Les OGM, la démocratie et les référendums
Les citoyens sont invités à participer au débat démocratique sur l’environnement. Le terme « débat démocratique » contient bien le mot démocratique, mais est-ce une garantie que les règles fondamentales de la démocratie seront respectées lors des prises de décisions concernant l’environnement ? La réponse est : la démocratie ne sera pas respectée !

Le ministre de l’Environnement, M. Jean-Louis Borloo, appelle les citoyens à donner leur opinion sur les orientations politiques concernant l’environnement. Les propositions pour ces orientations sont actuellement en préparation dans ce que les médias appellent abusivement le « Grenelle de l’environnement » [1] (voir les notes en fin de l’article). Le ministre explique que deux moyens sont à la disposition des citoyens pour s’exprimer : internet (le site www.legrenelle-environnement.fr) ou les réunions en province [2].
À première vue cette façon de procéder semble concourir à nous rapprocher de la démocratie.
Mais pouvoir s’exprimer - est-ce suffisant pour affirmer que nous sommes vraiment en démocratie ?
La démocratie est assurée par deux conditions indissociables :
- la liberté d’opinion doit être garantie : cela signifie que les citoyens sont libres d’exprimer et de propager toutes les opinions quelles qu’elles soient ;
- chaque décision politique doit être conforme aux désirs de la majorité des citoyens qui désirent prendre part à la décision.
Les groupes de travail, les réunions en province ou ailleurs, les sites internet où on dépose son message - tout cela entre dans le cadre de la première condition de la démocratie véritable : garantir aux citoyens la liberté complète d’expression. Notons qu’en l’occurrence cette liberté d’expression officialisée est très réduite car elle est limitée aux sujets décidés par le gouvernement.
Mais ensuite, lorsque les citoyens auront écrit leurs doléances, qui décidera quelles propositions seront retenues ? Qui effectuera le filtrage ?
L’étape qui suivra ce filtrage est connue : le ministère de l’Environnement précise qu’une synthèse des débats sera présentée avant la table ronde des groupes de travail, qui se tiendra fin octobre à une date qui n’a pas encore été fixée.
« Au bout du compte, le gouvernement et le Parlement trancheront », a encore souligné M. Jean-Louis Borloo dans Le Monde daté du 28 septembre.
La deuxième condition pour respecter une démocratie véritable est que chaque décision politique à prendre doit être le reflet fidèle de ce que veut la majorité des citoyens qui se sentent concernés par la décision.
Cette deuxième condition de la démocratie ne sera donc pas réunie dans le processus de prise de décision sur les orientations politiques concernant l’environnement.
Il n’est pas garanti que les lois, qui en définitive seront retenues par le gouvernement et votées par le Parlement et le Sénat, répondent aux souhaits de la majorité des citoyens.
Les cas sont nombreux quand les politiques, qui ont reçu le mandat du peuple, décident ce qui bon leur semble et ne respectent pas la volonté de la majorité de la population. Exemple qui le démontre de façon flagrante : le vote sur la Constitution de l’Union européenne, dans la version proposée aux citoyens européens en octobre 2004. En France, cette constitution avait été approuvée par le président de la République française, puis avait été approuvée par 92 % des parlementaires de l’Assemblée nationale française, avant d’être rejetée par 55 % des électeurs français lors du référendum de mai 2005. C’est une parmi les preuves que les politiques, qui ont reçu le mandat du peuple, ne reflètent pas la volonté de la majorité des citoyens.
Il ne faut pas que le gouvernement, le Parlement et le Sénat prennent des décisions d’après ce que leur dictent les lobbies. Pour garantir la démocratie véritable, il faudrait procéder autrement.
Les divers moyens « permettant de s’exprimer » devraient servir uniquement à faire un inventaire des propositions qui peuvent provenir sans distinction des députés, des lobbies divers et des citoyens en général.
Ensuite la décision concernant chaque proposition devrait appartenir aux citoyens. Dans la constitution française, qui fait certaines références lointaines à la démocratie, il est en effet précisé que le peuple est souverain.
Dans les faits le peuple français n’est pas souverain lorsque - et c’est souvent le cas - le gouvernement, le Parlement et le Sénat prennent des décisions qui ne répondent pas aux souhaits de la majorité des citoyens.
Il faut bien insister sur le fait qu’en France les décisions politiques ne respectent pas les règles fondamentales de la démocratie.
