette évolution qui a fait croire à tort à certains que le concept de Dieu
était mort. Or, nos dirigeants actuels, en cherchant à légitimer leurs actions,
leurs programmes politiques et en fin de compte leur pouvoir tout court,
reviennent sous une forme nouvelle à cette conception archaïque et
anti-démocratique qui voudrait que le pouvoir politique soit fondé sur le
divin. Pourquoi s’agit-il là d’une vraie menace pour la démocratie ? Parce
cette démarche s’inscrit dans une volonté de démontrer aux autres responsables
politiques et aux citoyens qu’il existe une légitimité supérieure,
transcendante. Seulement, on oublie d’expliquer aux citoyens que ce faisant on leur
retire le seul pouvoir qu’ils détiennent en vérité, celui d’être le socle du
pouvoir politique conformément à la devise de Lincoln.
Ensuite, je mentionnerai une tendance qui a toujours
menacé les régimes démocratiques, à savoir l’apparition d’argumentaires conduisant
à une logique de restreindre les libertés individuelles. Cette logique est
souvent avancée sous le visage de la nécessité, celle de défendre la démocratie
elle-même. C’est dans cette perspective que la Constitution de la Ve
République prévoit dans son article 16 l’octroi de pouvoirs exceptionnels au président de la République. En relisant cet article : « lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation,
l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux
sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement
régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le président de
la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après
consultation officielle du Premier ministre, des présidents des assemblées
ainsi que du Conseil constitutionnel (...) », on s’aperçoit qu’une
interprétation exagérée ou abusive de ces dispositions peut avoir de lourdes
conséquences, d’autant que cet article ne prévoit en réalité aucun garde-fou
particulier, notamment dans le temps. Cet article a été mis en œuvre par le général de Gaulle lui-même dans des circonstances qui ont d’ailleurs conduit à
la polémique (la gauche de l’époque n’a-t-elle pas hurlé au dictateur !?).
N’oublions pas que c’est par les voies démocratiques que Adolf Hitler est
parvenu au pouvoir, en tant que chancelier. C’est seulement ensuite, arguant
d’artifices, qu’il s’est autoproclamé « Führer » (pour les non
germaniques, précisons que ce terme signifie « guide ». Cela ne vous
rappelle-t-il pas quelqu’un ?). Mais aujourd’hui, si cette menace ultime
sur la démocratie ne doit pas être oubliée, j’estime que la vraie menace est
aussi plus larvée. Il suffit de se référer à toutes ces mesures partielles,
technocratiques, mais qui vont toutes dans le même sens : restreindre les
libertés individuelles. La perversité de ces mesures repose sur le fait
qu’elles sont légitimées par leur nécessité, à un titre ou à un autre il
s’agit, notamment depuis les attentats du 11 septembre 2001 contre les
Etats-Unis, de garantir le maintien de la sécurité. La meilleure illustration de
cette dérive plus ou moins pernicieuse est faite par la série de télévision 24
heures chrono où le président des Etats-Unis devient l’incarnation de ce
terrible dilemme : faut-il restreindre les libertés individuelles pour
mieux défendre la démocratie au
prétexte qu’elle serait menacée ? Prenant ces exemples, on pourrait penser
qu’il s’agit seulement de faits historiques ou de science-fiction. Seulement la
réalité de tous les jours dépasse parfois notre imagination. Qui aurait pu
imaginer que les responsables politiques américains auraient l’odieuse audace
de créer une prison située hors de toutes les juridictions (rappelons que, si
Guantanamo est aujourd’hui devenu célèbre en raison de la prison qui y est
située, il s’agit avant tout d’une enclave territoriale sur l’île de Cuba,
terrible paradoxe et aveu originel de la culpabilité des Américains : ce
qu’ils ne pouvaient faire sur leur territoire pour des raisons juridiques, il
l’ont fait sur le territoire de leur
« dernier » ennemi Fidel Castro !!! Comme si cela pouvait en soi
justifier le recours à la torture !). Là encore, je ne doute pas que les
lecteurs auront d’autres exemples pertinents à fournir pour mieux illustrer ces
propos. A titre d’exemple pour la France, je mentionnerai ce projet dénommé du
doux prénom « Elsa ». Connaissez-vous « Elsa » ? Pour
mieux vous éclairer je vous cite quelques extraits d’un article tiré du journal
Libération paru le 26/10/2007 : « le projet
nommé Elsa (Engin léger pour la surveillance aérienne) a été présenté la
semaine dernière au Salon Milipol consacré à la sécurité intérieure. Il se
présente comme un oiseau d’un mètre de large et de soixante centimètres de
long, muni d’une caméra. Ce drone équipera la police nationale pour surveiller
à distance les quartiers populaires et les manifestations. (...) Les cités
doivent être entourées par des murs virtuels sous contrôle aérien permanent. Le
sentiment de vivre dans des territoires sous occupation militaire, dans une
sorte de colonisation, est déjà intériorisé par de nombreux jeunes issus de
l’immigration depuis les émeutes de novembre 2005 au cours desquelles fut
instaurée la loi sur l’état d’urgence, appliquée pour la première fois depuis
la guerre d’Algérie. (...) » (Source : Libération)
A dérouler cet argumentaire, on pourrait croire que
la démocratie n’en a plus pour longtemps. Et il faut une dose certaine d’optimisme
pour croire le contraire compte tenu de tous les événements qui semblent
annoncer le pire pour la démocratie. Dans un prochain article, je prolongerai
cette discussion en tentant de montrer ce contraire qui veut que la démocratie,
loin d’être à l’article de la mort, est en train de subir une évolution majeure
qui devrait conduire les citoyens à devenir le vrai fondement du pouvoir
politique.
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