Macron, le Président Soleil : La Révolution Gaullisme Vintage
Au-dessus du pays, durant une présidentielle maussade, aura soufflé un vent de gaullâtrie. Pas moins de cinq des candidats l’ont invoqué pour qu’à sa suite, vienne se déverser une pluie bénéfique sur leurs piètres discours. A ce jeu, qui pouvait vaincre sinon celui qui commande à la foudre et aux nuées ? Désormais au pouvoir, c’est une curieuse révolution que Jupiter a griffonné sur sa « feuille de route » : du « gaullisme vintage » pour qu’enfin la France entre dans le XXIe siècle...
NB : le texte présenté est une version corrigée de l’article publié le 19 juin 2017.
Une certaine idée de la nostalgie
Se revendiquer du gaullisme, nous l’avons vu dans Macron, Le Pen, Dupont Aignan : tous gaullistes, est fort commode. Le temps de citer le nom mythique à une tribune, voici en image subliminale, une levée des couleurs au son d’un clairon martial et républicain. Mais n’est pas prêtre qui veut de cette quasi religion dont l’acte de foi, la « chahada » diraient les musulmans, offre à quiconque d’en être l’adepte sans rien renier de ses opinions. D’un ton inspiré, Il suffit d’affirmer posséder « une certaine idée de la France » et le tour est joué.
Force est de reconnaître que le nuage de gaullâtrie a fertilisé l’atmosphère de sa gaze. Après les éloges et les bénédictions – le cardinal Barbarin a solennellement appelé à voter Macron – notre prodigieux président a endossé les habits de la fonction ; certes recousus à sa carrure menue, mais bel et bien ceux du général.
Etait-ce pour saluer ce mouvement « vintage » ou pour s’en moquer gentiment, Bernard Cazeneuve avait prévu de quitter Matignon à bord d’une DS noire, voiture insigne de la décennie gaullienne. Les communicateurs élyséens ont dû estimer inopportun qu’il en soit rajouté au « chamboule tout » de Fabius avec sa citation ambiguë de Chateaubriand. Pourtant, cette plaisanterie n’était peut-être pas si incongrue. A la façon d’Hibernatus, grand succès de De Funès, serions-nous en train de remonter plusieurs décennies en arrière, un nouveau Fantômas se dissimulant sous les traits du général ?
Rions-en un peu, avant de devoir subir le choc d’une Macronie en complet ordre de bataille, forte de ses trois à quatre cents députés qui vont faire de l’Assemblée nationale une chambre d’enregistrement des décisions présidentielles.
De Gaulle : Macron reprend le rôle
Macron en passe d’être officiellement investi dans sa charge, gravit les marches du perron avec célérité, c’est « le Chaban » dont la vivacité suggérait à De Gaulle de le comparer à un singe. Macron remonte les Champs Elysées à bord d’un Command Car, c’est le chef des armées, De Gaulle coiffé de son képi bi-étoilé. Macron rencontre le président des Etats Unis, poignée de fer en prime, puis offre les honneurs de la galerie des glaces de Versailles à Poutine, c’est De Gaulle en prestigieux et distingué diplomate. Macron qui enchaîne enfin par un G7 en Sicile, et c’est De Gaulle l’infatigable voyageur.
Dans ce contexte de Gaullisme Vintage, il se dit et se répète que Macron revient aux sources de la Ve République, précisément celle conçue et instaurée par De Gaulle en 1958.
Plus authentique restaurateur que révolutionnaire, notre Président-Soleil reprendrait à son compte, ce qui semble réjouir tous nos médiacrates, une pratique régalienne des institutions. Un président qui gouverne en monarque, encadré de ministres qui marchent au pas. Un président que ne gêneront pas une myriade de députés faisant semblant de légiférer, comme le déplorait, sous De Gaulle, le Mitterrand de1964. Une phrase de son fameux pamphlet, Le Coup d’Etat Permanent, donne le ton de la sombre comédie qui se jouait sous yeux et risque de se reproduire :
« Alors il ne restera debout, face au peuple abusé, qu’un monarque entouré de ses corps domestiques. »
La Ve République « authentique », mise en place avec la Constitution d’octobre 58 n’est pas cette « monarchie républicaine » que la plupart des commentateurs « autorisés » se plaisent à évoquer à tout bout de champ, plus amusés qu’inquiets.
