Michael Moore, gros monteur ?
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le DVD Michael Moore, polémique système, documentaire canadien de Debbie Melnyck et Rick Caine tournée en 2006 (édité par Wild Side Video), n’a pas fait un tabac. Pourtant, un film sur Michael Moore, ça devrait nous faire réagir. Alors cet échec est-il commercial ou est-ce un coup monté des médias qui, comme on le sait, nous cachent tout et volent toujours au secours du vainqueur ?
Touche pas à Michael Moore ! Oscar (et César du meilleur film étranger) pour Bowling for Columbine, Palme d’or pour Fahrenheit 9/11, Moore est non seulement devenu un personnage essentiel de la contre-culture américaine, mais il est aussi l’homme grâce à qui, selon de nombreux spécialistes, le documentaire connaît un nouvel âge d’or.
Moore bénéficie d’un énorme capital-sympathie et c’est ce qui a motivé une de ses admiratrices, Debbie Melnyck, pour tourner Michael Moore, polémique système (titre original : Manufacturing dissident), qui au départ devait être une ode à l’auteur de Roger and Me : « Dès le début de son documentaire, la journaliste Debbie Melnyck reconnaît son admiration pour Moore, une de ses indéniables influences.
Initialement, l’œuvre n’avait d’ailleurs d’autre ambition que d’être un hommage au travail du réalisateur militant. Extrêmement proche de Roger et Moi (le premier film de Moore) dans sa structure, il en constitue même une sorte de... remake. Avec Moore en lieu et place de Roger Smith, l’ex-PDG de General Motors. « Il n’a jamais été aussi compliqué de mettre Michael Moore devant une caméra », clame l’affiche du film. Effectivement, le joufflu cinéaste, qui d’ordinaire ne se fait pas prier pour intervenir dans les médias, joue à cache-cache avec la réalisatrice, alignant les prétextes fumeux pour déserter à la moindre occasion » (Ecrans Libération).
Il est vrai que le film pèche un peu par sa forme. Pendant une demi-heure on peine à s’accrocher et, contrairement aux documentaires de Moore, cela manque de rythme. Cela commence à devenir consistant quand la narration se calque presque malgré elle sur ce qui fit le succès de Moore, Roger and Me. Les défenseurs de Moore diront que le cinéaste avait peut-être d’autres choses à faire que de rencontrer une équipe de tournage canadienne. Sauf que Moore n’est pas n’importe qui. C’est un personnage mondialement connu qui ne peut pas se dérober, sauf à vouloir ouvrir la porte à toutes sortes de supputations sur son compte.
En effet, au fur et à mesure de l’histoire, on s’aperçoit que Michael Moore, contrairement à ce qu’il prétend au départ, ne souhaite pas rencontrer l’équipe de tournage. Et tout au long du documentaire on ne peut que s’interroger sur ce qui s’apparente de plus en plus à une fuite. Pourquoi ? On ne le saura jamais. On suit donc cette équipe, un peu à la manière de Roger and Me, le film qui a fait connaître Michael Moore au monde entier, à la recherche du personnage principal (et sujet du film).
Les fans de Michael Moore diront peut-être que contrairement à l’équipe de Polémique système Moore, lui, n’a jamais ne serait-ce que croisé Roger Smith, le patron de la General Motors. Sauf que c’est faux. Moore a bien rencontré, par deux fois (une des interviews est d’ailleurs retranscrite dans le magazine américain Première) le patron de la General Motors. Mais évidemment, c’est beaucoup plus valorisant de prétendre le contraire. Le côté Robin des bois s’en trouve renforcé.
Ce qui est intéressant, c’est la façon dont Moore réagit aux critiques. Sa défense ne varie guère. Dans son numéro du 5 septembre 2007, Télérama interviewe le cinéaste, alors en pleine promo pour son dernier opus, Sicko et lui demande, sous la plume d’Olivier Pascal-Mousselard : « la critique vous accuse de prendre beaucoup de libertés avec les règles du journalisme. On relève des inexactitudes, on vous reproche des raccourcis au montage, comme si, chez vous, la fin justifiait les moyens ».
Réponse de Michael Moore : « C’est un reproche ridicule : je fais du cinéma, et tout est subjectif en art. Si mes films comportent une dimension journalistique, c’est au sens du point de vue, de l’éditorial… » et d’expliquer qu’il vérifie ses sources avec soin. « Tout cela pour dire que non, la fin ne justifie pas les moyens ».
Quand Michael Moore dit qu’il fait de l’art, cela reste encore à prouver. C’est un peu le mot fourre-tout, « art », pour Moore, comme le mot « journaliste », d’ailleurs. Des mots bien commodes. Si j’écoute bien ce qu’il dit, il peut faire n’importe quoi puisque c’est de l’art. Les véritables cinéastes apprécieront. D’autres part, où a-t-il vu que la fiction c’est faire et dire n’importe quoi ? Conception pharisienne de l’art.
