Les limites d’un style
Dans la précampagne de Ségolène Royal, quelques phrases maladroites ou intentionnelles (?) ont semé le trouble et le doute ; des expressions inusitées ont surpris ou déclenché des réactions moqueuses ou sarcastiques et dont les deux plus « réussies » sont la désormais célébrissime « bravitude » et l’anachronique « cahiers d’espérances » . Mais au-delà de la sémantique audacieuse, du positionnement politique hésitant et d’un début de campagne stratégiquement désorganisé et idéologiquement confus, n’assiste-t-on pas aux limites d’un style politique qui, sous couvert de modernité (démocratie directe), peine à imposer une démarche politique convaincante et crédible (comme en témoigne le récent recours à des formes plus traditonnelles de pratique politique et en particulier le SOS lancé à Jospin, Fabius et Stauss-Kahn) ? Bref, assiste-t-on aux prémices d’un effet boomerang ?
Dans la période des sondages favorables, dans cette phase d’idéalisation et de positionnement charismatique quels que soient les propos de S. Royal (pertinents ou non) les opinions positives étaient au zénith puisque les jugements portaient sur des phénomènes affectifs d’identification et de relation à une mère idéalisée : c’est une femme, elle est authentique, sincère, compréhensive ; c’est une mère courage, elle est à l’écoute, parle de désir, elle individualise la relation puisqu’elle s’adresse à 64 millions de subjectivités, aux « moi-je », à la souffrance sociale et existentielle des personnes. C’est ainsi qu’elle établit une relation d’identification directe et primaire à la mère salvatrice (c’est « ségolourdes »). Mais à trop jouer sur ces phénomènes d’identification et d’ambivalence affective, Ségolène Royal s’expose à des mouvements de désidéalisation, comme annonciateurs d’un charme rompu. Pour répondre à cette ambivalence (à laquelle aucun candidat n’échappe) Ségolène devra imposer le primat du politique sur le psychologique. C’est dans sa capacité à associer ces aspects contradictoires (la marque de fabrique Ségolène - le plan marketing psychopolitique - sous entendu le format médiatique et les propositions programmatiques dites questions de fonds), ou, dit plus simplement, sa solution pour conjuguer l’émotion et l’affectif avec la raison et le rationnel d’un programme politique qui inspire crédit et confiance.
Si dans un premier temps (l’état de grâce) les néologismes inattendus, la « naïveté » des positions idéologiques ( « exemplarité » de la justice chinoise, réserves sur le nucléaire civil iranien, survol du Liban par l’armée israélienne), la méthode participative empathique et compassionnelle (annuler toutes réactions agressives, écouter, comprendre, répondre, bref adopter une attitude de totale compéhension) ont pu séduire car se démarquant des attitudes politiques traditonnelles (sous-entendu le style politique machiste classique), on constate que la méthode Royal touche à ses limites car elle repose sur une posture médiatique fragile et fluctuante (l’affectif, l’opinion, l’internet, la séduction ), stratégiquement cafouilleuse ( Montebourg au piquet, démission de Besson, fin de l’autogestion) et économiquement contradictoire (comment concilier la dette de l’Etat à hauteur de 1 200 milliards d’euros, le financement des retraites pour 900 milliards d’euros et les dépenses publiques massives du programme socialiste ? ).
Sous couvert de l’idée - au demeurant juste - de réconcilier les Français avec la politique, de rapprocher le peuple des élites, la démocratie participative fonctionne comme un leurre démocratique qui satisfait davantage le plaisir narcissique de donner son avis qu’elle n’organise de façon rationnelle les processus démocratiques de responsabilité, de représentativité, de légimité des choix et décisions. C’est, en fait, plus un concept de thérapie sociale qu’un outil politique novateur.
