Les funérailles de l’Etat-Providence
Après l’essor de l’Etat-Providence, pendant la seconde moitié du XXe siècle, il est temps, pour les libéraux, de reprendre la main. Tout ce qui est de l’ordre des solidarités doit être réduit au strict minimum. Et ce sont les plus faibles qui font et feront les frais de cette politique.
La déferlante néolibérale a convaincu l’opinion que les seuls critères en matière de réussite étaient l’accès aux responsabilités et la possession de biens matériels. Les héros des dernières années ont été les bénéficiaires de parachutes dorés, les top-modèles et les footballeurs aux gros transferts. Les artistes, les chercheurs, les romanciers, les prix Nobel français même, restent largement des anonymes. Penser la société autrement qu’en termes de compétition et de marché est étranger à la pensée libérale. Que le tissu social soit fait de compétences inégales qui rendent les acteurs solidaires n’est pas le souci de ces hommes qui se pensent en self-made-men et qui sont persuadés de n’occuper leurs places que grâce à leurs seuls talents.
Dans ces conditions le rôle de l’état n’est pas de corriger des inégalités. Au contraire, les inégalités stimulent et elles sont un élément de compétitivité. La peur de la régression et le désir d’ascension sociale sont les moteurs du « travailler plus ». Sans avoir sous les yeux les damnés de l’exclusion, le rêve d’accéder au paradis des millionnaires n’a pas de sens.
Dans cette perspective, le rôle de l’état est forcément limité. Il reste borné aux fonctions « régaliennes ». Les solidarités qui se concrétisent par des systèmes d’enseignement, de santé, de retraites, d’indemnités chômage et de Sécurité Sociale, sont des obstacles au bon fonctionnement de l’économie libérale . Les prélèvements obligatoires les rendent coûteux, et à ce titre, ils entravent le jeu de la concurrence.
Pour convaincre les citoyens du bien-fondé de cette politique, il convient de les opposer les uns aux autres. Et c’est ce à quoi s’est employé Nicolas Sarkozy depuis son arrivée au pouvoir. Bénéficiaires d’aides sociales contre non bénéficiaires, retraités contre actifs, actifs jeunes contre actifs plus âgés, fonctionnaires contre travailleurs du secteur privé, Français d’origine étrangère contre Français d’origine, et on peut y ajouter des catégories particulières vouées aux gémonies comme les journalistes ou les enseignants du supérieur.
Le succès de l’UMP en 2007 est dû largement à un tour de passe-passe de cet ordre. Par le formule « travailler plus pour gagner plus », le magicien avait fait croire aux catégories modestes que ceux qui étaient responsables de leurs difficultés c’était les fonctionnaires (réputés trop nombreux et peu zélés), les pauvres aidés (réputés paresseux ou tricheurs) et les immigrés (je vous laisse le choix des épithètes). En promettant de réduire les effectifs des premiers, de contrôler les seconds et de limiter l’immigration, l’illusionniste avait obtenu les suffrages populaires qui lui étaient indispensables.
Le discours néolibéral ne date pas cependant de l’élection de Nicolas Sarkozy. Il s’est exprimé dès l’arrivée de Jacques Chirac à la tête de l’Etat. Son application « décomplexée » a été retardée par le mouvement social contre le plan Juppé en 1995, suivi de la cohabitation.
Dès la présidence de Chirac, la logique purement gestionnaire a remplacé la nécessité de la lutte contre l’échec scolaire dans l’Education Nationale. Et en amplifiant aujourd’hui la suppression de postes, toute velléité d’innover dans le sens d’une meilleure efficacité de l’institution se trouve ruinée. Le même souci comptable s’est imposé dans tous les autres ministères. Vouloir modifier les habitudes du service public en l’étouffant par la rigueur, c’est décourager par avance toutes les volontés novatrices.
La réécriture du Code du Travail est allée dans le même sens. Pour convaincre, l’argument a été martelé : les réformes se font « dans un souci de simplification ». Il y a là une tautologie : quand on élague le droit (il faut se demander au profit de qui), on simplifie, forcément. L’argument de la réforme et de la modernisation n’est en fait qu’un gigantesque retour en arrière au détriment des plus faibles.
Car, tant pis pour les élèves fragiles, tant pis pour les futurs retraités aux modestes salaires, tant pis pour les services publics, tant pis pour les justiciables, tant pis pour les handicapés et les personnes dépendantes, tant pis pour les régions excentrées par rapport aux pôles de développement…ou plutôt les élèves qui ont des parents qui en ont les moyens pourront toujours bénéficier d’une école privée et/ou d’un soutien scolaire adapté, les futurs retraités prévoyants qui en ont les moyens pourront toujours capitaliser, les patients qui en ont les moyens pourront recourir à la médecine libérale et aux cliniques privées, les justiciables aisés pourront aisément se déplacer… et enterrée la politique d’aménagement du territoire ! Pire, les Collectivités Territoriales sont mises au pas pour les empêcher de tomber dans des« dérives budgétaires ». De quoi sérieusement limiter les initiatives des Régions ou des Départements en faveur de politiques sociales.
La logique n’épargne aucun secteur de l’économie et de la société. Elle vise à progressivement liquider, non pas simplement les réformes adoptées pendant les passages de la gauche au pouvoir depuis 1981 (loi des 35heures, droit à la retraite à 60ans) mais aussi un pan entier du pacte républicain conclu à la Libération.
Rappeler les nouveaux droits constitutionnels adoptés en 1946, c’est se rendre compte combien ils sont aujourd’hui malmenés. L’égalité hommes/femmes, le droit à la santé, le droit d’asile, le droit d’obtenir un emploi, le droit de grève, l’égal accès à l’instruction…rien n’échappe à la broyeuse néo-libérale et à sa volonté de mettre en pièces les solidarités.
Parcourir le Projet Pluriannuel des Dépenses de l’Etat 2011 à 2013 publié par Bercy est tout aussi éloquent. On peut en retenir que l’Etat, sous prétexte d’économies budgétaires a décidé de se désengager dans de très nombreux secteurs. Seul le ministère de la justice bénéficie de créations d’emplois nettes, essentiellement en faveur de l’administration pénitentiaire. Partout ailleurs, la règle du remplacement d’un fonctionnaire sur deux sera appliquée. A cela s’ajoutent des mesures qui aboutiront à fermer des hôpitaux, à geler le nombre de places dans les centres d’hébergement sociaux, à limiter la construction de logements sociaux…Et si, pendant la même période, le Projet des Dépenses de l’Etat prévoit un doublement des bénéficiaires du RSA , ce n’est pas par générosité.
Il faut partout rogner les dépenses : "le pouvoir d’achat de l’Etat connaîtra une baisse sur les trois années de programmation et ce dès 2011" peut-on lire dans le rapport rédigé par les services de M Baroin. Le projet, écrit ensuite sans rire le rapporteur, "est équitable".
Il s’agit de "recentrer l’état sur son coeur de métier". Certes, toutes les lois sociales ne seront pas abolies. Les congés payés jouent un rôle trop important dans l’économie des loisirs pour qu’ils soient remis an cause. Mais l’ambition sarkozienne est bien de cantonner le rôle de l’état à celui d’état-gendarme.
Tout ce qui est de l’ordre strict des solidarités doit être réduit au minimum. Après avoir répété à satiété que l’Etat-Providence était malade, sous prétexte de le maintenir en vie, le pouvoir actuel prépare ses funérailles.
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