La consternante gaullâtrie qui a émaillé les discours de candidats en quête de légitimité, loin de susciter le regard critique et correcteur des journalistes, a conduit à déformer l’histoire, à en tordre les contours et la chronologie pour construire le mythe d’une Ve République originelle, celle de De Gaulle, à laquelle Macron donnerait un second souffle.
Si De Gaulle a bel et bien jeté les bases de la Constitution de 1958, sa pratique s’en est écartée jusqu’à instaurer, par la révision et la coutume, et en contradiction avec ce que visait le mouvement gaulliste d’après-guerre, une forme d’autocratie dont le régime de Macron poursuit et renforce la course. Aussi, loin d’être un retour aux sources de la Ve République, sa démarche s’annonce comme l’accentuation de l’hyper régalisme mis en œuvre et proclamé par De Gaulle Président-monarque. Comment ne pas s’en inquiéter ? Cela d’autant plus que la victoire écrasante de Macron aux législatives s’apparente à un abandon de leur souveraineté par une forte majorité de Français.
La Ve République rêvée des gaullistes
La référence doctrinale réside dans le discours de Bayeux de 1946, inspirée par la thèse défendue dès 1934 par François de La Rocque, président de la Ligue des Croix de Feu, devenue par la suite, le Parti Social Français.
De Gaulle, à la lumière des faiblesses de la IIIe République, prônait l’avènement d’un régime plus stable, mettant fin à la prééminence du pouvoir législatif grâce à un président de la République disposant de pouvoirs importants tout en se tenant à distance des commandes de l’Etat. De Gaulle soutenait alors l’élection du Président par un collège de grands électeurs, mais élargi aux représentants du monde professionnel.
Douze ans plus tard, la Constitution de la Ve République adoptée par référendum en septembre 1958 reprend les idées exprimées à Bayeux. Sa principale originalité réside dans les moyens accordés au Président pour exercer son rôle de garant et d’arbitre. Outre le Premier ministre et les ministres, il nomme aux emplois civils et militaires. S’il préside le Conseil des ministres et promulgue les lois, il s’efface derrière le Gouvernement qui détermine et dirige la politique de la Nation, tout en disposant de l’administration et de la force armée. Enfin, Il peut dissoudre l’Assemblée nationale et, en des circonstances d’extrême gravité, s’arroger les pleins pouvoirs.
Le Premier ministre est responsable devant le Parlement, ce qui peut le contraindre à présenter la démission du gouvernement au Président. Les lois, projets du Gouvernement ou propositions du Parlement, sont débattues et votées par ce dernier. La souveraineté populaire s’exerce ainsi de façon équilibrée entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif, le Président ayant le statut particulier d’arbitre que justifie son élection par un collège d’élus et non celui d’incarnation de l’Etat.
Une ambiguïté vient toutefois se loger dans cet édifice : le Président est Chef des armées, il négocie les traités et nomme les ambassadeurs. Comment en effet concilier ces pouvoirs avec ceux du Gouvernement, clairement désigné comme le chef du pouvoir exécutif ?
La pratique gaullienne, Constitution rêvée des Présidents autocrates
Le texte originel de la Constitution ne fut pas dicté par De Gaulle à un Debré secrétaire particulier. Il fut le résultat des travaux d’un Comité Consultatif Constitutionnel composé de parlementaires, d’anciens responsables de haut rang comme Paul Reynaud et Guy Mollet, de hauts fonctionnaires et d’experts de droit public des plus avisés…et bien sûr de De Gaulle en personne. Le texte finalement adopté et présenté au suffrage des Français, sans s’écarter des repères de Bayeux, fut le résultat d’une concertation. Il ne traduisait pas totalement la pensée du général, qui plus est homme foncièrement pragmatique et fasciné par son « équation personnelle », selon sa propre formule.
