Lepénisation, avec des vrais morceaux de Sarkozy dedans
J’éprouve quelque agacement devant les arguments - que je ne qualifierai pas - avancés ces derniers jours par la gauche, dans son opposition au Grand Satan.
J’éprouve aussi quelque scepticisme quant à l’intelligence et à la finesse stratégique, à long terme, de leur démarche. Car, au final, les excès de diabolisation auxquels ils se livrent finiraient par m’inciter à regarder de plus près les idées de Jean-Marie Le Pen. Allez... Parce que je sais que le second degré passe fort mal et que nombreux sont ceux qui, ne voulant pas le percevoir, seraient trop heureux de se jeter sur une telle "confession", je précise que je ne fais que forcer le trait mais que, si mes convictions m’en éloignent, je ne suis pas du tout certain que ce type de propos ne finisse pas par respectabiliser Le Pen.
Car, ces temps-ci, à gauche (et pas seulement) le mot d’ordre est plus pressant encore qu’il ne l’a été jusque là. Nicolas Sarkozy est un petit Le Pen (vous avez d’ailleurs, au choix : Sarkozy, c’est un Le Pen light, ou Sarkozy, c’est Chirac en pire). C’est Ségolène Royal qui s’en tient à des allusions à peine voilées. C’est Daniel Cohn-Bendit, dans un chat que je regrette d’avoir signalé tant il s’est montré incapable, sur un sujet qui le requérait, de dépasser la lorgnette partisane.
C’est cet extrait de ce chat qui m’a amené à réagir :
Henri : Que pensez-vous des dernières déclarations de Nicolas Sarkozy à propos d’une Union méditerranéenne ? N’est-ce pas une façon d’exclure toute une série de pays de la construction européenne future ? Daniel Cohn-Bendit : Ce qui était quand même d’abord frappant dans le discours de Nicolas Sarkozy à Toulon, c’est qu’il a d’abord essayé de racoler l’électorat de Le Pen.
Jack Lang ne disait pas autre chose, dénonçant la "lepénisation" de Nicolas Sarkozy.
Et puis, sur les blogs, on trouvait l’argument étonnamment repris de page en page - comprenez que je m’interroge sur la spontanéité de la reprise - selon lequel Nicolas Sarkozy aurait témoigné du respect pour Hitler, en l’appelant "monsieur Hitler". L’argument" est stupide. Il l’est encore plus lorsque l’on se souvient que, si Nicolas Sarkozy est catholique (tout au moins de par son baptême), son grand-père maternel était juif, ce qui tend à exclure naturellement toute espèce de "respect" pour Hitler. Le propos est donc minable et méprisable. Mais il est révélateur.
Ceci étant dit, c’est donc avec une certaine inquiétude que j’ai pris connaissance du discours de Toulon. Deux fois. Une première, rapide, pour vérifier s’il l’avait effectivement terminé par un "La France aux Français ! ou un "Heil Hitler !". En fait, non. Il ne l’a pas fait. Alors bon, les jours passent et puis je le relis. Et je les trouve, ces passages qui défrisent un Jack Lang ou un Daniel Cohn-Bendit. Mais j’en trouve d’autres, aussi. Ceux-là ne les intéressent évidemment pas, puisqu’ils n’entrent pas dans leur schéma stratégique. On s’empressera de me dire que c’est le jeu normal de la politique, avant de me tenir un discours définitif sur le niveau de la campagne et les nécessités de la vie démocratique.
Quels sont-ils ces passages ? Sur un discours d’une certaine longueur, lesquels trouve-t-on ?
On trouve ceux qui ont déjà provoqué quelques remous :
"Je souhaite qu’on ne puisse pas vivre en France sans respecter sa culture et ses valeurs. Je souhaite qu’on ne puisse pas s’installer durablement en France sans se donner la peine d’écrire et de parler le français. Et à ceux qui veulent soumettre leur femme, à ceux qui veulent pratiquer la polygamie, l’excision ou le mariage forcé, à ceux qui veulent imposer à leurs sœurs la loi des grands frères, à ceux qui ne veulent pas que leur femme s’habille comme elle le souhaite, je dis qu’ils ne sont pas les bienvenus sur le territoire de la République française. A ceux qui haïssent la France et son histoire, à ceux qui n’éprouvent envers elle que de la rancœur et du mépris, je dis aussi qu’ils ne sont pas les bienvenus."