Pour ceux qui sont aux plus hauts niveaux du pouvoir politique, l’important c’est d’être élus, ensuite ils font à peu près ce qui bon leur semble, en ne respectant pas obligatoirement et scrupuleusement la volonté de la majorité des citoyens. Autrement dit : parmi leurs décisions, ils prennent aussi des décisions qui ne sont pas démocratiques, qui ne respectent pas la volonté de la majorité des citoyens.
Répétons encore une fois que les cas sont vraiment nombreux quand les politiques, qui ont reçu le mandat du peuple, prennent des décisions qui ne respectent pas la volonté de la majorité de la population. Voici un autre exemple : lorsqu’il était candidat à la présidence de la République française, M. Sarkozy a déclaré qu’il est opposé à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Il apparaît à présent, après son élection, que c’était semble-t-il une déclaration neutre, qui ne l’engageait en rien. Une déclaration peut-être aussi neutre que celle qu’un général français avait jadis prononcée depuis un balcon devant une foule nombreuse : « Je vous ai compris ! ».
M Sarkozy a-t-il promis de façon claire et certaine qu’il fera tout pour arrêter le processus d’adhésion de la Turquie ? Peut-être pas. M Sarkozy peut continuer à faire des déclarations médiatiques « contre l’entrée de la Turquie », mais nous constatons que le processus d’adhésion de la Turquie, conduit par les institutions de l’Union européenne, continuera. À l’heure actuelle, il semble que M. Sarkozy a simplement fait des déclarations qui étaient censées lui apporter des voix des électeurs qui n’ont aucun autre moyen de voter pour arrêter le processus d’adhésion de la Turquie [3]. C’est encore un exemple qui montre que dans les faits les politiques au pouvoir ignorent la volonté de la majorité des citoyens tout en parsemant leurs discours du mot démocratie.
Donc l’ordre établi dans les sociétés qui officiellement se disent démocratiques n’est pas toujours un ordre qui est entièrement démocratique.
Revenons sur les processus actuels de prise de décisions politiques concernant l’environnement et notamment les OGM.
On constate qu’en définitive les lois concernant les OGM seront rédigées d’après les propositions venant de lobbies divers, c’est-à-dire de groupes de pression, quel que soit le nom qu’on leur donne [4]. Les groupes invités à apporter des propositions pour les lois sur l’environnement ne sont pas une garantie suffisante de décisions démocratiques concernant les OGM. Ces groupes sont composés de femmes et d’hommes. Chaque femme et chaque homme peuvent être soumis à des pressions et, surtout lorsque les intérêts financiers sont en jeu, à des chantages. Il n’est pas garanti que ce processus impliquant les groupes représentatifs aboutisse à des orientations qui préservent l’intérêt général. Il n’est pas garanti que les lois qui seront votées répondent aux souhaits de la majorité des citoyens qui se sentent concernés. Par conséquent, pour garantir la démocratie véritable, il faut procéder autrement.
Il faut d’abord dresser l’inventaire des propositions provenant des citoyens. Cela en respectant la première règle de la démocratie qui est la règle de la liberté d’expression et d’opinion en évitant toute censure.
Pour respecter la deuxième règle de la démocratie, selon laquelle toute décision répond aux souhaits de la majorité des citoyens, la bonne solution est apportée par les référendums.
Les référendums sont un outil souple, ils peuvent avoir aussi la forme de questionnaires à choix multiples. Le questionnaire sur les OGM reprendrait l’inventaire des propositions recueillies, afin que les citoyens puissent s’exprimer directement sur :
- « le libre choix de produire et de consommer avec ou sans OGM » ;
- « le principe du pollueur-payeur » ;
- « la non-brevetabilité du génome » ;
- « la culture des plants OGM uniquement dans les espaces isolés des autres plants » [5] ;
- etc.
La majorité des voix exprimées par les citoyens sur chaque question devrait emporter la décision. Il resterait aux députés à rédiger les textes des lois en fonction des orientations décidées par le peuple souverain.
Cette façon de procéder, par référendums, est généralisée en Suisse [6]. D’autres États ont également généralisé le référendum comme outil de décision politique.
Tant que cette façon de procéder n’est pas adoptée en France, nous ne serons pas en démocratie.
Concernant les OGM comme concernant les autres questions qui relèvent des décisions politiques, les articles que l’on peut écrire, sur AgoraVox ou ailleurs, peuvent-ils amener les politiques qui sont au pouvoir à respecter les règles fondamentales de la démocratie véritable ? Quelles actions faut-il entreprendre pour obliger enfin les politiques au pouvoir à mettre en application la démocratie véritable, la démocratie dans laquelle chaque décision politique répond aux souhaits de la majorité des citoyens qui se sentent concernés par la décision ?