Dès son installation à l’Elysée en janvier 1959, De Gaulle a donné le ton de sa gouvernance. Michel Debré, puis Pompidou ont été confinés à une position de directeur de cabinet, chargés de faire exécuter les consignes élyséennes en coordonnant et surveillant les activités des ministères.
Les observateurs et témoins de cette époque sont unanimes pour présenter les deux secrétaires généraux de la Présidence qui se sont succédé, Burin des Roziers et Tricot, comme ayant eu un poids plus important que les Premiers ministres.
Il faut être bien être conscient que le Président dispose, avec ses conseillers et chargés de mission, de l’équivalent d’un gouvernement. Un coup de fil du conseiller aux affaires sociales est d’une toute autre importance que celui, auquel on se contentera de répondre poliment, du ministre du travail. Par ailleurs, en dépit de la disposition qui attribue au Gouvernement pris comme un tout, la « détermination » de la politique de la Nation, jamais il n’y a eu de débat ni même d’exposé développé lors des conseils des ministres.
De surcroît, le Président s’est accordé, de façon arbitraire, un « domaine réservé », la défense et la diplomatie, nullement mentionné dans le texte constitutionnel. Ce dernier ouvrait la porte à une dyarchie : un Président chef des armées devant se concerter avec un Premier ministre qui dispose des forces de défense. De Gaulle opta pour une franche mainmise. Tant lors du règlement de la question algérienne qu’avec ses retentissantes visites à l’étranger, il a très tôt démontré qu’il se réservait la direction des forces armées et celle des affaires étrangères. Jamais démentie par la suite, la notion de domaine réservé, a fini par acquérir une valeur normative, les juges la considérant comme faisant partie de la coutume institutionnelle.
Entre 1958 et 1964, se forme une nouvelle Constitution, virtuelle
L’emprise régalienne n’en resta pas au domaine réservé. Profitant de l’émotion provoquée par l’attentat du Petit-Clamart du 22 août 1962, De Gaulle décida de soumettre par référendum, une révision capitale de la Constitution : l’élection du Président au suffrage universel direct. L’émérite juriste Vedel a commenté cette inflexion en parlant de « deuxième Constitution ».
Désormais, et en contradiction avec l’esprit initial, le Président devenait l’incarnation de l’Etat, pouvant se prévaloir d’une légitimité qui déréglait l’équilibre recherché lors de l’élaboration de la Constitution.
Et puis, en janvier 1964, se tient cette fameuse conférence de presse où De Gaulle explicite sa doctrine, celle qui est le véritable fondement des institutions depuis lors. Une phrase majeure mérite d’être citée intégralement :
« L'autorité indivisible de l'Etat est déléguée toute entière au Président par le peuple qui l'a élu, et (qu') il n'y en a aucune autre, ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciaire, qui ne puisse être conférée ou maintenue autrement que par lui. Et (qu') il lui appartient d'ajuster le domaine suprême qui lui est propre avec ceux dans lesquels il délègue l'action à d'autres. »
Cette déclaration marque une rupture avec tout le passé républicain de la France. Jusqu’alors, en vertu de la séparation des pouvoirs, considérée comme un garant indépassable de la vie démocratique, l’autorité de l’Etat était répartie entre pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Selon les propos de De Gaulle, le peuple s’en remet entièrement au Président pour la durée de son mandat. Ni le gouvernement pourtant responsable devant le Parlement, ni le Parlement, censé exprimer la volonté générale, ne forment des contrepoids légitimes à la toute-puissance du chef de l’Etat.