Soit, ce n’est pas bien de stigmatiser les étrangers. Il est vrai, toutefois, que lorsque l’on parle d’immigration, c’est généralement à propos des étrangers. Et il est vrai aussi que la République n’a de problèmes qu’à l’égard de certaines coutumes, certains rites, certaines prescriptions, qui ne sont en fin de compte pas le fait des Indiens Inuits. Ceux qui s’effarouchent qu’on le mentionne sont aussi les premiers à appeler de leurs voeux une stricte laïcité et la plus grande intransigeance contre les horaires de piscines aménagés pour les femmes.
Mais je vous le concède assez volontiers : le discours de Nicolas Sarkozy sur les étrangers, sur l’immigration, ne m’intéresse guère. Ce n’est pas le premier thème que je souhaite voir traiter lors de ces présidentielles.
On trouve également l’ensemble du passage sur l’immigration choisie :
C’est dans la perspective de cette Union Méditerranéenne qu’il nous faut concevoir l’immigration choisie, c’est-à-dire décidée ensemble, organisée ensemble, maîtrisée ensemble.C’est parce que j’aime la France, parce que je sais qu’elle est notre bien le plus précieux, parce que la France partage avec tous les pays de la Méditerranée le même idéal humain, parce qu’autour de la Méditerranée, au-delà de toutes les différences, tous les hommes ont au fond en commun le même humanisme que nous pouvons, que nous devons regarder tous ensemble en face la question de l’immigration.
C’est parce que l’immigration non maîtrisée est une catastrophe pour les pays de départ comme pour les pays d’accueil que je veux poser à l’échelle de la Méditerranée la question de l’immigration clandestine. Elle fait la fortune des marchands de sommeil et des passeurs sans scrupules qui n’hésitent pas à mettre en danger la vie des pauvres malheureux dont ils exploitent la détresse. Aussi je souhaite qu’une convention soit élaborée entre tous les pays méditerranéens pour faciliter les reconduites à la frontière, et je souhaite que celui qui a été reconduit dans son pays ne puisse pas obtenir un titre de séjour en France pendant les cinq ans qui suivent.
Je souhaite que les étrangers en situation irrégulière soient exclus du droit au logement opposable.
C’est parce que je crois en la Méditerranée comme un espace de solidarité et de coopération que je souhaite que soit mise en place avec tous les pays qui l’entourent une politique commune d’immigration choisie, c’est-à-dire décidée ensemble, organisée ensemble, maîtrisée ensemble, et que dans ce cadre chaque pays fixe chaque année le nombre des étrangers qu’il peut accueillir dans des conditions qui permettent de respecter la dignité des personnes, que l’immigré en situation régulière ne puisse faire venir sa famille que dans la mesure où les revenus de son travail lui permettent de la faire vivre et de la loger décemment, qu’une charte fixe clairement les principes de l’entrée et du séjour des étrangers dans les pays d’accueil.
Je note en premier lieu que seuls les étrangers en situation irrégulière sont "exclus du droit au logement opposable". Je le mets dans une petite case quelque part.
Pour le reste, mon intégrité intellectuelle m’inquiète. J’ai peur que mon esprit soit en voie de lepénisation. Parce que, ayant relu ce passage plusieurs fois, je ne suis pas choqué.
Et voilà.