-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.—.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-
- Notes :
-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.—.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-
[1] Référence aux accords de Grenelle, signés le 27 mai 1968, pour régler les problèmes sociaux de l’époque. Le nom de Grenelle vient de la rue du même nom, où se situait le ministère du Travail, lieu de ces négociations. Alors par analogie, pour les négociations actuelles, il aurait été approprié de les dénommer d’après le lieu où se situe le ministère de l’Écologie, du Développement et de l’Aménagement durables. Il se trouve que le ministre et son cabinet occupent l’hôtel de Roquelaure, au numéro 246 du boulevard Saint-Germain à Paris. Mais l’administration centrale du ministère est installée à La Défense (adresse postale : Arche Sud 92055 La Défense cedex). Vous voyez que l’appellation plus appropriée, pour ces négociations visant à définir les orientations politiques sur l’environnement, aurait été « Défense de l’environnement » !
[2] Lien sur l’article « Le débat sur le défi écologique est lancé » :
http://www.capital.fr/Actualite/Default.asp?source=RE&numero=230137&Cat=GEN
[3] Ceci dit, il ne faut pas croire qu’on n’y peut rien, que l’Union européenne, plus exactement les institutions de l’Union européenne, décident de l’élargissement de l’Union européenne et que les politiques des États membres ne sont pas en position de s’y opposer.
Il faut se rappeler que les institutions de l’Union européenne ne sont pas autonomes quand elles décident de l’élargissement de l’Union européenne. La décision de ce genre est prise à l’unanimité du Conseil européen. Le Conseil européen réunit quatre fois par an les chefs d’État et de gouvernement des États membres de l’Union européenne. Toutes les orientations importantes de l’Union européenne sont décidées lors de ces sommets périodiques. Cela concerne aussi l’élargissement de l’Union européenne à de nouveaux États membres. Pour ce type de décision les représentants des États membres (le chef d’État en ce qui concerne la France) doivent être unanimes, donc il suffit qu’un seul représentant d’État membre décide de s’opposer à une adhésion pour que cette adhésion ne puisse pas aboutir. C’est seulement plus tard, lorsque le représentant d’État membre a donné son accord (le chef d’État en ce qui concerne la France), que les parlements nationaux doivent ratifier la décision d’élargissement et le Parlement européen, composé de membres directement élus, doit donner son avis conforme. Donc le chef d’État français est en position d’arrêter l’adhésion de la Turquie s’il souhaitait vraiment l’arrêter.
Il apparaît donc que les politiques qui se partagent le pouvoir en Europe sont globalement favorables à l’entrée de la Turquie, puisqu’ils n’arrêtent pas ce processus. Peut-être qu’on peut soupçonner divers lobbies d’influencer les orientations politiques qui sont décidées par les politiques au pouvoir.
Mais dans tout cela, où est le respect du principe fondamental de la démocratie, le respect systématique de la volonté de la majorité des citoyens ? La majorité des Européens veut-elle prolonger le processus d’adhésion de la Turquie ? Les politiques tiennent-ils compte de l’opinion de la majorité des citoyens ? Les politiques au pouvoir sont-ils démocrates ?
La procédure d’introduction de la Turquie dans l’Union européenne est encore un exemple de décision de l’Union européenne où les lobbies ont clairement forcé l’orientation malgré les souhaits opposés des citoyens européens. La volonté majoritaire des citoyens étant étouffée, l’adhésion de la Turquie est une décision antidémocratique de plus.
Pour chaque pays candidat, il faudrait AVANT de commencer la procédure d’adhésion (et pas seulement à la fin de la procédure !) demander aux Européens d’exprimer leur accord ou désaccord.
La procédure d’adhésion dure des années et coûte de l’argent aux contribuables européens, par conséquent il ne faut démarrer la procédure d’adhésion que si les Européens ont démocratiquement exprimé leur accord. Un référendum serait approprié, car il permet aux citoyens de s’exprimer sans l’intermédiaire des politiques, qui souvent pour le moins déforment la volonté majoritaire des citoyens, et parfois l’ignorent délibérément.