Un Premier ministre qu’on prend, qu’on jette
Dans la même déclaration de 1964 De Gaulle explicite le rapport de totale subordination qui lie le Premier ministre au Président : (…) le président qui nomme le gouvernement, et en particulier le Premier Ministre, qui peut le changer lorsqu'il estime que la tâche qu'il lui destinait est terminée, ou bien s'il se trouvait qu'il ne s'entendit plus avec lui.
Evidemment, rien de cela ne trouve sa source dans le texte constitutionnel, lequel prévoit les cas où le Gouvernement est tenu de présenter sa démission, strictement par désaveu du Parlement. Mais De Gaulle n’aura pas attendu 1964 pour appliquer sa doctrine. Dès avril 1962, alors que Debré n’est contesté que par les quatre-vingt députés demeurés partisans du maintien de la France en Algérie, De Gaulle le remplace sans explication par son directeur de cabinet, inconnu du grand public, un certain Pompidou.
Cette pratique se renouvellera en 1971 avec l’éviction de Chaban-Delmas par Pompidou, puis en 1991 avec celle de Rocard par Mitterrand. Dans les deux cas, il s’agissait de Premiers ministres populaires et sans conflit majeur avec le Parlement.
Les pleins pouvoirs au bon vouloir du Président
Le fameux article 16 a bien failli ne pas figurer dans la Constitution. C’est ce que rapporte notamment Soustelle, acteur clé du retour au pouvoir du général et ministre de 1958 à 1960. Guy Mollet et Paul Reynaud, les deux personnages les plus éminents du Conseil Consultatif Constitutionnel, voyaient d’un mauvais œil cette possibilité pour le chef de l’Etat de s’arroger des pouvoirs exceptionnels. De Gaulle réussit à les convaincre en expliquant qu’il s’agissait d’assurer la continuité de l’Etat dans l’hypothèse de circonstances d’une extrême gravité, du degré de ce qui s’était produit en 1940. L’article fut intégré dans le projet de loi avec l’ajout d’une condition : l’interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs constitutionnels.
L’usage que fit le général De Gaulle de cet article 16 est bien connu. Il le décréta au soir du putsch d’Alger du 21 avril 1961 et le maintint jusqu’en septembre de la même année. Certes un véritable péril a menacé l’Etat. Cependant, les insurgés se trouvant en Algérie, les pouvoirs constitutionnels ne furent pas interrompus et la tentative de coup d’Etat fut jugulée en quatre jours ! Mais, selon le texte de l’article 16, le Président n’est tenu que de prendre les avis du Premier ministre, des présidents des deux assemblées et de celui du Conseil constitutionnel, avis qui n’ont pas à être rendus publics. En d’autres termes, c’est le Président qui estime si oui ou non, les conditions fixées par la loi sont réunies. Elles ne l’étaient pas en 1961, De Gaulle a passé outre, selon la logique formulée plus tard par Mitterrand, qui fut pourtant un ardent dénonciateur du présidentialisme gaullien : « C’est à moi qu’il appartient de décider ce qu’il convient de décider. » Louis XIV n’aurait pas dit mieux.
En conclusion sur cette évocation du passé, d’autant plus nécessaire que Macron s’y réfère, il faut retenir que la « feuille de route » du nouveau Gouvernement n’est pas un retour aux sources d’une Ve République que seul De Gaulle aurait mis en œuvre de façon satisfaisante. Il s’agit de la poursuite d’une coutume qui a force de norme, coutume née d’une pratique non conforme de la Constitution, initiée par l’instaurateur de celle-ci, le général De Gaulle. Aucun des présidents qui lui ont succédé n’a infléchi cette coutume. Bien sûr, il y a eu les cas particuliers des cohabitations, durant lesquelles le fameux domaine réservé est resté sous la main du Président. Mais en un demi-siècle de pratique, c’est le même régime bâtard, faussement parlementaire, très régalien mais sans les avantages du système présidentiel, qui se poursuit : une « démocratie des monarques », appellation plus parlante et moins flatteuse que « monarchie républicaine ».