Il reste bien évidemment l’ensemble des passages concernant les fils de harkis, ceux qui concernent les descendants de ceux qui sont partis en toute bonne foi dans les colonies, celui dans lequel il cite Camus :
Je veux leur dire : n’avez-vous donc jamais été émus par la voix de Camus parlant pour tous ceux qui allaient devoir quitter la terre de leur enfance ? : « j’ai aimé avec passion cette terre où je suis né, j’y ai puisé tout ce que je suis et je n’ai jamais séparé dans mon amitié aucun des hommes qui y vivent, de quelque race qu’ils soient. Bien que j’aie connu et partagé les misères qui ne lui manquent pas, elle est restée pour moi la terre du bonheur, de l’énergie et de la création. »
Oui, bien sûr, à Toulon, sur cette côte, il s’adresse à des personnes qui, pour une certaine part, ont été sensibles au discours de Jean-Marie Le Pen. Il le fait, et je le comprends, dans l’optique qu’il a bien indiquée initialement : parce qu’une personne qui a voté Le Pen n’est pas un paria, parce que rien ne dit qu’elle votera toujours Le Pen, et parce que, par ce vote, ce n’est pas nécessairement l’adhésion aux idées de Le Pen qu’elle exprime. Certains de ceux-là votent avant tout pour celui qu’il perçoive comme étant le seul à ne pas les avoir lâchés, eux ou leurs parents, à leur retour des colonies, lorsque, ayant déjà souffert de quitter ces terres, on leur a expliqué qu’ils n’étaient que des exploiteurs. La faute revient à qui ? A ceux qui ont voté Le Pen ? Ou à ceux qui ont effectivement laisser se dérouler un discours injustement culpabilisateur ?
Rassurez-vous : je ne me leurre pas. Parmi les colons, il y avait des salauds, des pauvres types. C’est le lot commun de l’espèce humaine. Mais certains, dans une vision assez marxiste de l’Histoire, ont voulu ne voir que les salauds.
Alors, oui, il leur parle. Et, voyez-vous, si le fait qu’il leur parle peut contribuer à éviter que la France s’illustre une fois de plus avec un Le Pen au deuxième tour, je n’y vois pas d’inconvénient.
Jack Lang a préféré ne pas évoquer les propos tenus à l’égard des harkis. Il a bien fait. Pour quelqu’un qui se tenait à peu de distance d’un Georges Frêche vociférant et qui a affirmé ne pas avoir entendu ses saillies, avant de trouver un autre système de défense, l’exercice eût été périlleux.
Et puis, surtout, il y a tous ces passages du discours qu’il est malhonnête - mais tellement prévisible - d’écarter au profit de quelques phrases.
Ainsi lorsque Nicolas Sarkozy évoque cette Union méditerranéenne, il emploie des termes que je peine à imaginer dans la bouche de Le Pen :
Quand l’enfant grec cessera de détester l’enfant turc, quand l’enfant palestinien cessera de haïr l’enfant juif, quand l’enfant chiite cessera de maudire le sunnite, quand l’enfant chrétien tendra la main à l’enfant musulman, quand l’enfant algérien ouvrira les bras au Français, quand l’enfant serbe deviendra l’ami du Croate, la Méditerranée redeviendra le plus haut lieu de la culture et de l’esprit humain et elle pèsera de nouveau sur le destin du monde. Nos enfants ne sont pas condamnés pour l’éternité à la vengeance et à la haine. La Méditerranée doit faire pour elle-même ce que fit l’Europe après deux guerres qui avaient failli l’anéantir.
Le Pen ne dirait pas ça : ça fait "gonzesse".
Ca non plus, je ne suis pas vraiment certain de l’avoir entendu le dire :
Aux Algériens, aux Marocains, aux Tunisiens, à tous les ressortissants de nos anciennes colonies qui, espérant dans la France, sont venus y vivre, je veux que la France tende la main, qu’elle les accueille fraternellement, qu’elle ne leur offre pas la repentance mais la compréhension et le respect.
Et puis ça, ça ne mérite pas d’être mentionné ?
Il faut regarder la Méditerranée à l’aune de la mondialisation. La mondialisation est un fait. Un fait aussi plein d’espoir que lourd de menaces.Alors qu’une partie de l’humanité s’arrache à la misère, une autre s’enfonce dans la pauvreté.
