Le Bourget gentilhomme
Non ! Décidément, non ! La représentation ne nous a pas convaincus ! Le protagoniste n’était pas taillé pour le rôle ! Trop petit, un rien trop replet encore ! On a beau arriver la gueule semi-enfarinée, et lancer trente-six mille JE, ça ne vous grandit pas son bonhomme ! Certes, notre œil s’est contraint au nanisme depuis bientôt cinq ans que l’autre gesticule ! Nous n’en sommes pas devenus aveugles pour autant !
Y en aurait-il qui « [prendraient] les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages » ?
Nous conseillerons donc au mauvais comédien de changer d’accessoire, et de chausser des bottes d’au moins sept lieues.
Car le rôle exige une pointure. Une pointure de plus. Si ce n’est deux ou trois, voire plus.
Côté coiffure, la houppette masquant une petite calvitie, confirme notre impression : l’esthétique de la taille réduite nous semble un choix discutable : certes, l’art dramatique, parce qu’il est art de l’illusion, doit explorer tous les partis pris esthétiques. Mais, ici, le trait est forcé. Jusqu’à la distorsion. Deux exemples expliqueront notre appréciation de la très médiocre prestation de cet artiste :
Tout d’abord, l’esthétique de la taille réduite influe sur la diction : la première phrase prononcée de ce long monologue appelle une analyse précise :
JE SUiS HEU VENU VOUS PARLER DE LA FRance
Le comédien, par une malheureuse scorie de langage – un HEU intempestif – scinde sa phrase en deux : JE SUiS /VENU VOUS PARLER DE LA FRance. Le premier membre, JE SUiS, prouve que le comédien ne doute pas qu’il EST. C’est même là toute sa certitude. Dirons-nous que « le MOI est haïssable » ou que l’égalité, tant prônée par la suite, se mesure à l’EGO de ce nouveau JESUS ? ou qu’il est bienheureux qu’un être soit sûr de sa substance quand il veut assurer sa subsistance ? Nous laisserons nos malicieuses lectrices et lecteurs trancher, s’il y a lieu.
Avec le HEU pointe l’incertitude. Comment l’interpréter ? Incertitude liée au trac ? à cette peur que la mémoire ne fasse des couacs ? ou incertitude sur l’action à venir – parler de la France ? Incertitude sur sa capacité à en parler ? Si l’incertitude commence à la parole, qu’en sera-t-il du geste ?
L’accentuation descendante de la fin de la phrase, sur le mot France, s’avère une erreur de débutant. Or le comédien n’est pas un nouveau venu dans le métier, il fait partie d’une troupe connue. Pourquoi baisse-t-il le ton sur la finale FRance ? alors que c’est le mot qu’il fallait porter haut ! puisqu’il s’agit de « servir la France »…
L’analyse de cette première phrase montre donc une scorie de langage, doublée d’une erreur d’accentuation : l’esthétique de la taille réduite aboutit à une distorsion, un JE plus haut que la France dans une France rabaissée au-dessous du petit François. Ce déséquilibre est néanmoins souligné, au moyen d’un HEU, par un inconscient honnête. Le comédien n’est pas taillé pour le rôle, et il le sait. Nous constatons aussi qu’il ne se sent pas taillé pour le rôle.
Et même si nous comprenons que ce comédien y va bravement, envoyé par sa troupe comme le seul maintenant parmi eux capable de décrocher le rôle, nous le voyons trahir son dévouement forcé par un débit quelque peu précipité : ses mots en viennent à se chevaucher, il les mâche, il s’acquitte de sa récitation. Le comédien n’est pas taillé pour le rôle : il ne parvient pas à se glisser dans la peau du personnage, parce que ça le gave grave. Que n’a-t-il le courage de son inconscient !?
Son inconscient, pourtant, le lui dit haut et fort ! ce n’est pas le genre dis-le moi tout bas ! Par un bon lapsus linguae comme on les aime, le comédien dit ce qu’il pense en disant l’exact contraire de son texte : après avoir décliné toutes les affres de l’insécurité infestant notre doulce France, il lâche :
L’insécurité est un droit
en lieu et place du texte « La sécurité est un droit ». Il s’en aperçoit, mais poursuit, sentant en une nanoseconde que le ‘‘in’’ pourra, voisin phonétique, passer pour un ‘‘a’’ : saluons, là, une vraie habileté de sa part : illusion et mensonge accueillent la vérité d’un inconscient qui clame subtilement le droit de se sentir ‘‘insécure’’ comme disent nos cousins québécois. Que ne le dis-tu, François, que tu as peur de jouer ce rôle ! Qui pourrait t’en vouloir ?