Macron-Jupiter : plus régalien que moi tu meures
Macron a commencé par ses tweets chocs, cherchant le buzz de façon assez univoque avec des assertions de café-du-commerce pour gagneurs, ancrées en un libéralisme outrancier. Puis, démarrant sa croisade pour l’entrée de la France dans le XXIe siècle, il s’est lancé dans des discours creux qu’une faune d’écervelés pouvait entendre à sa guise. Ce n’est que tardivement, la victoire se faisant sentir, qu’il s’est mis à parler plus librement de sa vision personnelle de la gouvernance. Ce qui intéressait les journalistes - sentant le vent, ils ont accéléré et facilité son ascension - était de mieux connaître ce futur président afin de le mieux flatter. Eut-il dit que son obsession était le débat, la conflictualité créatrice, la prise en compte des corps intermédiaires, nos médias l’eussent pareillement encensé, développant sans retenue ses aphorismes.
Après avoir parlé d’une nostalgie française de la monarchie et du caractère dépassé de la légitimité que confère l’élection, parvenu sur son haut trône élyséen, Macron s’est présenté comme « jupitérien », déterminé à « enfin changer les choses » par… un retour aux sources, régaliennes-gaulliennes, de la Ve République.
Du progrès tout court nous sommes passés à un curieux rétro-progrès dont on peut se demander si l’aspiration au XXIe siècle ne serait pas tout simplement due à une erreur de typographie digne du film Brazil, la barre du XIX ayant glissé d’un cran vers la droite, eh oui, la droite…
Jupiter ? C’est Macron !
Avec le recueil de notes publié naguère par Peyrefitte, nous avons eu « C’était De Gaulle ! » La formule a fait flores au-delà de ce très instructif ouvrage. Tout ce qui a pu être rapporté des dires du général-président, y compris les formules les plus inadmissibles, loin de susciter l’indignation ou la déception, induisent cette petite réponse, anodine à première vue : Ah, c’était De Gaulle ! Décodée, cela donne : que voulez-vous, un homme de cette trempe, au destin si exceptionnel, qui a redonné sa fierté et son honneur à la France – et il faut imaginer le léger haussement d’épaules et l’expression attendrie du visage.
De Gaulle pouvait dire ce que bon lui semblait ; par exemple à tel interlocuteur favorable à l’intégration des Algériens musulmans : « Vous voulez bougnouliser la France ? »… C’était De Gaulle !
Eh bien avec Macron, nous assistons, et de son vivant, au même phénomène. Parle-t-il des barques « qui ramènent du Comorien à Mayotte », c’est un petit dérapage et puis... « C’est Macron. » Cet homme est en train de sauver la France, il nous conduit vers le progrès, il a bien droit à quelques maladresses. Ainsi est-il estimé pour son modèle de gouvernance. C’est Jupiter, il faut lui obéir et exécuter sagement ses ordres et consignes.
Qu’est devenu le Gouvernement qui « détermine la politique de la Nation », selon la disposition de l’article 20 ? Les personnalités aux sensibilités et convictions variées, qui forment l’équipe gouvernementale sont censées participer à l’élaboration d’une politique qui ne saurait être l’addition de mesures prises ministère par ministère. Selon Macron, en parfaite continuité avec ses prédécesseurs, il n’en est pas question. La nouveauté réside dans la clarté du message : « Le président fixe la stratégie, donne le cap ». Où est donc la « collégialité » qui figure dans le même compte-rendu ?
