La nature de classe des partis dits « islamistes »
Les partis présentés comme prétendument islamistes ne sont pas en réalité des mouvements religieux, mais des partis politiques conservateurs qui utilisent l'idéologie religieuse. En l'absence d'une bourgeoisie nationale dans les pays dominés par l'impérialisme, ce sont des partis politiques petits-bourgeois, inféodés à l'impérialisme et respectueux de la propriété privée des moyens de production ; ils ont été constitués dans la plupart des cas contre le socialisme et l'idée de la lutte de classe car, partant du principe qu'il y existerait une communauté musulmane, ils s'opposent avec force à toute idée de division de la société en classes sociales. Pour eux un musulman, qu'il soit patron ou ouvrier est un frère. De ce point de vue, ils sont proches de l'idée corporatiste chrétienne, partisane de l'association capital-travail.
La confrérie des Frères musulmans fut fondée par le cheik Hassan el-Banna, en Egypte en 1928, après l'effondrement de l'empire ottoman, contre l'appel lancé aux peuples opprimés de l'Empire ottoman par la classe ouvrière russe qui, en expropriant le capital, avait permis la libération des peuples opprimés dans l'empire tsariste.
En 1921, la tenue d'un congrès des peuples d'Orient, à l'initiative de l'Internationale communiste, avait jeté les bases d'un mouvement révolutionnaire prolétarien dans les différentes parties de l'empire ottoman démembré. Explicitement, les Frères musulmans avaient fondé leur mouvement contre "l'emprise laïque occidentale" et "le communisme".
La constitution des Frères musulmans s'opposait donc au combat révolutionnaire dans ces pays, mais également au mouvement nationaliste arabe qui intégrait une certaine dose d'anti-impérialisme. Pour les Frères musulmans, l'idée d'émancipation nationale et de réalisation des tâches nationales et démocratiques était contradictoire avec leur propre perspective d'un califat basé sur la charia et rassemblant tous les musulmans quelles que soient leurs nationalités.
C'est ainsi que les Frères musulmans se sont, dès leur constitution, opposés au Baas ("parti de la résurrection arabe"), mouvement politique arabe et socialisant, officiellement fondé le 7 avril 1947 par des intellectuels syriens, chrétiens et musulmans sunnites et alaouites. Le Baas s'opposait à une politique socialiste conséquente en lui opposant un prétendu " nationalisme arabe socialiste", dans le but de réaliser une "grande nation arabe". Les branches syrienne et irakienne de ce parti prendront le pouvoir dans leurs pays respectifs en chassant l'ancien régime. Le président actuel de la Syrie, Bachar Al-Assad,est l'héritier de ce parti comme l'était Saddam Hussein en Irak. D'une certaine manière, le mouvement égyptien des Officiers libres, dirigé par Nasser et qui a pris le pouvoir en 1952 en Egypte, s'apparente à une idéologie de nationalisme arabe de même type.
Les Frères musulmans ont violemment combattu ces régimes nationalistes arabes et laïques. Ils ont été, dans ces trois pays, interdits et férocement réprimés. Au début des années 1950, l'administration américaine s'intéresse donc aux Frères musulmans, comme alliés potentiels contre Nasser et les régimes qui, dans la région, véhiculent une idéologie anti-impérialiste et ont passé des accords de coopération avec l'URSS.
Talcott Seelye, diplomate américain en Jordanie, rencontre Saïd Ramadan, dirigeant des Frères musulmans. Il lui obtiendra un passeport diplomatique jordanien pour faciliter ses déplacements. En 1953, Eisenhower reçut à la Maison-Blanche une délégation des Frères musulmans, conduite par Saïd Ramadan, fils spirituel et secrétaire personnel du fondateur des Frères musulmans et, en 1971, la CIA collabora activement avec les services de renseignements saoudiens pour soutenir les Frères musulmans dans une campagne mondiale contre le "communisme". En 1978, l'année des accords de Camp David signés entre l'Egypte et l'Etat d'Israël, les Frères musulmans renoncent officiellement aux actions violentes. Une scission se produit dans leur rang, et c'est un membre de l'un des groupes scissionnistes qui assassinera le président Sadate en 1981.
