La faute de Mélenchon
C’est peut-être un tournant de la campagne qui se joue en arrière-cour et sur le web, depuis quelques jours et qui vient de connaitre un nouveau tournant. Jean-Luc Mélenchon vient de commettre une grosse faute, qui pourrait rejaillir sur toute sa campagne. Il a une fois de trop attaqué son ancien compagnon de la campagne du non au TCE José Bové. Et cette fois, la faute (de ponctuation) est devenue une faute (politique).
À partir d’un article paru dans l’hebdomadaire Politis de cette semaine (José Bové : Mes divergences avec Cohn-Bendit sont derrière nous, jeudi 21 mai - http://www.politis.fr/article7107.html), Jean-Luc Mélenchon, sans doute très agacé, a lu trop vite et mobilisé ses troupes autour du thème : José Bové a menti, il a trahi le camp du non (au TCE de 2005). Il rédige immédiatement un post spécial consacré à l’affaire sur son site, dans lequel le sénateur en campagne explique que le "traitre" Bové vient de signer un terrible aveu...
Après l’étonnement de mise, quelques lignes pour se lamenter de cette terrible nouvelle, : "Ça c’est la bombe de la semaine. Le vrai crève cœur du moment. Quand on me l’a appris, j’ai cru que ce n’était pas vrai. Et pourtant si, c’est vrai. Et c’est même confirmé par l’intéressé."
Rappelant combien Bové avait été un vrai compagnon de route du non, contre le méchant Dany Cohn-Bendit, son allié d’aujourd’hui, Mélenchon termine son billet : "Et, bien sûr, le plus incroyable c’est non seulement qu’il nie un fait que n’importe qui peut rectifier mais surtout qu’il l’assortisse de commentaires injurieux sur le nationalisme des partisans du non. Je crains qu’il y ait un problème. Je ne sais pas lequel. Mais c’est tellement incroyable ! Et surtout si peu crédible."
Une coquille dans le journal
Rassurons le grand inquisiteur du PdG, il y avait bien un problème, mais apparemment il n’avait pas vérifié ses sources et s’est bêtement monté le chou contre son « traître » favori, par la faute d’une coquille dans le journal de ses grands amis de Politis. Volontaire ou pas, la version publiée d’un extrait de livre d’entretien entre José Bové et Claude-Marie Vadrot était tronquée et changeait radicalement le sens de la phrase incriminée.
Voici les deux versions : la bonne, celle du livre d’entretiens récemment publié par Claude-Marie Vadrot (José Bové, un paysan pour l’Europe, éd. Delachaux et Niestlé)
"Effectivement, j’ai voté non au traité constitutionnel, mais je n’ai pas fait campagne, une campagne très écoutée, au nom de vieux principes archéo-souverainistes qui nous ramèneraient au repli identitaire sur l’État-nation (...)
Et voici la mauvaise, recopiées dans Politis :
"Effectivement, j’ai voté non au traité constitutionnel, mais je n’ai pas fait campagne. Une campagne très écoutée, au nom de vieux principes archéo-souverainistes qui nous ramèneraient au repli identitaire sur l’État-nation (...)
Politis a fait une telle erreur en retranscrivant l’extrait ? (dans la version papier, car la version Web est inaccessible en entier, sauf aux abonnés). Incroyable, non ?
Ah ! La parabole du point et de la virgule, qui change tout ! Eh oui, un vrai cas d’école de journalisme. Une “co(q)uille", comme on dit. Et une belle, une superbe, avec plein d’implication et tout...
Erreur involontaire, de la part du journal ? Bien, admettons. Mais alors pourquoi Politis n’a pas immédiatement publié un erratum en toute page (web) dès jeudi dernier, puis promis de se flageller en place publique avant de demander mille pardons à l’auteur et à tous ses descendants sur trois générations, pour avoir laissé passer une telle erreur et ainsi changé complètement le sens d’une phrase ? On s’abstiendra ici de chercher d’autres explications, par respect pour ce journal que nous sommes sans doute nombreux à avoir estimé.
Rectificatif, par l’auteur de l’article
Ce n’est que ce lundi soir que l’auteur de l’article, Claude-Marie Vadrot, alerté par plusieurs lecteurs, rectifie dans son blog sur le site du journal.
• lundi 25 mai 2009 à 21:05
• José Bové victime d’un tragique bug informatique
• par Claude-Marie Vadrot
• Le dernier numéro (1052) de Politis est paru le jeudi 21 mai avec un extrait du livre fait des conversations que j’ai eues avec José Bové pour le livre "José Bové, un paysan pour l’Europe". Un bug informatique (dont je suis peut-être le responsable au moment de la transmission du fichier d’origine) fait dire à José "Je n’ai pas fait campagne". Ce qui ne correspond pas à la réalité et est exploité depuis quelques heures par ses amis et ses ennemis.
Il suffit de se reporter à la page 157 du livre qui est en librairie (éditions Delachaux et Niestlé) pour retrouver la réponse exacte à ma question, réponse qui devrait ramener le calme dans les esprits mal intentionnés qui peuvent faire l’effort de lire tout le bouquin avant de grimper aux rideaux :
• "Effectivement, j’ai voté non au traité constitutionnel, mais je n’ai pas fait campagne, une campagne très écoutée, au nom de vieux principes archéo-souverainistes qui nous ramèneraient au repli identitaire sur l’Etat-nation : c’est effectivement un schéma qui ne peut plus fonctionner, qui n’a plus de sens, qui nous ramène à ce qu’il y a de pire dans le nationalisme".
• Fin de la polémique, donc.
Pour ceux qui veulent vérifier, le livre dont est issu l’extrait est encore en vente dans toutes les bonnes librairies, il suffit de l’ouvrir et regarder : l’extrait est en haut de la page 157.