Et que faut-il penser quand il est ajouté que « les ministres s’appuieront sur leurs cabinets ministériels aux effectifs restreints » ? Bien sûr on devine la démarche : montrer aux électeurs qu’au niveau le plus haut de l’Etat, on rogne aussi sur les effectifs…oui mais dans ceux des ministres, pas ceux du Président, hormis pour ce qui concerne ces conseillers qui seront partagés par Matignon et l’Elysée, étrange procédé dont on devine qui en sera le véritable bénéficiaire.
Dire haut et fort ce qui jusqu’alors était tu n’est pas neutre. Cela ne traduit pas une volonté de transparence. C’est une façon d’abaisser publiquement l’équipe gouvernementale qui revient à obtenir de celle-ci l’engagement tacite d’une docile collaboration. Les règles du jeu étant publiques, le silence de ceux à qui elles s’adressent vaut pleine acceptation.
Les députés-obligés
Dans quelques jours vont débarquer au Palais Bourbon, de trois à quatre cents députés macronistes.
Qui sont-ils ? Novices au label société civile, pieds tendres de la politique, experts, énarques et assimilés, promis à monter en grade dans la Macronie, et vieux briscards dont le recyclage les a épargnés de la retraite et de l’oubli.
Tous ont en commun de devoir leur investiture et leur victoire à ce Président jupitérien dont l’ascension-éclair pourrait relancer la croyance aux dieux de l’Antiquité. Ces hommes et femmes auront conservé une position enviable ou y auront accédé en un tour de passe-passe. Soit qu’ils se sentiront tant soulagés d’avoir pu poursuivre une carrière qui semblait être arrivée à son terme, soit qu’ils vont se trouver émerveillés par le prestige et le confort matériel de cet emploi inespéré, ils n’auront de cesse de bénir ce chef prodigieux qui les a pris sous son aile.
Réglés comme du papier à musique, ces obligés vont devoir s’acquitter de leur dette. Au lieu de légiférer, ils animeront leurs réseaux locaux comme indiqué sur leurs vadémécums et voteront comme un seul homme les projets venus du Château…à commencer par la loi d’habilitation des ordonnances, les fameuses ordonnances destinées à soi-disant moderniser le Code du travail. Grâce à son troupeau de quatre cents obligés dociles, notre monarque ne va perdre de temps, il aura sa loi d’habilitation votée en un temps record et ses ordonnances ratifiées avant la prochaine rentrée.
Un zest de proportionnelle pour une carte électorale optimisée
Durant la campagne, Macron avait défendu l’ajout d’une « dose » de proportionnelle au mode de scrutin pour les législatives. Désormais au pouvoir, il nous fait savoir par son Premier ministre, qu’il faudra probablement instiller certes un peu de proportionnelle, enfin c’est à voir, mais en tout cas pas pour tout de suite, peut-être avant la fin 2018…
Evidemment, contrairement aux ordonnances de cet été ou à l’IFI - impôt sur la fortune immobilière qui va refroidir nos Bobos et BCBG propriétaires à la ville et à la campagne, qui ont écouté Dany ou le cardinal Barbarin – la proportionnelle ne rapporte pas de sou. Elle peut donc attendre. Ce qui est sûr, à en croire Edouard Philippe, est la réduction promise du nombre de députés. Il faudra pour cela, mais n’est-ce pas le but caché de la manœuvre, restructurer la carte électorale en modifiant les contours des circonscriptions.
Avec son écrasante majorité à l’Assemblée, Macron pourra, sans résistance aucune, faire adopter une carte optimale qui aura été formatée avec ingéniosité par ses marketeurs. Ainsi dans cinq ans, à défaut de la proportionnelle annoncée, les frontières entre des circonscriptions plus étendues passeront là où il faut pour offrir des populations Macron-localisées aux futurs candidats du Président.
Nouvelle Task Force au Pays des comités Théodule
Pas de mission impossible pour notre super-président, ou plutôt encore et encore Emmanuel veut jouer à Mission Impossible dans son bureau. Promesse de campagne très vite réalisée, une nouvelle structure de renseignement est créée. Son originalité et la garantie de son efficacité tiendraient à son rattachement direct à la Présidence.
