La France bientôt gouvernée par un parti unique... un peu comme la Chine
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Ces passionnées mais pas forcément passionnantes élections présidentielles de 2007 ont donné l’image d’un retour de la politique au sein de la vie publique et d’un regain d’intérêt des Français pour les débats contradictoires. Quelle ferveur dans les meetings de Ségolène Royal et de Nicolas Sarkozy, sans oublier le suspense du troisième homme, François Bayrou ou bien Jean-Marie. Et même Bayrou un moment joué second, mais avec une probabilité très faible. Ces événements laissent penser à une démocratie se portant bien. Et, pourtant, le paradoxe est bien là. Les Français ont été passionnés par la bataille, ont causé dans les cafés, les familles, les lieux de travail, les associations, laissant penser à une alternative. Alors que la vérité est implacable. La France s’oriente vers une gouvernance exercée par un parti unique. Un peu à la manière des Etats-Unis, avec ce parti unique aux deux ailes, démocrate et républicaine, ainsi désigné par l’écrivain Gore Vidal. En France, ne peut-on penser également à l’hypothèse d’un parti unique en voie de constitution, un parti doté de deux ailes, l’une socialiste démocrate et l’autre républicaine de droite ?
Il semble qu’on assiste à une convergence en termes de positionnement politique avec un effondrement de l’opposition traditionnelle gauche-droite. Une opposition qui avait une légitimité, un ressort et un ancrage assez clairs. Une opposition reflétant un antagonisme de classe, naguère incarnée par un parti communiste puissant, dont le déclin fera la force du Parti socialiste qui récupérera un moment la base ouvrière. Qui n’a pas entendu parler de la puissante fédération du Nord, région industrielle et son emblématique figure d’époque, Pierre Mauroy, premier locataire de gauche à Matignon. Mais, peu à peu, la désindustrialisation aidant, le progrès galopant, le tertiaire croissant, la finance en puissance, et l’impuissance face au chômage, tous ces ingrédients ont contribué à redessiner la carte politique française. Le socialisme prend ses couleurs plus libérales alors qu’un parti autoritaire, archaïque et xénophobe s’empare d’un électorat désemparé, pas très homogène, fait des ouvriers déclassés et déçus de la gauche, alliés aux « bons Français » inquiets de l’avenir et de l’immigration auxquels se greffent des bourgeois vieille France. Le FN empoisonne la vie politique pendant vingt ans. Troublant les scrutins locaux. Mais, en 2007 et 2008, on pressent que le F de front signifie plutôt fin !
Etat des lieux en 2007. Un président Sarkozy maniant les valeurs du travail, mais assez moderniste, surtout pour les réformes que les Français semblent accepter tout en étant mécontents, mais c’est la faute sans doute aux trous d’air économiques, alimentation, pétrole. Sarkozy a pris avec lui des ministres d’ouverture et certains se disent sarkozystes de gauche. Alors que le PS voit quelques-uns de ses chefs pencher également pour les réformes et le modernisme. On dirait une convergence sur l’essentiel. Comme si la politique épousait les « nécessités » de l’économie réelle et de la société réelle. Du coup, quelques députés de l’UMP sont déconcertés par la politique du président alors que des éléphants du PS sont eux aussi désorientés par les évolutions du parti sans que les rênes ne soient fermement tenues par une personnalité. Et, donc, ça pousse dans plusieurs sens. Jusqu’aux prochaines présidentielles. Mais sans qu’on puisse penser à une différence radicale entre droite et gauche. Certes, les façades sont présentées différemment. A gauche, on doit maudire les grands profits et les grandes fortunes. Mais, dans la salle des programmes politiques, rien de bien différent.
Les usines à produire du politique se ressemblent. A gauche, diverses fondations ont servi de laboratoire d’idées. Certes, la fondation Copernic se distingue par ses positions anti-libérales et anti-européistes, mais les instituts liés au PS produisent des idées de réformes ressemblant à celles produites par les think tanks de droite, notamment l’Institut Montaigne et Fondapol. C’est sans doute pour rivaliser en dimension que Terra Nova a été créé pour faire face aux intellectuels de chez Montaigne. Des intellectuels apparemment interchangeables. Prenons par exemple Patrick Weil, historien à Paris I, qui a participé au Sarko team, autrement dit, à l’équipe de réflexion managée par Emmanuelle Mignon. Patrick Weil qui a usé d’un droit de réponse pour bien mentionner qu’il n’a pas pris l’initiative de collaborer avec le Sarko team, mais qui a juste répondu à la sollicitation de Mme Mignon. Appréciez la nuance. « J’y suis pour rien, je ne suis pas un mauvais type, on est juste venu me chercher ! » Eh bien, on retrouve Patrick Weil dans l’organigramme de Terra Nova, le nouveau think tank déclaré progressiste. Anecdotique, certes, mais emblématique d’une évolution de la politique axée non pas sur des valeurs, du cœur, des classes sociales, des idéaux, mais sur des expertises, des analyses de problèmes, des solutions techniques. Bref, le nouvel esprit du capitalisme, analysé par Eve Chiapello et Luc Boltanski, avec ses réseaux, sa logique managériale, ses façonneurs d’âmes, ses producteurs de fonctionnalités humaines ajustées dans des tâches évolutives, adaptés pour résoudre et réaliser des objectifs chiffrés… Eh bien, ce nouvel esprit est passé dans le politique. Et les think tanks de droite et de gauche ne font en vérité qu’incarner ce nouvel esprit du politique qui, du reste, est mis en place dans les structures opaques des cabinets. Si bien que ce nouvel esprit du politique n’est ni de droite ni de gauche. Il est de l’efficace et du management d’hommes. Ces think tanks ne sont que des doublons inutiles sauf pendant les campagnes électorales nationales. Le succès de Sarkozy en résulte.