Refuser de voir la détresse au milieu de l’abondance, oublier la misère matérielle et morale de l’ouvrier du tiers-monde exploité jusqu’au bout de ses forces, et derrière les succès, ne pas regarder les inégalités, la violence et le pillage des ressources naturelles, c’est se condamner à ne pas comprendre que la mondialisation doit être abordée comme un problème de civilisation et pas seulement comme un problème économique.
La mondialisation c’est la croissance économique mondiale plus forte que jamais. C’est aussi le réchauffement climatique et des milliers de pauvres gens qui s’entassent dans des pirogues pour traverser la mer.
La mondialisation c’est les droits de l’homme et la démocratie. C’est aussi le terrorisme et le fanatisme religieux.
(...)
La mondialisation c’est l’occidentalisation du monde confrontée au rejet de l’Occident.
On ne peut pas continuer de répondre à la souffrance sociale, à la détresse morale, à des angoisses légitimes : « c’est triste mais on n’y peut rien ».
On ne peut pas continuer de répondre à l’angoissante question de l’avenir que dans l’interdépendance des nations, entre la montée en puissance du client et de l’actionnaire, au milieu du va-et-vient incessant des capitaux et des marchandises, le marché est tout et la politique rien.
Je n’accepte pas cette idée.
L’accepter c’est faire le lit de tous les extrémismes et de tous les fanatismes.
L’accepter c’est accepter que la mondialisation soit le nouveau nom de la fatalité.
Seule la politique peut mettre la mondialisation au service de l’homme. Seule la politique peut prévenir la révolte de l’homme contre une mondialisation dont il a le sentiment qu’elle l’asservit au lieu de le libérer.
Dernière chose, et après, je vous laisse tranquilles, promis :
Quand on évoque tout ce qui constitue notre conception de la personne humaine dans sa dimension intellectuelle comme dans sa dimension morale et spirituelle, tous nos regards se tournent vers la Méditerranée qui nous a tout enseigné. Nous sommes les enfants de l’Egypte, de la Grèce, d’Israël, de Rome, de Venise, de Florence, de Séville. Nous sommes tous les enfants de Socrate condamné à mort pour avoir perverti la jeunesse athénienne, d’Alexandre éternellement jeune et de son rêve grandiose d’un empire universel unissant l’Orient et l’Occident, d’Auguste faisant tous les soirs sa prière à tous les dieux de l’empire, d’un humble Juif crucifié pour avoir enseigné aux hommes à s’aimer les uns les autres.Quand je pense à la Méditerranée, je pense à l’homme européen qu’elle a fait naître. Je pense à cette part de moi-même, à cette part de chaque Français, de chaque Européen, qui donne le sentiment, face à la Méditerranée, d’un retour à la source, à l’origine de sa propre pensée, de sa propre identité.
Je pense aussi à cette part de moi-même qui me fait me sentir chez moi quel que soit le pays, quel que soit le rivage qu’elle baigne.
Nous sommes aussi les enfants de Cordoue et de Grenade, les enfants des savants arabes qui nous ont transmis l’héritage des anciens Grecs et qui l’ont enrichi.
Attention à ce que vous dites, hein. Parce que si ça, c’est de la lepénisation des esprits, moi, je me sens devenir frontiste.
Alors voilà, certains font le pari que lorsqu’il énonce tout ce que je viens de citer en dernier lieu, il n’est pas sincère, qu’il masque sa vraie nature, celle d’un homme intolérant, haineux, celle d’un petit-fils de Juif (et Juif lui-même selon les conceptions diverses du judaïsme) qui respecterait Hitler.
J’ai tendance à penser - eh bien oui - que tel n’est pas le cas. Tendance à penser que Nicolas Sarkozy a tiré les leçons du 21 avril 2002 et du 29 mai 2005, les deux claques les plus visibles, mais point les seules. Tendance à penser que certes, parfois, il est un peu border-line. Un peu perplexe aussi sur la réelle efficacité de la chose. Quoique je ne sois pas un politologue émérite. Mais j’ai fortement tendance à penser que le Sarkozy d’extrême droite est bel et bien une construction stratégique et politicienne de la gauche.
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