Macron ou l’élection d’un Président impopulaire
A en croire les grands médias, Macron serait le chouchou de tant et tant de Français. Des milliers de gens l’applaudissent et scandent son nom, des artistes sont ses amis, et ce…qu’il ne propose pas …serait la réponse si attendue à la crise du politique. Gronde cependant un vent de rejet. Perçu comme un produit des puissances d’argent, héritier de Hollande en pire, Macron serait-il pour une majorité de citoyens, impopulaire avant même d’être élu ? Ce constat conduit le débat plus en amont : favorisant cet état de fait, les institutions devraient-elles être réformées ?
Est-ce un article sur l’actualité politique que je suis en train d’écrire ? Ou serait-ce l’esquisse d’un ouvrage néo-absurdiste ? Comment en effet un candidat peut-il être appelé Président quand il n’est pas encore élu ? Comment un candidat impopulaire peut-il être désigné par le suffrage populaire ?
Les mots contradiction, incohérence, confusion qui me viennent à l’esprit s’accordent à la situation que nous vivons. Dans un article précédent, je tentais de monter que Macron est tel un produit marchand mis sur le marché. Le phénomène est mal ressenti, c’est une forme de désordre. Pourtant, comme d’aucuns le répètent à propos d’une certaine affaire, c’est légal. Et si les gens veulent élire un produit, c’est bien leur droit. Le problème, c’est qu’il semble y avoir tromperie sur la marchandise et en amont, entente abusive. En d’autres termes, le libre consentement des acheteurs est loin d’être établi. Résultat d’un contexte qui mine le bien commun et, plus au fond des choses, d’un système institutionnel qui refreine la démocratie.
Macron impopulaire. Macron anti-populaire. Mais Macron Président !
Franchement, suis-je raisonnable de parler d’impopularité de Macron lors qu’il ne cesse de monter dans les sondages, confortant sa place pour le deuxième tour des présidentielles ?
Ne faut-il pas être d’une mauvaise foi éhontée pour employer le mot anti-populaire quand on voit le candidat d’En Marche applaudi à tout rompre à ses meetings peuplés d’auditeurs d’allure modeste. Quand ici ou là, une vieille dame, un jeune « black » vous disent en souriant qu’ils vont voter Macron, « parce que, lui, il a des idées, il va changer les choses. » Tout ceci est vrai. Il existe une macromania sincère, et d’autant plus sincère qu’elle émane des couches populaires. Populaires, vous voyez bien. Alors ?
Alors ? Avant de d’acquérir son statut actuel, Macron a commencé par être connu tout court, telle une vedette de télé-réalité, de manière fulgurante. Et dans ce contexte de médiatisation people, s’est forgée l’image d’homme jeune, brillant et portant beau, sympathique façon présentateur du 20 h. d’une grande chaîne hertzienne. Mais en parallèle, c’est amorcé l’agacement de ceux, pas moins nombreux, pour qui le modèle du présentateur était insupportable. De surcroît, quand il a commencé à tweeter, Macron n’a pas fait dans le populo.
Erreur provisoire de tir ? Ou étape nécessaire pour se constituer une solide cohorte de relais d’opinion en l’univers start-up gagneur bobo. Ses sorties provoc de café du commerce VIP pourraient inspirer à Souchon un couplet de plus à sa chanson sur les Volaillers d’acajou.
C’était hier et cela semble déjà loin, la lutte contre la réforme du code du travail battait son plein, l’homme en marche s’est accroché à des ouvriers et des œufs l’ont pris pour cible à Montreuil. Néanmoins sa starification s’est poursuivie, on admirait l’homme qui ne se dérobe pas et qui ose défier Président et premier ministre. En dépit d’une presse généralement complaisante, une part croissante de l’opinion a vu en Macron le prototype du démagogue, valet des grands argentiers mondialistes.
La contorsion effectuée lors des premiers meetings, Macron le progressiste, le défenseur du travail et des salariés, n’a pas empêché que se développe un courant de résistance. Pas un peu excessif de parler de résistance ? C’est pourtant précisément la notion qui s’accorde à la situation. Nous allons droit vers un deuxième tour confrontant Marine Le Pen à Macron, un choix qui posera à beaucoup un difficile cas de conscience. Voter Le Pen, antirépublicain. Voter Macron, choix forcé. C’est en ce sens que le mot résistance trouve sa place dans le débat.
Normal, anormal, faux ?
Si Hollande n’aura pas été le Président normal qu’il avait déclaré vouloir être, Macron est sans conteste un candidat anormal. Normal, me diront ses partisans, il est au-dessus du clivage gauche-droite, il est neuf, il veut changer les choses, lui.
Pour ses détracteurs en revanche, le qualificatif, plus qu’à la personne, s’applique au projet qui le porte et aux intérêts qui motivent ce projet. Tout a été dit à cet égard, le produit Macron, les puissances d’argent, libérales, mondialistes.