Dans un billet récent, j’avais pointé une consanguinité dans le comité scientifique de Terra Nova. Observons qui émarge et qui débat à l’Institut Montaigne, nous verrons les mêmes profils professionnels, présidents, directeurs… puis des journalistes en vue ; ainsi qu’un métissage discret accueillant quelques intellectuels de gauche. Par exemple, dans un conseil d’orientation marqué à droite, Guy Carcarsonne collabore avec Nicolas Baverez et Alain-Gérard Slama. Quant aux conférenciers invités, ils viennent de l’UMP comme du PS ou bien des Verts. Ce sont les mêmes qui sont interchangeables et que l’on retrouve, selon les affinités en réseaux, dans les journaux, les maisons d’édition, les médias, les cabinets ministériels, les think tanks, les bureaux opaques de Bruxelles où se préparent les directives européennes dans un environnement squatté par les émissaires du lobbying. Et, comme tout parti qui se respecte, des lieux de formation de ses cadres sont prévus. Ena, Sciences po, quelques universités parisiennes et départements de grandes écoles.
On comprend maintenant pourquoi la France va être gouvernée par un parti unique, comme la Chine où ce sont les mêmes qui gèrent les hommes, avec des techniques, des plans, des calculs, des hiérarchies, des scientifiques de la gestion humaine, des administrateurs. La différence, c’est qu’en France, comme dans d’autres démocraties européennes, il y a le choix entre deux fabricants de politique publique. C’est un peu notre héritage qui ressort, mais aussi un pragmatisme plein de bon sens au vu de notre culture. Une politique sera d’autant mieux acceptée, même si elle ne plaît pas, du moment que les gens ont choisi l’équipe aux commandes. Celui qui achète une Peugeot ou une Renault et qui n’est pas satisfait de son véhicule ne va pas le saborder dans un ravin. Il s’en accommode, avec les réparations si nécessaires. Alors que si on lui impose une automobile qui tombe souvent en panne, eh bien il va se plaindre auprès des autorités. Dans le système démocratique à parti unique, deux constructeurs se font concurrence. Les Français ont choisi Sarko plutôt que Ségo.
La politique, en France comme en Chine, est une pièce de la mécanique sociale. Ensuite se greffe une culture qui, sans doute, représente ce qui nous est essentiel et le plus cher. Ici, nous sommes attachés à la liberté d’expression, de manifester, de conspuer les pouvoirs en place. Cela ne change pas grand-chose au cours du monde dominé par la technique, les désirs et l’économie, mais, au moins, ce bien de liberté nous reste précieux pour cette dignité qui nous est proposée et que les uns prennent alors que d’autres préfèrent raser les murs. Ainsi va le cours d’une société qui converge vers une gouvernance par un parti unique proposé par deux fabricants de programme. Soyez heureux, prenez soin de vous !
En dernière analyse, on notera que la gouvernance d’un parti unique, monocéphale comme en Chine ou bicéphale comme aux Etats-Unis, en GB, en Allemagne ou en France, correspond à l’effondrement des antagonismes de classe. Une division devenue de plus en plus inopérante à notre époque de développement technique. En Chine, l’antagonisme de classe a été résolu par la révolution culturelle de Mao, prenant appui sur un terrain favorable, une culture prête à épouser le communisme chinois. Ensuite, greffer une économie performante fut une chose pratiquement naturelle même si cela a engendré quelques dégâts sociaux. Et tous les Chinois d’appartenir à une seule classe, celle des producteurs et consommateurs. En France, l’avènement de l’individu consommateur a engendré la gouvernance d’un parti unique. Tous unis pour la croissance et l’accès au bien matériel. C’est donc logique. Le parti unique UMPS défend le consommateur. Sarkozy a été désigné président du pouvoir d’achat. Si son adversaire de gauche avait été élue, elle aurait aussi lutté pour le pouvoir d’achat.
En ultime ressort, le rôle de ce parti unique est de fabriquer une société selon les normes qu’elle a établies tout en trouvant des astuces pour rendre plus efficaces les productions économiques et la croissance. Les exemples ne tiendraient pas dans un livre entier. On décrète qu’il faut tant de senior, tant de mixité sociale, on définit ce qu’est un emploi acceptable, le temps de déplacement plafonné, deux heures par jour, le salaire plancher et ainsi de suite… Voilà comment fonctionne le parti unique qui, en Chine comme en France, produit la société à sa manière. Et Obama, n’est-il pas le chantre de ce parti pris, lui qui affirme que c’est l’Etat américain qui a produit la société. En "caricaturant", on dira que le parti unique croit en une chose, en la légitimité de ses élites, la compétence des expertises et la supériorité de cette caste pour produire la société efficace et radieuse par le biais de l’Etat.
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