Dans le film, un des intervenants explique « Moore et Bush sont tous les deux de grands manipulateurs. Ils partagent la même vision confuse de la réalité et ils sont tous les deux très habiles pour écouter ceux qui s’y opposent ». Associer Bush et Moore voilà qui n’est pas banal. Un autre intervenant explique qu’après Henry Ford Moore est le plus célèbre du Michigan. Ford qui fut vivement critiqué pour ses prises de positions pro-nazies pendant la guerre.
Mais il n’est pas utile de pratiquer l’amalgame quand il s’agit de démasquer Michael Moore qui s’est toujours montré habile pour mélanger politique et divertissement, sport favori des Américains. D’où son succès. Si ses films étaient un peu plus sérieux, moins fun, il n’est pas du tout sûr qu’ils auraient obtenu autant de suffrages. Mais c’est aussi parce que la gauche est tellement inexistante que, comme tous les tribuns démagogues, Moore s’est engouffré dans la brèche. Avec Al Gore à la Maison-Blanche explique un intervenant du film, la carrière de Moore était finie.
En réalité, comme la majorité des individus qui possèdent un ego surdimensionné, Moore ne rêve que de reconnaissance, pas de changer le monde. Un nombre grandissant d’Américains de gauche sont particulièrement remontés car ils se sentent trahis par le cinéaste qui on s’en souvient avait laissé tombé Ralph Nader pendant la campagne présidentielle. Quant aux conservateurs, un des intervenants explique que Moore leur a redonné envie de faire des films.
Sur internet, on peut lire ce genre de commentaires à propos de Moore : « là où les gens sont tout chamboulés c’est que ce sont des films politiques. Grand bien leur fasse ! On a besoin de film politique. Bien sûr, je grince des dents, moi, quand je suis face à un film politique conservateur ou qui prône la dérégulation totale. Parce qu’ils dérangent MES convictions. Cela m’est catastrophique ce genre de message, mais on a besoin de films politiques, on a besoin de films qui dénoncent quelque chose, qui prônent quelque chose ». A ce compte-là, Leni Riefenstahl était bien meilleur que Moore… Elle au moins faisait de l’art.
Un autre commentateur explique : « Moore mets les pieds dans le plat en défendant ouvertement sa vision des Etats-Unis et il a du succès. Ô pauvre de nous, un réalisateur de film qui sait réaliser, qui sait choisir les images et mises en scène qui vont mettre en valeur ce qu’il veut dire. Et qui a du succès ! Scandale ! ». En fait on peut dire n’importe quoi du moment que c’est joli et fun. Du divertissement !
En fait ce qui séduit chez Moore, tout le monde en convient, lui le premier, c’est son talent de monteur. De propagandiste au service d’une cause qu’il croit juste. Rappelons que « la propagande désigne l’ensemble des actions menées dans le cadre d’une stratégie de communication par un pouvoir politique ou militaire pour influencer la population dans sa perception des événements, des personnes ou des enjeux de façon à l’endoctriner ou l’embrigader ». Michael Moore, avec ses énormes succès, est devenu un contre-pouvoir (donc une forme de pouvoir) politique.
Sur ce site, on peut lire ceci : « … même si je partage rarement ses idées, je reste scotché par les techniques narratives qu’il déploie. La manière dont il s’est approprié les canons du documentaire et les a détournés vers de nouveaux horizons : le cinéaste prend parti, il s’engage (il dira qu’il monte son film), il s’installe à l’écran, il invente des situations et y entraîne les protagonistes, etc. ».
Curieusement sur Agoravox, on ne trouve qu’une critique de Michael Moore, Polémique système. Datée du 25 juin 2007, elle est signée Stéphane Waffo et se conclut par : « Mais, et c’est peut-être une des clés de l’Histoire, la grande question est celle de savoir si la finalité est plus importante que les moyens qu’on prend. Et à cette interrogation précise, Michael Moore et les réalisateurs Rick Caine et Debbie Melnyk ont exactement le même point de vue.
En veut pour preuve, l’une des scènes où, n’arrivant pas à passer au travers de la garde rapprochée du réalisateur, l’équipe de tournage finit par user d’astuces questionnables. Au final, tout comme Moore, ils ont pu arriver à leurs fins ». L’article, titré « "Manufacturing Dissent" : Michael Moore, ange ou démon ? », ne répond qu’à la moitié de la question qu’il pose. C’est indéniable, Michael Moore ne peut être l’objet de critiques, c’est un ange.
Blaise Pascal ne disait-il pas : « qui veut faire l’ange fait la bête » ?
Crédit photo Une : expresso
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