Ce n'est donc qu'après l'implication entière du régime égyptien dans la mise en oeuvre de plans américains sur la base des accords de Camp David, que l'administration américaine prendra ses distances avec les Frères musulmans, au nom de la lutte contre le terrorisme islamiste et al-Qaida.
Le fait qu'au cours du processus révolutionnaire actuel les dirigeants des Frères musulmans aient déclaré qu'ils respectaient les traités internationaux signés par l'Egypte, permet le rétablissemnt des relations avec l'administration américaine, The Egyptian Gazette,daté du 24 novembre 2011, souligne que
" Les médias et les officiels israéliens ne cachent pas leurs préoccupations devant le développement des Frères musulmans (...) Un responsable israélien a dit : " L'annulation du traité n'est pas aujourd'hui -et j'insiste sur le mot aujourd'hui - d'actualité. Quant le gouvernement égyptien sera stabilisé par le processus électoral, il devra sérieusement respecter l'accord. " Scharoni ,un général de réserve, a indiqué : "Le traité sera maintenu, pas à cause d'un amour pour Israël, mais parce qu'il est dans l'intérêt fondamental de l'Egypte. Yatom ancien responsable du Mossad a approuvé "l'accord soutenu par les Etats Unis. Et les Egyptiens continueront de bénéficier de la technologie et de l'argent américain après les élections."
D'ailleurs, le Hamas,qui n'est rien d'autre que la branche gazaouie des Frères musulmans, lors d'une réunion au Caire avec le Fatah pour passer un accord de "réconciliation" début décembre, a déclaré reconnaître les conditions mises en place par le Quartet (Etats Unis, Russie, Union européenne et Chine) sur le moyen-Orient.
Il s'agit d'une reconnaissance de facto de l'Etat d'Israël. Ghannouchi, leader historique d'Ennadah en Tunisie et longtemps interdit de visa pour les Etats Unis, est parti début décembre à Washington, à la suite d'une invitation du magazine Foreign Policy. Cette visite s'inscrit dans le cadre de la récompense que Foreign Policy a accordé à Gannouchi, inscrit dans la liste des cent plus grands intellectuels de l'année 2011, en compagnie d'Obama, Hillary Clinton, Sarkozy, Bernard-Henri Lévy, David Cameron. A cette occasion, le leader d'Ennadha a déclaré, devant l'institut Washington d'études politiques sur le Moyen-Orient, s'opposer à l'idée qu'on puisse remettre en cause les rapports établis par le régime Ben Ali avec Israël. Il a également reconnu la place et le rôle de l'Otan à la suite de la guerre en Libye, notamment, a-t-il dit,du fait des rapports historiques avec l'Union européenne, dont nombre de pays sont membres de l'Otan.
L'administration américaine, après ce nouveau tournant adopté pour préserver sa domination, s'appuie désormais sur la collaboration de ces partis avec les partis de gauche ou laïques, proches de l'Internationale socialiste ou issus du stalinisme, pour s'opposer au processus révolutionnaire. Bien évidemment, cela ne va pas sans contradictions parce que, historiquement, ces partis dits islamistes, donc prétendument opposés à Israël, dénonçaient les Etats-Unis comme principal soutien des sionistes.
Mais pour ces partis, qui récusent toute idée d'expropriation du capital, il n'est pas possible de s'émanciper de la domination impérialiste. Dans les pays dominés par l'impérialisme, le véritable maître de l'économie n'est pas la bourgeoisie nationale débile et compradore, tunisienne ou égyptienne, mais d'abord et avant tout le capital impérialiste, c'est-à-dire les grands trusts américains ou européens.
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