La quatrième gauche
Oui la gauche existe… parce que la droite existe. Gauche et droite sont les deux faces d’une même médaille. Le résultat n’est pas un robinet d’eau tiède, contrairement à ce que pourraient laisser croire les apparences. Les idéologies ont des conséquences. Nous n’avons pas fini de payer le prix de l’hystérie pro-libérale des 20 dernières années, nous n’avons pas fini, non plus, de payer le prix des tensions internationales que la première puissance du monde a imposé au reste de la planète au prétexte de quelques obscurs ayatollahs, prenant ainsi le risque de la division au moment où se jouent de si graves enjeux planétaires. La crise économique qui bousculent nos sociétés depuis plus de 30 ans maintenant est en train de redistribuer les cartes politiques, et pour ma part, je crois que c’est la suite logique de notre Histoire, avec grand « H » . Marx avait raison de mettre en évidence le lien existant entre violence économique et violence politique. Sauf que nous sommes aujourd’hui à front renversé. Ce n’est plus le prolétariat qui mène la danse, il n’existe plus vraiment en tant que tel, mais il reste des entreprises et surtout, des propriétaires… beaucoup de propriétaires. La droite, qui se flatte d’être le parangon de la Liberté avec grand " L ", ne réussit dans la pratique qu’à être l’aiguillon des égoïsmes avec grand " E ". En cela, il n’y a rien de nouveau sous le soleil ! Sauf que la machine s’emballe et que le degré d’irresponsabilité a atteint le noyau dur de notre capacité à " faire société ". Nous vivons dans une société de plus en plus interdépendante, une interdépendance qui est dorénavant globale et planétaire. Le libéralisme n’est pas simplement une philosophie malsaine, c’est une philosophie dangereuse, de plus en plus dangereuse. Le seul message politique délivré par la droite depuis l’effondrement du mur de Berlin aura été d’opposer les individus, les peuples et les races pour mieux réussir à se réapproprier un pouvoir politique qui lui avait échappé au cours du demi-siècle précédent. Elle n’imagine la mondialisation économique, qu’à l’ombre de sa bienveillante autorité, dit autrement, de ses blindés. Après 30 ans de tensions et de guerres au Moyen-Orient, l’Amérique est dans une impasse totale et le monde avec elle. De fait, la gauche est mieux à même d’affronter les nouveaux enjeux du monde parce que la finalité de ses engagements est la construction des solidarités nécessaires à la vie collective. Non, " État fort ", " Nations Unies " " Planification ", " Solidarités ", " Socialisation des intérêts et des biens ", ne sont pas des gros mots, ni même des mots ringards. Ils sont l’avenir des sociétés. Ils sont des mots qui dissocient le peuple de la gauche de celui de la droite et qui les opposent.
Faut-il préparer la guerre pour mieux gagner la paix ? Les excès du libéralisme sont-ils solubles dans un humanisme de bon aloi ? L’argent des libéraux peut-il nous sauver du dérèglement climatique ? Nicolas Sarkozy est-il le meilleur rempart pour lutter contre Jean-Marie Le Pen ? Vastes débats, pièges sémantiques surtout, qui renvoient tous à la question centrale de la démocratie. Il y a d’autres manières de dire les choses. Prenons un exemple : la guerre contre le terrorisme qui a tant occupé la scène politique sous l’ère Bush : Les bombes des terroristes ne pèsent que de peu de poids au regard du danger que représentent pour la planète celles des puissants. Quant aux faibles, ils n’ont pas à vivre derrière des barbelés parce que les puissants ont peur du monde qu’ils engendrent. Ces deux évidences décrivent parfaitement les contradictions du monde contemporain. Les bombes, qu’elles soient civiles ou militaires, ne sont pas dangereuses uniquement en raison des terribles dégâts qu’elles peuvent causer, elles sont aussi dangereuses parce qu’elles sont des enjeux de pouvoir. Or nous vivons dans un monde où les pouvoirs sont instables, instables parce que l’affaiblissement des états est patent, instables parce que la concentration des pouvoirs économiques est immense, instables parce que l’argent est devenu volatile… de plus en plus volatile ! Qu’en sera-t-il du devenir du monde lorsque le nucléaire civil n’appartiendra plus qu’à des mains privées et qu’éclateront en séries les hyper bulles financières de demain, qu’en sera-t-il du devenir du monde lorsque le pouvoir destructeur des milices privées sera plus fort que celui des armées ? Les Palestiniens et les autres peuples du Moyen-Orient ont-ils