[4] Lisez l’article « Plusieurs dizaines de propositions concrètes pour nourrir le débat national » :
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-959155,36-960161@51-946550,0.html
[5] Vous pouvez lire davantage dans mon article publié sur AgoraVox « Les OGM, la dépendance alimentaire, la dépendance politique, la bio-uniformisation ». Lien :
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=29556
[6] Vous pouvez lire davantage dans mon article publié sur AgoraVox et qui explique quelle est la différence entre les prétendues « démocraties » que nous imposent les politiques au pouvoir depuis des décennies et la démocratie véritable : « Démocratie participative et poids des lobbies ». La démocratie directe - avec la possibilité donnée aux citoyens de déclencher les référendums - n’élimine pas les éléments de « démocratie représentative » ni les éléments de « démocratie participative ». La démocratie directe laisse aux uns et aux autres la possibilité de faire des propositions et laisse aux politiques la responsabilité de gérer les affaires de la communauté au quotidien. Mais elle exerce sur les politiques et sur les lobbies le contrôle permanent du respect de la règle démocratique : « pour toutes les questions qui touchent la communauté c’est la volonté de la majorité des citoyens qui décide ».
Pour recueillir les questions à trancher par référendum, ou pour recueillir les « signatures » des supporteurs afin de déclencher le référendum d’initiative populaire, il est possible avec les moyens techniques dont on dispose en Europe, de créer par exemple des sites internet, comme pour le vote aux élections par internet. Je signale qu’au niveau des votations locales (niveau équivalent aux municipalités françaises) en Suisse il est parfois possible de voter même par SMS sécurisé. La gestion de ces sites dédiés aux référendums devrait incomber à l’État. Tout individu isolé devrait pouvoir déposer une proposition sans avoir à passer par des associations ou par des partis politiques.
Sur ces sites les idées devraient pouvoir également être exposées librement sans restrictions et cela permettrait de faire le contrepoids aux médias qui sont actuellement en position quasi monopolistique du « laveur de cerveau » des citoyens. Cette libre expression d’idées, les sites officiellement dédiés aux référendums, pourrait avoir par exemple la forme d’articles comme ceux que nous connaissons sur AgoraVox. Cependant la différence est que sur AgoraVox un comité de rédaction sélectionne les articles qui peuvent être publiés. Sur les sites dédiés aux référendums on pourrait simplement brider le « spamming » en limitant le nombre de post, par période et par thème. La seule véritable restriction sur les sites dédiés aux référendums concernerait la forme : les attaques personnelles ou nominatives devraient être interdites ainsi que les expressions vulgaires ou ordurières. Par contre il n’y aurait pas de restriction, pas de censure, sur les idées : les citoyens doivent avoir la liberté totale d’avoir des idées, quelles qu’elles soient et doivent avoir le droit de les propager. Dans mon article « La liberté d’expression est une condition de la démocratie », publié sur AgoraVox, j’explique pourquoi il doit en être ainsi. Lien :
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=28714
On peut aussi imaginer de faire évoluer la chaîne de télévision parlementaire, pour qu’elle devienne un relais des idées proposées aux référendums. Ce ne sont que des exemples de ce qu’il serait possible de faire.
De toute façon, par chance, la démocratie directe - qu’il ne faut pas confondre avec la « démocratie participative » - est en place en Suisse. Les Suisses ont depuis plus d’un siècle mis en place et fait évoluer le système politique basé sur les référendums. C’est une expérience concrète à partir de laquelle est possible la transposition de la démocratie véritable dans d’autres pays.
Les référendums sur l’initiative des citoyens devraient être garantis par la Constitution française et par la Constitution européenne si elle est mise en place. Il ne faut pas que les politiques et les groupes de pression décident, selon leurs calculs, sur quelles questions particulières les citoyens peuvent exprimer leur volonté par référendum et sur quelles autres questions les citoyens n’ont pas le droit d’imposer leur volonté majoritaire.
Si vous lisez mon article publié sur AgoraVox « Démocratie participative et poids des lobbies », il vous apparaîtra que l’initiative du ministre de l’Environnement M. Jean-Louis Borloo, d’inviter les citoyens à s’exprimer, s’apparente exactement aux dispositifs voulus par la candidate à l’élection présidentielles Mme Ségolène Royal : c’est de la « démocratie participative » qui consiste à ouvrir aux citoyens certaines tribunes où ils peuvent s’exprimer de façon encadrée, mais en définitive la décision politique n’appartient pas aux citoyens. Dans la « démocratie participative » le peuple n’est pas souverain. La « démocratie participative » est un leurre car elle seule ne permet pas la mise en place de la démocratie véritable. Par contre la généralisation de la « démocratie directe », avec les référendums d’initiative populaire garantis par la Constitution, permet d’établir la démocratie véritable.
Lien sur mon article publié sur AgoraVox :
10 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON