Le faux débat sur l’identité nationale
Invité du Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI dimanche 25 octobre, Eric Besson, ministre de l’immigration et de l’identité nationale, a annoncé le lancement d’un grand débat sur les valeurs de l’identité nationale avec, pour corollaire, la réaffirmation de la fierté d’être français.
Eric Besson se fait donc, plus que jamais, la cheville ouvrière du modèle antirépublicain. Ce modèle s’est engouffré dans le vide idéologique ambiant et postule la régénérescence d’une communauté nationale à l’identité forte, une « France imaginée » – pour reprendre l’expression de l’historien-sociologue Pierre Birnbaum – qui tourne sciemment le dos au cosmopolitisme.
Le sarkozysme et l’exploitation politique du sentiment identitaire
Ce modèle représente une stratégie délibérée et savamment menée de conquête des idées préalable à la conquête du pouvoir. La « lepenisation des esprits », qui s’est opérée pendant 25 ans dans notre pays, a trouvé son incarnation politique à peine allégée dans le sarkozysme.
Là où Le Pen parlait clairement dans ses imprécations xénophobes et racistes d’« invasion musulmane » ou d’« invasion de ressortissants de pays du tiers monde », le sarkozysme y substitue l’image volontairement énigmatique, floue et imprécise de « l’immigré clandestin ». Cet artifice de langage permet ainsi de catalyser impunément les discours les plus extrêmes en les parant de l’auréole de la légalité et de la défense de la cause du Français moyen, présenté comme la seule victime impuissante du « mondialisme » et de « l’Etablissement ». Les amis de Sarkozy parlent plutôt volontiers de « bien pensance » ou bien reprennent à leur compte des expressions qui ont fait florès telles que « pensée unique », « bobos » (cf. par exemple la déclaration de l’inénarrable Eric Raoult), ou « conformisme intellectuel ».
Le sarkozysme est une menace en action qui a su habilement exploiter un mouvement populaire largement interclassiste autour de l’idée selon laquelle il y aurait une « France qui se lève tôt » (entrepreneurs individuels, dirigeants de PME, PMI, etc.), par opposition à une « France qui se lève tard » (chômeurs, précaires, rmistes, etc.). La seconde étant elle-même victime de forces qui la dépassent et qui profitent de la porosité des frontières, d’une générosité nationale excessive, d’une politique qui nierait le mérite, la promotion sociale par le travail, qui raccourcirait abusivement le temps de travail alors qu’il faudrait au contraire « travailler plus pour gagner plus », etc.
Le sarkozysme a exploité cyniquement la revendication identitaire (et non un patriotisme éclairé et paisible), la défense d’une France réinventée et fantasmée, qui se rassemblerait dans une formule à la fois magique et creuse annonçant le retour de l’âge d’or : « Ensemble, tout devient possible. ». C’est pour cette raison qu’il a suscité un engouement impressionnant et bénéficié d’une large assise électorale ainsi que du travail de sape de la « lepénisation des esprits » évoquée plus haut. Jamais des promesses aussi radicales et précises ne furent martelées avec autant d’assurance que durant la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007. La désillusion actuelle est donc à la mesure du grotesque du président de la République, et la désaffection des Français est proportionnelle à ses mensonges.
Cependant, le décrochage de Sarkozy et de ses sbires dans l’opinion ne doit pas faire illusion. Le poison a été inoculé. Il circule dans le corps de la Nation qu’il contribue à dessécher. Il porte atteinte de plus en plus à la perception que le pays a de lui-même au point de laisser libre cours aux obsessions relatives à une identité nationale homogène fermée aux immigrés, à la sauvegarde de la culture et des traditions françaises, etc.
Ministre zélé, Eric Besson exploite cyniquement l’angoisse identitaire et le fantasme d’une Nation culturellement homogène pour assouvir uniquement sa carrière politique.
Le sarkozysme procède à un abaissement généralisé de l’action politique au niveau de l’instinct, notamment de celui qui consiste à pisser autour de soi pour marquer son territoire. Et Besson, l’homme des basses oeuvres, s’en glorifie.
Discuter des moyens de mieux réguler les flux migratoires relève de l’action politique et il n’y a aucune raison que la gauche ne participe pas au débat. Mais lier cette discussion à la question oiseuse de l’identité nationale part d’un présupposé idéologique d’autant plus inquiétant qu’il est contraire à tous les principes sur lesquels la République est fondée. A ce titre, la gauche ne peut qu’y opposer une fin de non recevoir.
La droite en général et la droite sarkozyste en particulier n’ont d’ailleurs aucune leçon à donner en matière de patriotisme et d’identité nationale car il lui est arrivé d’être peu regardante et, surtout, de pratiquer un double discours absolument écoeurant. A ce titre, il convient de rappeler ici « l’affaire Ducasse » et le parcours de certains people.
Le double discours de la droite en matière de patriotisme et d’identité nationale
En juin 2008, Alain Ducasse, un grand chef de la gastronomie française, qui résidait depuis des années à Monaco, a choisi de devenir un très fidèle, très dévoué, très respectueux et très loyal Sujet de Sa Majesté Son Altesse Sérénissime le Prince Albert II de Monaco. Uniquement par amour de la famille Grimaldi, n’en doutons pas !
Conformément à la Convention de Strasbourg du 6 mai 1963 signée dans le cadre du Conseil de l’Europe (à ne pas confondre avec l’Union européenne), il a été institué un mécanisme de perte automatique de la nationalité d’origine en cas d’acquisition volontaire de la nationalité d’un autre Etat contractant.
La Principauté de Monaco et la France sont membres du Conseil de l’Europe. En devenant monégasque, Ducasse savait donc qu’il perdrait sa nationalité d’origine.
Pour les pizzaïolos de l’Union des Menteurs Professionnels (UMP), il n’en fallait pas davantage pour revenir sur leurs obsessions fiscales quelques mois après avoir voté le paquet fiscal qui a largement contribué à vider les caisses de l’Etat et à remplir encore plus celles des citoyens les plus fortunés.
Le député UMP Jérôme Chartier avait ainsi lancé ce cri du cœur : « Alain Ducasse a donné le signal, assez d’idéologie ! » C’est donc au nom de la lutte contre l’idéologie (mon Dieu laquelle ?) que Chartier avait proposé une mesure idéologiquement ultra libérale : supprimer l’impôt sur la fortune (qui a d’ailleurs été sensiblement raboté avec le paquet fiscal).
La sénatrice UMP Catherine Dumas avait déclaré pour sa part que « la France est une nouvelle fois victime de sa fiscalité excessive. Après nos artistes, nos sportifs et nos grands chefs d’entreprises, l’ISF s’attaque désormais à nos artisans de renom et de talent ».
Le député UMP Hervé Mariton – celui qui parle plus vite qu’il ne réfléchit – avait émis ce jugement : « si nos dispositifs (fiscaux) étaient aussi excessifs que les socialistes l’ont dit, Ducasse ne serait pas parti. Si Ducasse est parti, c’est que les socialistes n’avaient pas raison ».
A entendre ces pleureuses, il faudrait donc plaindre, sinon presque faire le deuil coupable de toutes ces personnes pétées de fric (si pétées de fric d’ailleurs qu’elles n’ont souvent matériellement pas le temps de dépenser en 24h00 ce qu’elles gagnent en une journée) qui font le choix de quitter le pays et, parfois, de prendre une autre nationalité. Imaginons en effet leur calvaire : en France, elles doivent payer au maximum 50% d’impôts sur ce qu’elles gagnent. Il leur reste donc au moins 50%, donc un patrimoine suffisamment confortable pour vivre sans le moindre souci. C’est intolérable. Que fait l’ONU ?