à payer le prix de ces incohérences ? Poutine et ses tchétchènes, Georges Bush et ses terroristes, Nicolas Sarkozy et sa racaille. Le marqueur de l’époque c’est la surenchère des puissants et la mollesse de leurs électeurs : complaisance, démagogie, populisme à l’intérieur des frontières, agressivité extrême à l’extérieur… bref la voie royale vers la guerre, c’est à dire vers le totalitarisme. La démocratie n’est ni un dû, ni un acquis. Le réel est là pour nous rappeler ces évidences. La crise économique nous a fait comprendre qu’il n’existait pas d’eldorado économique. Les guerres de Georges Bush nous ont aussi révélé que les colosses militaires pouvaient avoir des pieds d’argile. Le colosse au pied d’argile, c’est nous tous, ce sont nos démocraties. Il n’existe pas de frontières qui puissent nous mettre à l’abri de nos responsabilités. La principale conséquence des années Bush a été la destruction des instruments du multilatéralisme. Ce n’est pas un hasard, c’est là que se joue l’essentiel. La guerre n’est plus une option politique, car nous vivons dans une économie globale et sur une terre qui requiert l’attention de tous. La prochaine guerre, si elle avait lieu, ne pourrait être que la dernière. Il y a une autre solution : mettre dehors les pompiers pyromanes. Nicolas Sarkozy ne peut-être le meilleur rempart contre Jean-Marie le Pen, puisqu’ils n’existent que l’un à travers l’autre ! Ce qui caractérise une démocratie, c’est la manière dont on s’y comporte. Le marchepied de Sarkozy dans sa conquête du pouvoir, n’a pas été ses ministres d’ouverture actuels, mais les émeutes des banlieues de 2005 et l’affaire Cleartstream. C’est cela qui caractérise aujourd’hui encore son pouvoir et par voix de conséquence, sa politique.
Ce n’est plus sur le terrain économique que s’écrivent les lignes de fractures idéologiques entre la droite et la gauche. Il en est de même au sein de la gauche. Les querelles entre la deuxième et la troisième gauche (les mitterrandiens et les rocardiens) sur le fait de savoir si la social-démocratie se doit d’être plus sociale que libérale ou l’inverse, sont dépassées. Ce que les 20 dernières années nous ont montré d’essentiel, c‘est que la création de richesses est dorénavant dissociée d’un quelconque contexte sociétal. Le capital et le travail sont désormais déconnectés. La raréfaction énergétique et le réchauffement climatique nous disent la même chose. Il n’y a plus ni règle, ni boussole, ni pilote dans l’avion. Dès lors la finalité de la politique ne peut être que de répondre à la nécessité absolue de se doter d’une boussole. Il nous faut impérativement construire une société de consensus capable d’affronter collectivement ces enjeux. La vraie ligne de fracture idéologique d’aujourd’hui sépare ceux qui se situent du côté du chacun pour soi et de la violence qui en découle, et ceux qui ont pour ambition de s’inventer un nouvel espace politique commun. Allons-nous vers un monde de plus en plus brutal d’un point de vue économique et porté par un système politique totalitaire, ou, au contraire, sommes-nous capable de créer une société de consensus capable de faire des choix ? Si la réponse est oui, cela condamne les extrêmes : les libéraux d’abord, ils nous ont conduit vers l’extrême bêtise et ils nous conduiront demain à l’extrême catastrophe si nous continuons de les laisser faire. Cela condamne aussi le petit caporal de l’Élysée, inutile de s’étendre sur le sujet ! Cela condamne aussi Olivier Besancenot, le consensus n’est pas sa tasse de thé, il est du côté de la guerre. Cela condamne… effet miroir, la gauche molle, celle des avantages acquis, celle que Laurent Fabius a cru pouvoir flatter en enfourchant le cheval de bataille de Jean-Marie Le Pen au moment du référendum sur la constitution européenne. L’égoïsme de gauche vaut celui de droite ; il ne mène lui aussi qu’au totalitarisme. Daniel Cohn-bendit disait très justement il y a quelques jours dans les colonnes du journal « Le Monde Magazine », que si le capitalisme était destructeur, l’étatisme était lui… infantilisant. Il a raison, le socialisme pur jus, tendance bolchevique, n’est plus d’actualité. Le logiciel de la gauche a fort heureusement évolué à travers l’histoire de sa confrontation avec la droite. C’est ce qui fait sa force… sa faiblesse aussi : il arrive qu’à force de compromis l’on ne sache plus ce que l’on est. Nous sommes à la fin d’un cycle politique. Il est vrai que le logiciel de la gauche a besoin aujourd’hui d’être revisité.