Que les fins limiers du FG et autres chiens de garde de la bonne pensée vérifient, puisque c’est leur rôle. Et qu’ils disent ensuite ce qu’il en est, maintenant qu’ils savent que tout cela n’était pas vrai. Mais ils le savent déjà, peut-être, pour la plupart, s’ils ont acheté et lu le livre... Au moins, devant l’incongruité du propos, ils auront vérifié, évidemment. Et c’est bien tout le problème.
L’affaire continue
Fin de l’affaire, alors ? Non, justement. Parce que la vraie affaire commence à peine. Et elle n’est pas prêt de s’arrêter. D’un côté, le rectificatif de l’auteur (mais pas de la rédaction) qui devrait mettre fin à tout et renvoyer les zélés commentateurs à leurs chères études ; de l’autre, la trainée de poudre et l’incroyable récupération de cette coquille par les milieux proches du Front de gauche et du NPA sur la toile. Les anti-Bové se déchaînent depuis deux jours, citant le billet du grand Mélenchon, et se rappelant moult anecdotes et signes qui ne trompent pas que ce José était bien un “traître en puissance”, un “fourbe”, un “faux agriculteur” qui d’ailleurs “passe sans arrêt dans les médias”, et aurait même “une maison écolo” (c’est dire)… Le délire prend encore en ce moment des proportions étonnantes par sa violence et son extension dans certains milieux réputés proches de la gauche anti-capitaliste. Comment expliquer tant de haine, après tant d’amour ?
Que se passe-t-il, alors ? Une erreur aussi manifeste peut-elle générer de tels effets sans poser question ? Y a-t-il manipulation ? Ou encore, le besoin de se refaire une petite passe d’armes sur le dos du nouveau bouc-émissaire en vogue, depuis qu’il aurait "trahi" ?
Et on revoit poindre le vieil adage si partagé : « calomniez, calomniez… Il en restera toujours quelque chose… »
La figure du traître en milieu trotskiste
Les aubaines d’hier sont souvent les traîtres de demain, messieurs. Et ces messieurs du non-qui-continue ont assez utilisé la bonne affaire d’un Bové au zénith pour ne pas supporter qu’il vole sans eux. La méthode est assez piteuse, mais elle marchera sas doute au sein de certains cercles, puisque les ouailles zélées n’entendront que ce qu’elle veulent qu’on leur dise. Et puis, on est là pour du boulot à l’Europe, alors : à la guerre comme à la campagne électorale, hein !
José Bové est donc aujourd’hui la victime désignée d’un atavisme de cette gauche un peu habituée aux passes d’armes et aux exclusions passionnées. Quand les trotskistes s’étripent et se divisent (NPA vs. FG) pour un poste au parlement européen (et le salaire qui va avec, même en cas d’absences nombreuses), il leur faut trouver un "ennemi commun" : on retrouve la légende du bouc-émissaire, qui, chargé de tous les maux, est chassé du village pour que revienne la concorde entre les ennemis d’hier. Et c’est le “traître” Bové qui s’y colle, cette fois.
Et si Méluch le socialiste et Oliv’ le trotsko avaient en fait de vrais torts et une bonne dose de mauvaise fois, dans cette affaire ? Et si le NPA/LCR voulait surtout, pendant ces Européennes, faire oublier qu’il a été le premier à partir seul à la Présidentielle, en 2007, au mépris des comités anti-libéraux ? Et si le PG voulait faire oublier qu’il est surtout une scission du PS chargée de ramener quelques ouailles dans le giron de la grande famille ?...
Les attaques, ça fait aussi boomerang
Facile, le coup du traître excommunié de la famille ? Oui, c’est piteux et pas très beau, mais ça marche, puisque tout ce petit monde n’attend qu’un signe, qu’une petite erreur (de ponctuation) pour tirer à vue et se refaire une virginité à peu de frais.
José Bové a beau dire l’inverse de ce qu’ils lui attribuent à longueur de journaux depuis des mois, le répéter sur tous les tons... Peu importe, un virgule mal placée, et hop !! Le traître est démasqué.. Haro sur le Bové ! Ce n’est plus du journalisme, ce n’est même plus de la politique. C’est de l’acharnement maladif et ridicule. À force d’excommunier de nouveaux traîtres du jour, cette gauche va vraiment finir par être triste et esseulée. Et c’en sera fini. Et puis surtout, il lui faut d’urgence apprendre à dire des choses vraies. Il paraît que c’est révolutionnaire.
La petite histoire pourrait se terminer sur un petit mot d’excuse. Mais cette fois, les projecteurs de la campagne des Européennes sont braqués sur les candidats et toute cette affaire qui va faire flop va contribuer à ridiculiser ses porteurs auprès de nombreux électeurs de gauche, sincères, mais pas dupes des méthodes employées. Les anathèmes lancés vont revenir comme par un effet boomerang et le Front de Gauche de Mélenchon va en pâtir sérieusement, auprès de tous ceux qu’il voulait séduire par sa verve et son côté rigide. Par quelques outrances et effets de manche accusateurs, Jean-Luc Mélenchon, par son choix d’une campagne toute entière axée sur l’attaque de tous ceux qui auraient trahi le non au TCE, a manqué l’occasion de mener une campagne d’arguments. En quelques jours et une grosse erreur de jugement, il vient de briser la moitié de son programme, qui peut se résumer en une phrase de tribune : José a trahi le non, je suis le dernier des nonistes.
Bref, si quelqu’un veut lui rendre service : informez-le qu’il vient de faire une grosse faute. Et qu’il serait nécessaire qu’il la reconnaisse très vite et qu’il ne lui reste que quelques jours pour éviter le pire, au risque de ne plus jamais parler sans laisser un soupçon de doute à ses interlocuteurs.
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