Ce qui est moins dénoncé et constitue cependant le vrai scandale est la démarche de faux semblant. Par son mode de communication, l’opacité de son programme, l’ineptie de son discours, le projet Macron constitue une vaste opération de manipulation.
Pour avoir leurré des gens qui ont vu en lui ce qu’ils voulaient voir, l’homme en marche a pu devenir candidat ; il est désormais favori pour l’emporter au deuxième tour ; en dépit d’une impopularité incompressible, les circonstances jouent terriblement en sa faveur. Ainsi l’on voit mal comment Marine Le Pen pourrait convaincre de voter pour elle au nom d’un « tout sauf Macron » ; elle n’en pas le temps. Il aurait fallu s’y prendre bien plus tôt. Or s’il est un facteur qui a joué en faveur de Macron, c’est la crainte de le faire monter en s’y intéressant. Ses rivaux l’ont laissé tranquille jusqu’au démarrage de la campagne. Désormais, son image est bien ancrée dans les esprits, une image d’Epinal que la presse people continue de vanter.
En de telles conditions, difficile d’empêcher cette supposée « bulle » d’accoucher d’un Président incongru. Tels les contrats de Lady Pénélope, la prise de pouvoir sera légale, mais il s’agira bel et bien une prise de pouvoir, comme le fut celle de De Gaulle en juin1958. A la différence que le retour du général fut globalement bien accueilli avant d’être approuvé par un Oui massif au référendum de septembre.
Président impopulaire
En mai prochain, nous aurons pour gouverner le pays, le Président de moins d’un quart des votants. Puis aux législatives qui suivront, la dynamique du succès profitera aux candidats des listes Macron qui s’ajouteront aux députés bien installés dans leurs circonscriptions, ce qui laissera tout au plus cinq ou six députés pour représenter la moitié des électeurs.
Les deux derniers quinquennats se sont achevés aux cris de « plus jamais Sarko », puis « plus jamais Hollande ». Aujourd’hui, dès avant le scrutin, le rejet du Président est inscrit au cœur d’une large majorité de Français. A force d’attiser le désespoir et l’exaspération d’une population déjà éprouvée à divers égards, la persistance de cet état de choses peut conduire à une crise de régime. Faut-il attendre avec résignation ? Ou prendre les devants en commençant par voir ce qui ne fonctionne plus dans le mécanisme institutionnel ?
Réformer les institutions avant qu’il ne soit trop tard
D’aucuns en appellent à une VIème République sans prévenir leur public du processus long et fastidieux qu’il en coûterait. Une réformation axée sur quelques objectifs majeurs serait à mon avis plus lisible, plus simple, plus rapide. J’en verrais deux en priorité. En premier lieu, ramener la place du Président à de justes proportions. En deuxième lieu, rendre le Parlement vraiment représentatif de la population.
La Constitution de 1958, on a fini par l’oublier, n’a pas été conçue pour faire du Président un « monarque républicain », rôle qu’il occupe dès les origines, la pratique ayant été confortée par la révision de 1962, avec l’élection au suffrage universel.
L’idée originelle, formulée par le général De Gaulle à son fameux discours de Bayeux en1946, est celle d’un Président au-dessus des querelles partisanes, garant des institutions et disposant pour cela de prérogatives fortes comme celle de dissoudre l’Assemblée nationale, de nommer les ministres, de négocier et signer les traités. Il ne s’agissait pas pour autant de confondre les rôles en faisant du Président une sorte de super premier ministre et du premier ministre une sorte de super directeur de cabinet du Président.
Ramener le pouvoir du Président à de justes proportions
La conception exprimée dans le discours de Bayeux fut clairement reprise dans la Constitution de 1958. L’article 20 y précise que « le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation ». Et si le chef de l’Etat préside le conseil des ministres, il n’est pas sensé lui imposer ses vues. L’article 39 prévoit ainsi que « les projets de loi sont délibérés en conseil des ministres (...) » De fait, cela ne s’est jamais passé ainsi. Dès 1958, le Président a occupé un rôle prépondérant. Ainsi au conseil des ministres, il n’y a jamais eu de mise au vote d’un avant-projet présenté par le ministre compétent. Ce n’est pas le cas par exemple en Allemagne, où une véritable délibération nécessite un vote en cas d’absence d’unanimité.
La dérive s’est produite dès avant la mise en place de la nouvelle Constitution, lorsque, de juin à décembre 58, De Gaulle était le dernier président du conseil de la IVe République. Les parlementaires n’ont guère protesté. Sous De Gaulle, « c’était De Gaulle ». Sous ses successeurs, une coutume s’était instaurée. Mais deux autres raisons existent et sont à souligner parce qu’elles résultent des textes.