A moins que de crises en crises… à moins que cette énième crise… ne réveille les consciences ! Les traîtres ont leur utilité, ils obligent à prendre parti ! Merci, Monsieur Peillon, même si… Vous aviez tord avec Ségolène Royal, mais vous aurez dorénavant raison avec le Parti socialiste : la question des alliances est la seule qui vaille. Vous vous êtes simplement trompé de timing. Il y a un temps pour tout. Le Parti socialiste a fait le bon choix à Reims en fermant ses portes à double tour face aux pressions extérieures. On ne laisse pas rentrer le loup dans la bergerie lorsqu’on est en position de faiblesse. Voir Ségolène Royal courir derrière le renard François Bayrou, au lendemain de sa défaite aux présidentielles aura été un bien triste spectacle. Mais vous voir réunir à Dijon des gens de gauche, des écologistes, des altermondialistes et des " républicains ", comme vous dites, est aujourd’hui chose réjouissante. C’est la bonne méthode et c’est le bon moment. C’est la vitalité et la diversité d’une idée neuve qui s’exprime. Une des grandes fautes de la gauche, lorsqu’elle était au pouvoir, est de ne pas avoir su dialoguer sérieusement avec les écologistes, ce qui a aujourd’hui pour conséquence que la droite a réussi à s’inviter à la table de l’écologie. La gauche et les écologistes parlent la même langue. Ils sont une même famille. Ce que les médias appellent cacophonie lorsqu’ils parlent de la gauche ou des écologistes porte aussi un autre nom : " la diversité ". Au lendemain de mai 68, les voix de gauche étaient aussi très diverses. Si François Mitterrand a réussi à fédérer toutes ces gauches, ce n’est pas parce qu’il était … un renard, un machiavel aux poches remplies de plans secrets, mais c’est parce que l’unité était une évidence pour tous les acteurs de cette époque. C ‘était l’aboutissement d’un long processus. Quelque chose de suffisamment solide pour que cela perdure encore aujourd’hui.
Une des raisons du succès de « Ségolène » c’est qu’il existe encore un « peuple de gauche », fier de son sentiment d’appartenance… et qui « croit » dur comme fer que la victoire est à portée de main. Mais c’est une illusion. Les défaites se succèdent et ne peuvent que s’amplifier. Il faut se rendre à l ‘évidence, la gauche ne convainc plus. Elle n’a rien à dire de nouveau à ses concitoyens qu’elle n’ait déjà dit. Et ce qu’elle a déjà dit est insuffisant pour rassurer les citoyens sur un monde qu’ils ne comprennent pas. La gauche n’a pas perdu le pouvoir parce que Rocard… parce que Mitterand… ont eu raison ou tord, ensemble ou séparément, elle a perdu le pouvoir parce que le monde a changé. La crise économique a changé le monde et nous a tous changé. Le logiciel marxiste n’est plus le seul outil pour comprendre et agir. Ce que l‘écologie apporte de nouveau est une conscience claire de ce que la solution dépend aussi de chacun de nous et de ce que le risque est aussi en chacun de nous. Ce n’est plus seulement le système économique qui est en jeu, c’est la démocratie. Il est temps pour la gauche et les écologistes d’écrire ensemble leur programme commun. Il nous faut une nouvelle gauche, la deuxième et troisième gauche ont fait leur temps. Il nous faut inventer la quatrième gauche.
Quant aux centristes, le PS n’a pas à en avoir peur, même si le renard François Bayrou... Ce n’est pas la gauche qui change de camp, ce sont les centristes qui rejoignent la gauche, parce que la droite, à la faveur de la crise, s’est radicalisée et tente de nous ramener au temps de la préhistoire du capitalisme. Bush, Sarkozy, Berlusconi… et leurs semblables ne sont pas des épiphénomènes. Ils sont les révélateurs des risques majeurs que courent nos sociétés : le totalitarisme. Ce n’est pas rien. Il est temps pour le PS d’ouvrir très largement portes et fenêtres et de dire clairement qui sont ses amis et qui sont ses ennemis. Ce Parti est la force centrale qui peut fédérer la diversité des forces politiques qui se situe dans le camp du consensus. Mais pour l’heure, le Parti socialiste est un mort vivant. Il ne pourra changer de statut que s’il sait donner confiance aux autres acteurs de ce renouveau. Ce ne peut être à la manière opportuniste de Ségolène Royal.
La trajectoire de Ségolène royal aura été utile. Elle aura été un formidable révélateur de la rigidité des partis politiques lorsqu’ils ne sont plus en mouvement. Le Parti socialiste n’est plus qu’un parti d’élus enfermés dans des territoires, alors que la problématique fondamentale de la société est de savoir comment ouvrir les frontières pour réussir à peser sur les événements. Lorsqu’une simple crise de l’immobilier aux États-Unis est capable de faire trembler le monde sur ses bases, nos élus sont inutiles si leur capacité d’influence se limite à un… clocher. Au moment de la réélection de Georges Bush, suite à la guerre d’Irak, des milliards de citoyens du monde entier auraient voulu pouvoir mettre un bulletin dans l’urne américaine. La gauche doit briser ces frontières institutionnelles qui l’enferment, qui nous enferment, et qui ne servent, pour l’essentiel, que les intérêts des puissants du monde.
Le premier signe de la renaissance du Parti socialiste pourrait être de se réinventer une internationale. Ce serait en tout cas une très belle réponse à apporter au débat sur l’identité française.