Il faut lire le décret sur le journal officiel pour nous rappeler combien l’énarchie est capable de construire des usines à gaz à partir d’une accumulation de services, de cellules, de comités…ces fameux « comités Théodule » selon la formule moqueuse de De Gaulle, lancée en 1963 à l’encontre de sa propre administration…
Ainsi vient s’ajouter à la Communauté du renseignement, l’appellation n’est pas de moi, une coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme placée sous l'autorité du coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, auquel est rattaché le Centre national de contre-terrorisme.
Outre que le « domaine réservé » se trouve élargi aux questions de sécurité, qui dépendent normalement du ministère de l’intérieur et du Premier ministre, nous voyons à cette occasion combien appétit régalien et personnalité jupitérienne ne coïncident pas forcément avec efficacité. Dans un domaine où fluidité et simplicité de la circulation des informations sont des atouts capitaux, la liste des instances existantes laisse perplexe.
S’occupent donc du terrorisme : la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure), la DRM (direction du renseignement militaire), la DRSD (Direction du renseignement et de la sécurité de la défense), la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure), la DNRED (Direction nationale de recherche et des enquêtes douanières). Directions auxquelles s’ajoutent le SGDSN (Secrétariat général de la Défense nationale), le SCRT (Service central du renseignement territorial), la SDAO (Sous-direction anticipation opérationnelle), la DRPPP (Direction du renseignement de la Préfecture de police de Paris) le BCRP (Bureau central du renseignement pénitentiaire) l’UCLAT (Unité de coordination et de lutte antiterroriste) et l’EMOPT (État-major opérationnel de prévention du terrorisme).
Il est fort possible que la liste soit incomplète et ce n’est pourtant pas le professeur Shadoko qui a imaginé tout cela !
Le décret ne précise pas les moyens dont disposera cette unité de coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme ; il parle d’une mission essentiellement de conseil et de coordination, les mots qui vont le mieux ensemble dans l’univers des grandes organisations, publiques comme privées.
Alors, un comité Théodule de plus ?
Directement rattaché à Macron, se rassureront ses nombreux adulateurs, ce qui change tout. Qui sait en effet, si notre Président-monarque ne va pas se jouer de cet embrouillamini pour agir à la façon d’un Tom Cruise, invisible, incognito, identifiant les cibles avec l’acuité d’un aigle avant de les neutraliser avec la vigueur d’un James Bond. Notre bon Président normal l’a bien fait ; il a avoué dans ce fameux recueil d’interviews paru l’an dernier, qu’il avait ordonné quatre ou cinq opérations « homo », homo pour homicide.
Au-delà de la dérision que suscite ces manières d’agir propres à la haute fonction publique qui, peu ou prou, dirige le pays depuis un demi-siècle, il faut voir dans cet épisode combien le renforcement du pouvoir personnel n’est pas une crainte infondée. En l’absence d’un contrepoids au Parlement et avec des cours suprêmes habituées à entériner les excès commis par le Président au motif de la légitimité populaire dont il est porteur, jusqu’où pourrait aller Macron ? Ce sera ma conclusion, en considérant la sorte d’épée de Damoclès qu’est l’article 16 de la Constitution
Plus dangereux que le téléphone rouge, les pouvoirs exceptionnels
L’article 16, nous l’avons vu plus haut, n’a été utilisé qu’une fois, par De Gaulle, en réaction à la tentative de coup d’Etat du 21 avril 1961. Depuis lors, l’article a été enrichi d’un alinéa qui dispose que le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs peuvent saisir le Conseil constitutionnel au bout de trente jours, puis soixante, afin qu’il soit examiné si les conditions de mise en place des pouvoirs exceptionnels sont toujours réunies. Est-ce un véritable garde-fou ?