La fuite des talents… Vaste problème en effet… Si Nicolas Sarkozy a su convaincre Johnny Halliday de renoncer successivement à Monaco, à la Belgique et (presque) à la Suisse, il n’a pu en revanche récupérer Alain Delon (mais Alain Delon est irrécupérable car bien entendu Alain Delon n’est récupérable que par Alain Delon) qui, dans l’indifférence générale, est devenu Suisse en 1999 . Oui, vous avez bien lu, Alain Delon, l’idole des ménagères est devenu Suisse par filiation fiscale. Rappelons d’ailleurs pour la petite histoire (mais alors la petite…) – et parce que c’est comique –, qu’Alain Delon fut le premier « people » à trouver Jean-Marie Le Pen à son goût.
Finalement, « l’affaire Ducasse » révèle la conception que se fait la droite de la nationalité et du patriotisme dont pourtant elle n’a de cesse de nous rabattre les oreilles, notamment chaque fois qu’il s’agit de causer d’immigration. Une simple question de fric. Or, comme le fric est depuis toujours de toutes les patries, qu’en tant que carburant des échanges économiques, il ne connaît pas les frontières, on ne sera pas étonné que pour les gens qui ont énormément d’argent, l’intérêt économique et l’intérêt du pays ne coïncident pas nécessairement. D’ailleurs, il en va des personnes physiques comme des personnes morales. Comment ne pas rappeler ici les propos du sinistre Lefebvre concernant l’éventuelle délocalisation du siège de Total en cas d’instauration d’une taxe sur les bénéfices réalisés par l’industrie pétrolière ?
Par conséquent, le discours de la droite au sujet de l’amour de la patrie a toujours été extrêmement suspect parce qu’il est essentiellement fondé sur l’hypocrisie et le double discours. En effet, au lieu de s’interroger par exemple sur ce que peut représenter le sentiment patriotique aujourd’hui, sur ce qui peut amener un individu à être sincèrement attaché à la France et à le manifester simplement et sobrement, ou encore sur ce qui peut amener une personne à venir d’un pays lointain pour s’installer en France avec sa famille et y reconstruire sa vie, eh bien vous avez des Dumas, des Chartier, ou encore des Mariton (c’est-à-dire toute la clique des pizzaïolos de l’UMP) qui parlent à la place de pognon, de pression fiscale excessive, d’exil, de fuite des « cerveaux », de fuite des « entrepreneurs » et des « talents », dans le but de justifier a posteriori la fraude fiscale !
Comme si depuis les émigrés de Coblence, on ne savait pas que l’exil était un vieux réflexe des gens de droite pour sauvegarder leur patrimoine contre les intérêts de la patrie !
La Nation, l’amour du sol, ce sol qui confère la citoyenneté politique à l’individu, c’est de la poésie bonne pour les bourrins ça… C’est cette vulgate qui constituait le bréviaire de ceux qui crevaient sous la mitraille, en première ligne, pendant qu’à l’arrière, bien à l’abri, des crevures telles que Déroulède et consorts vomissaient le nationalisme, ce rideau de fumée qui a utilement fait diversion et permis aux marchands d’armes, aux industriels du charbon et de l’acier, aux industriels du textile (les ancêtres des gros bonnets du MEDEF), de réaliser leurs bonnes petites affaires.
Devant les caméras, on voit cette droite se répandre de manière obscène dans de laborieuses leçons d’instruction civique parce qu’elle est hélas parvenue à préempter le discours sur la Nation. On rappellera d’ailleurs que Nicolas Sarkozy avait même repris à son compte, durant la campagne présidentielle, le slogan frontiste, remis également au goût du jour par le fascistoïde Mouvement pour la France : « La France, tu l’aimes ou tu la quittes ».
Ce slogan est bien entendu à l’usage exclusif des pauvres, car, à l’égard des riches, la plus grande des sollicitudes est toujours de mise lorsqu’ils choisissent de la quitter pour pouvoir frauder en toute légalité… De toute façon, fraus omnia corrumpit (la fraude corrompt tout).
Les députés Chartier et Mariton et la sénatrice Dumas ne disent pas autre chose. Pour eux, les riches sont les éternelles victimes de l’injustice alors que les pauvres ne sont que d’habituels geignards
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