Ce qui se veut comme un positionnement moral exemplaire (ordre juste, moralisation du capitalisme de financiarisation, parole politique sacralisée sous le sceau de la vérité et du serment, éloge de la valeur travail, retour aux valeurs familiales de respect et d’autorité) se transforme à force de tics langagiers en un gadget politique incantatoire (à tout problème la solution ne saurait être que juste et morale, les formules magiques sonnent l’automatisme verbal comme en témoignent ces quelques exemples : « les cercles vertueux », « le gagnant/gagnant », « l’emploi appelle l’emploi »), la fétichisation de la croissance pour financer les dépenses publiques. Ainsi plus la campagne avance plus S. Royal apparaît comme une politicienne classique qui utilise les techniques éprouvées de la communication politique (utilisation de l’internet, travail sur l’image et la symbolique des couleurs). La posture politique renoue avec les fondamentaux mitterrandiens : équilibre entre les différents courants du PS dans l’équipe présidentielle, appel aux caciques du PS, gauchissement du discours avec réaffirmation du clivage gauche/droite, réactions outrées vis-à-vis de l’argent et des profits financiers, théorie du complot médiatique avec position quasi paranoïde envers les médias vécus comme inféodés à la droite et au pouvoir politique en place, caricature de N. Sarkozy anathémisé atlantiste, libéral et communautariste - cf l’outrancier rapport Besson fustigeant N. Sarkozy « en néoconservateur américain à passeport français » bémolisé dans un second temps « en candidat nourri au lait du néoconservatisme américain » - ; retour à des accents ouvriéristes, proclamation de la gauche garante du bien et du côté de la souffrance sociale. Mais adopter une attitude morale et vertueuse, pousser des cris d’orfraie à la vue de l’argent sale et des profits collossaux des emtreprises du CAC40 et des salaires démesurés de leurs dirigeants au regard d’un salaire moyen, ne sauraient constituer une ligne politique crédible et escamoter la régulière trahison des classes populaires et moyennes dès que le PS parvient au pouvoir.
Si le style se veut moderne, les propositions programmatiques sont somme toute assez classiques (idéologie redistributrice, rôle de l’Etat dans la politique industrielle, priorité accordée à l’éducation) et risquent de dérouter ceux qui avaient été séduits par la démarche proclamée iconoclaste et de lasser ceux qui attendaient et espéraient plus d’ambitions dans le projet (?) socialiste. Toutefois le réel problème n’est pas tant la campagne de S. Royal que l’incapacité du PS à procéder à une clarification idéologique, à un aggioramento trop longtemps repoussé et à dépasser divergences, oppositions et contradictions internes (exacerbées lors du TCE et absolument pas encore réglées), pour trouver une issue rassembleuse entre les trois gauches qui cohabitent dans le PS : la traditionnelle étatiste, productiviste et redistibutrice, celle qui prône le réformisme et celle qui se réclame du social-libéral.
A ne pas choisir une ligne politique claire, à rester l’éternel parti « attrape-tout » sans corps doctrinal sructuré, à trop miser sur l’opportunisme électoral, à vouloir culpabiliser les électeurs de gauche qui ont voté non au TCE et ceux qui se « bayrouisent », à faire le grand écart entre idéal politique et principe de réalité une fois au pouvoir (la rigueur, le pragmatisme, l’efficacité, les contingences économiques), le PS s’expose une nouvelle fois à de sérieuses déconvenues et à désillusionner ce cher peuple de gauche (ce qui d’ailleurs ne serait pas une première pour le PS !). Le joker Ségolène Royal traduit la difficulté du PS à intégrer le séisme d’avril 2002, le non au TCE, la faiblesse de ses propositons relatives à la crise sociale, économique, axiologique, aux défits majeurs, notamment celui de la mondialisation de l’économie et de la conciliation entre croissance et écologie. De même ses réponses aux préoccupations immédiates des Français concernant les politiques sociales, salariales, fiscales et énergétiques - au-delà des pétitions de principes - restent bien insuffisantes. Désirs d’avenir certes, mais avant tout donner envie de voter dès le 22 avril pour Ségoléne Royal. Il faut faire vite sinon on va effectivement assister à une irréversible « bayrouisation » des votes (d’autant plus que l’extrème gauche est complètement disqualifiée compte tenu de son incapacité à s’unir) et à un remake « soft » de 2002 ( Sarkozy / Bayrou).
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