Le suffrage universel républicain n’accouchera pas de l’ « homme providentiel »
En 1906, Fred Isly, coauteur de Tintin-Lutin (1897) dont s’inspirera Hergé pour son célèbre héros, signe dans Le Pêle-Mêle un article sur les dérives d'un mandat électif faisant de son tributaire une « épave du suffrage universel » condamnée à sombrer dans la plus vile corruption, au détriment de ses électeurs : l'occasion de nous interroger, aujourd'hui, sur l'espoir illusoire de voir un système républicain, à l'évidence vénal et déficient, enfanter un « homme providentiel »
Pour Isly, « l'homme politique est à la merci des fluctuations d'esprit de ses électeurs. Sa carrière peut ne durer que ce que dure la rose, l'espace d'un mandat. Il faut qu'il marche avec cette angoissante pensée : Serai-je réélu ? Et s'il ne l'est pas, que sera son lendemain ? A quoi lui serviront alors toutes les dépenses de temps et d'argent consacrées à son éphémère apparition dans la vie publique ? Epave du suffrage universel, il subira la destinée des épaves qui est de se pulvériser contre les rochers. Il faut donc, coûte que coûte, être réélu, ou bien !... ou bien amasser pendant la durée du mandat de quoi attendre, dans la retraite, une nouvelle vague de popularité qui le ramènera à l'assemblée dont il faisait partie.
« De là, poursuit Isly, il n'y a qu'un pas à considérer le mandat comme une affaire de courte durée, dont il faut tirer le plus grand parti possible, tant qu'on la tient entre les mains. C'est pourquoi le corrupteur, quand il se présente sous les espèces d'un semeur d'or, trouve dans le monde politique un champ tout labouré et prêt à recevoir la bonne graine. A ce propos, je me suis demandé parfois si la fameuse semeuse de Roty [symbole créé par Louis-Oscar Roty et qui apparut sur les timbres-poste puis sur les pièces de monnaie] n'était pas un symbole ironique de l'état de nos mœurs politiques. Nous vivons sous des institutions politiques mal conçues en ce sens qu'elles ne tiennent aucun compte des faiblesses humaines. »
Ainsi, si à l’instar d’Isly, nombre d’autres, parmi les plus avisés, se sont donné la peine de dénoncer voici plus d'un siècle les dérives d’un suffrage universel inspiré des idées révolutionnaires de 1789 et faussement présenté comme libérateur, pour autant, notre système politique repose, aujourd'hui encore, sur ce socle frelaté. Il n'est pas jusqu'au chef de l'Etat lui-même qui soit assujetti à ce mode de scrutin, avec sa mascarade inhérente et les conséquences pernicieuses que nous connaissons. Qui oserait, en effet, nier la déliquescence patente de l'appareil politique façonnant le destin de la France ? Qui oserait s'estimer dignement représenté par des dirigeants auxquels une poignée de décennies auront suffi pour ternir misérablement plusieurs siècles d'un rayonnement sans conteste de notre pays ? Qui oserait soutenir envers et contre tout un mode de scrutin gangrené accouchant, élection après élection, d'animaux politiques vendant la France à l'encan et peu soucieux du bien-être des électeurs auxquels ils ont pourtant annoncé monts et merveilles ?
Attendre et espérer de ce même système pestilentiel, l'avènement d'un « homme providentiel » mettant un terme au règne de ces tire-laine et sifflant la fin d'une calamiteuse empoignade amenée à se dérouler désormais tous les cinq ans, est pure illusion. L'Histoire nous enseigne en effet qu'un ordre établi essoufflé et corrompu n'a jamais porté en lui l'antidote nécessaire à sa renaissance : méthodiquement, l' « homme providentiel » s'empare du pouvoir et en chasse l' « usurpateur ».
Ainsi de la dynastie carolingienne, dont Charles Martel, grand-père de Charlemagne, posa vers 720 les premières pierres pour évincer profitablement du pouvoir les représentants d’une lignée mérovingienne devenue incapable de défendre les intérêts de la France – justifiant l’appellation rétrospective de « rois fainéants » ; ainsi du fondateur de la dynastie capétienne Hugues Capet, qui se fit habilement élire roi de France en 987 par une petite assemblée, succédant ainsi au dernier rejeton carolingien accusé d'être le vassal du roi de Germanie ; ainsi de Jeanne d'Arc, enrayant une domination anglaise qui menaçait l'indépendance de notre pays, héroïne indubitablement associée au sacre en 1429 d’un Charles VII qui avait été déshérité par son père au profit du roi d’Angleterre ; ainsi de Henri IV, non promis à devenir le souverain de tous les Français, mais qui prit en 1589 les rênes d'un royaume ensanglanté par les guerres de Religion et dont il assura reconstruction et pacification ; ainsi encore, et plus proche de nous, de Charles de Gaulle, mettant d'autorité un terme en 1958 à une IVe République pantelante pour en fonder une nouvelle, portant malheureusement en elle le germe d'un syndrome sournois dont nous observons aujourd'hui les effets les plus délétères : le suffrage universel, en confinant par essence le chef de l'Etat ainsi élu dans un rôle de bonimenteur condamné à battre la campagne, l'érige en simple valet des puissances d'argent et autres lobbies qui toujours se sont détournés du Bien commun.
Ces hautes figures de l'Histoire de France, dont on ne saurait nier le profond attachement à la nation et jouissant, au sein de la mémoire collective, d'une aura dont l'exécrable propension républicaine à réécrire l'Histoire ne les a pour l'heure pas dénuées, n'ont pas attendu du régime politique prévalant alors, qu'il leur confère les pouvoirs requis pour initier un sursaut vital : déterminés, répondant à une appétence viscérale bien que parfois silencieuse du peuple, ces « êtres providentiels » surent, adroits à éviter ces débordements sanguinaires dont la Révolution française aveugle se rendit quant à elle coupable, s'établir sans coup férir, imposer l'apaisement et restaurer, par-delà les cendres d'un système avili, cette ancestrale souveraineté ayant présidé à la fondation de la France.
Il est à souhaiter que notre Histoire, émaillée de tels bouleversements salutaires, s'enrichisse diligemment d'un nom glorieux contrastant avec ceux de ces quelques chefs d'orchestre d'une méprisable coterie vouant aujourd'hui notre pays à sa perte.
H.B.
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