En 1961, De Gaulle a fait ce qu’il a voulu, en dépit des règles fixées par l’article 16. Les pouvoirs constitutionnels n’ont jamais cessé de fonctionner et la rébellion n’aura duré que quatre jours. Il faudra cependant attendre cinq mois pour que le Président mette fin à une situation durant laquelle la République devient une dictature.
Que ce serait-il passé si, en septembre, De Gaulle avait estimé qu’il fallait continuer ? Les seuls opposants à sa politique étaient pourchassés par la police ou se trouvaient en détention administrative, c’est-à-dire arbitraire.
Aujourd’hui, le recours à cet article liberticide est-il envisageable ?
La révélation par l’Obs d’un projet de coup d’Etat ourdi par le gouvernement Hollande pour réagir en cas de victoire de Marine Le Pen laisse songeur. Cette information n’aura pas fait beaucoup couler d’encre mais elle n’a pas pour autant trouvé d’arguments solides pour en démontrer la fausseté. Notons que dans ce cas de figure, c’est Marine Le Pen qui eût été en droit de recourir à l’article 16, puisque concrètement l’un des pouvoirs constitutionnels, celui de la Présidence de la République, n’aurait pas pu fonctionner. Mais qui lui aurait obéi ? Le Premier ministre, selon ce projet, serait resté en fonction, refusant de présenter la démission du gouvernement. Difficile d’imaginer davantage mais une chose est sûre, le pays eût été en état de guerre civile imminente. Si un projet aussi audacieux a pu être conçu par Hollande et les siens, que penser de ce que pourrait faire notre jupitérien de Macron ?
Une montée soudaine des tensions dans les quartiers à forte présence musulmane, des heurts conduisant à des tirs mortels, tout cela peut vite et facilement se produire ; ce n’est pas hélas un scénario de film d’anticipation-catastrophe. Pour parer à une réaction populiste massive, Macron pourrait une fois encore imiter De Gaulle. Trente jours se passent, il y aura bien soixante députés pour saisir le Conseil constitutionnel. Celui-ci pourra donner un avis négatif : les conditions ne sont pas respectées. Et alors ? L’article 61 de la Constitution, qui présente la capacité de censure du Conseil, ne fait pas mention de l’article 16. Il ne fait qu’évoquer des lois jugées non conformes à la Constitution. Or, durant les pouvoirs exceptionnels, c’est par ordonnances, sans besoin de loi d’habilitation, que le Président gouverne. Quid alors de la censure du Conseil constitutionnel ?
L’usage ou pas, l’usage limité ou abusif de ces pleins pouvoirs, tout dépendrait du bon vouloir du Prince et des rapports de force en présence. Mais dans une telle hypothèse, avec les moyens considérables en forces armées et en renseignement sur lesquels le Président peut s’appuyer, difficile pour une opposition d’organiser une réponse légale, par manifestations, réunions et communication.
Par conséquent, oui, il existe une menace contre la République et la paix civile, menace bien plus envisageable, et c’est tant mieux, qu’une guerre nucléaire. Que Macron dispose des codes pour actionner le « téléphone rouge » ne me gêne pas et d’ailleurs, en une telle hypothèse, les garde-fous sont nombreux. En revanche, ce qui me semble inquiétant, sans parler de l’article 16 – il faudrait toutefois le supprimer ou le revoir entièrement - est l’absence de retenue dont fait preuve le nouveau Président. Le psychiatre italien qui a parlé de « dangereux psychopathe » aurait-il fait un juste diagnostic ?
Le cynisme de la campagne, la manipulation de pitoyables candidats à la députation, la tumultueuse virée diplomatique avec cette poignée de main insensée, la mise en place d’un gouvernement qui ne bronche ni ne bronchera, formé là aussi d’obligés ou de candides émerveillés par les ors de la République, tout cela forme un vent mauvais, bien plus incertain que ce nuage qui, durant la présidentielle, a fait perler des gouttelettes de gaullisme sur les candidats.
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