Ensuite, l’esthétique de la taille réduite influe sur l’actio : quand le comédien dit « incarner la France », vouloir « faire gagner la gauche et redonner confiance à la France », il martèle l’air présent devant sa cage thoracique de ses deux petits poings qui n’en peuvent mais. C’est attendrissant de ridicule : quand un petit veut boxer avec les grands, la cour de récréation crie à la bouffonnerie en le regardant faire son catch. Le comédien n’est pas taillé pour le rôle : il s’est trompé de catégorie.
La prétention de ce comédien à vouloir incarner ce rôle se trahit aussi par sa propension à s’appuyer sur la tribune. Propension contrôlée. Et donc perte de contrôle. Nous avons noté qu’à deux reprises, le comédien s’est repris : s’étant laissé aller, en début de prestation, à poser un coude sur la tribune, l’artiste, comme fouetté par un dompteur invisible, s’est redressé illico presto. En conclurons-nous que la charge est trop lourde pour un petit bonhomme qui, sous ce poids, plie d’un cran ?
Mais, bravement, ou peut-être crânement, ou peut-être les deux, notre tribun improvisé, s’étant enhardi au fil de son monologue, a fini par s’accouder sans vergogne à sa tribune comme on s’accoude au zinc du bistrot du marché, quand on est sur le flanc, de nature tire-au-flanc. Il s’en était fait tout un fromage, mais en fin de compte, il suffisait d’y aller au flan ! Le comédien n’est pas taillé pour le rôle : nous lui suggérons de changer de crèmerie, de faire une croix et sur le beurre et sur l’argent du beurre. Et de s’occuper de la crémière.
Cette esthétique de la taille réduite construit un minimalisme politique : se montrer gauche, parler pour dire « C’est moi, JE SUiS là, sur vot’ gauche » équivaut, dans cette mouvance artistique, à être de gauche, à agir à gauche. Et donc, comme dans tout minimalisme, l’art équivaut à l’être, l’être est réduit à l’artifice. Minimalisme baroque qui, dans ce théâtre politique, s’est incarné dans l’esthétique de la distorsion à travers un minus qui prétend, vésicule, éclairer notre lanterne.
Mais, pour nous qui attendons aussi du théâtre qu’il corrige nos mœurs en riant, nous en avons eu pour notre argent ! Les pitreries du sieur Hollande ont eu raison de notre morosité… structurelle ! Quel délice, dans l’optique de contre-plongée imposée par nos places assises, quel délice de le voir, petite marionnette de chez Guignol, saccader sa tête, le buste surgissant, mécanique, soit au-dessus soit à ras de la tribune ! Quelle euphorie de le voir, petit tambour de guerre, trépigner de tous ses petits poings ! Quel fou rire homérique de l’entrevoir, entre les cataractes de larmes qui nous brouillaient la vue, de l’entrevoir, joli petit cœur des humbles, des sans-grade, des sans voix, leur entrouvrir ses moignons comme un manchot mesurerait l’infini ! Et achever la performance, le nez dans ses notes.
Outre le protagoniste, les seconds rôles n’étaient pas en reste. La farce avait belle allure.
Le petit pot à tabac s’était grimé en Clarabelle : lèvres roses et peinturlure bleue aux paupières nous ont rappelé ces speakerines de l’ORTF au sourire proche de la vache qui rit.
Le bourg et la capitale formaient entre eux un contraste saisissant : le premier affichait son sourire de jeune premier angélique des beaux quartiers ; le second montrait une gueule d’enterrement, doublée d’une fiole toute cabossée : nous nous sommes demandé, à voir ses poches d’yeux au beurre presque noir, qui l’avait dérouillé.
Quant à l’œil de Moscou, et autres habitués du magasin de porcelaine, ils opinaient doctement du chef quand, à la tribune, le petit saltimbanque discourait en bavant sur le pouvoir des banques, lui, leur fondé de pouvoir.
Alors là, oui ! Oui au cirque ! Oui à la foire ! Vive la République des cochons ! Vive la France des andouilles !
PS : Quelqu’un dans la salle a-t-il relevé qu’en ce monologue de cet impossible protagoniste, se love la guerre, la possible 3ème guerre mondiale ? Mais qu’on se rassure au pays de la porcelaine ! Pour s’aventurer sur le chemin de Damas, il faut une âme autrement trempée, une âme d’acier.
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