- le Président nomme aux emplois publics et militaires, sans restriction précisée. De fait, le Président a la main sur des centaines de carrière de haut rang, au sein des administrations et dans les organismes de toutes sortes qui dépendent plus ou moins de l’Etat. D’après Jean-Claude Casanova, professeur émérite de Sciences Po « c’est une catastrophe intégrale car cela produit la docilité des courtisans. Les parlementaires ne peuvent pas se permettre de se fâcher avec le Président (...) »
- depuis la révision de 1962, le Président est élu au suffrage universel. Le recours au référendum fut vivement contesté mais après l’aval du Conseil Constitutionnel, il fallut s’y faire. Désigné de cette façon, le Président devenait en quelque sorte oint par le peuple et disposait d’une prééminence sur tous les autres personnages et collèges de la République. De Gaulle et ses successeurs en ont bien joué. Mais si cela a pu paraître justifié durant la période troublée des commencements de la Ve République, l’est-ce encore ?
La manipulation des esprits par le « projet Macron » aurait-elle pu se produire dans le cadre d’un scrutin indirect ?
Comment remédier à cette faiblesse institutionnelle ?
Pour ramener le rôle du Président à celui assigné dans la version originelle de la Constitution, il suffirait à mon sens
- de revenir à une élection par un collège de grands électeurs, lequel pourrait être agrandi et mieux composé que jadis ;
- de fixer, pour sensiblement la réduire, la liste des emplois pourvus par décision du Président ;
- de supprimer le flou qui fait du Président le chef des armées et du premier ministre, le responsable de la défense nationale ; cela au bénéfice du second ;
- de rendre plus directifs les articles 20 et 39 consacrés au rôle du premier ministre et au fonctionnement du conseil des ministres ; de sorte qu’il soit clairement affirmé que c’est le premier ministre qui fixe et exécute la politique du gouvernement, de concert avec ses ministres et sans prééminence du Président.
Rendre le Parlement vraiment représentatif de la population
En ce qui concerne l’Assemblée nationale, le plus simple serait le mieux, tant au plan de la représentativité qu’à celui des modalités du suffrage.
L’adoption d’une élection des députés à la pure proportionnelle me semble être la solution. Bénéficier d’un vote « utile » ne serait plus réservé aux candidats des grands partis ou courants. Le choix se ferait entre des listes nationales avec un décompte des voix également effectué à l’échelon national. La liste d’un courant très minoritaire pourrait ainsi être représentée, ne serait-ce que par un ou deux députés sur quelques 570. Objection classique opposée à cette conception, l’impossibilité d’élire localement « son » député », personnalité indépendante des partis nationaux. Exemple : Jacques Bompart député d’Orange, ex FN, élu sans le soutien d’un parti, grâce à sa popularité en tant que maire. En vérité, ce cas de figure est très rare. Et puis, bien qu’élu dans un cadre territorial, le député est le représentant de la Nation toute entière. C’est un principe qui date de la Révolution.
Des députés élus par l’ensemble du corps électoral afin de représenter ce dernier comme un tout, seraient plus disponibles pour faire ce qui est leur véritable métier, élaborer et voter des lois.
En ce qui concerne le Sénat, à moins d’en modifier radicalement la nature, il est impossible de le faire élire à la pure proportionnelle. A l’heure actuelle, 52% des sénateurs sont élus selon ce mode de scrutin dans les départements comptant au moins quatre sénateurs. L’on pourrait baisser ce nombre à trois, afin d’augmenter le taux de proportionnalité mais un projet dans ce sens, voté en 2000, a été censuré par le Conseil Constitutionnel.
Une plus grande représentativité du Sénat pourrait néanmoins résulter d’une réforme du collège électoral. Le but serait que la part des délégués des conseils municipaux soit ramenée à un taux plus raisonnable que celui actuel de 95%.
Par ailleurs, les collèges des grands électeurs pourraient inclure les candidats non élus aux conseils départementaux, appartenant aux listes ayant dépassé un score minimal de l'ordre de 5%.
Pour conclure, je voudrais insister sur le danger que représente pour la paix civile un pays gouverné selon une mécanique institutionnelle inadaptée à la situation.
Il existe un appétit légitime de plus en plus marqué en faveur de représentants qui ne constituent plus une « caste ». Si le mode de représentation demeure ce qu’il est, il ne pourra pas être donné satisfaction à cette volonté populaire et le mécontentement général en sera accru.
De surcroît, l’effroi que suscite chez une majorité de compatriotes, la perspective d’un Macron élu au poste suprême doit faire s’interroger sur la place et le pouvoir du Président de la République. Le poste de « monarque républicain », est objet de toutes les convoitises et mobilise des moyens financiers et humains considérables pour le faire occuper par son candidat, quel candidat ? Sa désignation au suffrage universel permet la manipulation d’un segment du corps électoral minoritaire mais suffisant pour fausser le jeu.
Avec un Président élu indirectement, ramené à un rôle de garant des institutions, une opération de type Macron ne pourrait pas aboutir. S’emparer du pouvoir ne pourrait plus se faire de façon occulte, en manœuvrant habilement les bons leviers.
Qu’on y songe. Mais serait-ce déjà trop tard ?
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