Monoprix Toulouse : la propriété c’est le vol !
J’ai rencontré les « autoréducteurs » de l’ultra-gauche à Toulouse - Et pourtant la Garonne coule toujours dans le même sens...

Toulouse est ce que l’on pourrait appeler une ville de province. Il y en a quelques-unes de ce genre là en France, comme Lyon, Marseille, Bordeaux ou Cosne-sur-Loire. J’ai découvert cela il y a peu. Et j’adore. Pour s’y rendre il faut quitter Paris dans des trains, qui sont de longs véhicules très confortables, fonctionnant à l’énergie nucléaire. C’est l’aventure ! Et dans les villes de province il y a des provinciaux, qui sont des français presque comme les autres, mais avec des accents amusants et un mode de vie grégaire parfois pittoresque, mais somme toute assez proche de l’homo sapiens parisien de Saint-Germain des Prés. J’ai passé le week-end à Toulouse, chez une amie artiste-peintre, qui a épousé un fonctionnaire de police syndiqué. Cela faisait longtemps que j’avais promis de leur rendre cette visite de courtoisie.
Le voyage en TGV fut assez pénible, puisque je dus supporter la logorrhée fatigante d’Otto, un militant anarchiste de la C.N.T. qui venait dans la ville rose pour suivre un « stage de désobéissance », et qui m’assaisonna durant tout le voyage de sentences libertaires pompées dans « L’Insurrection qui vient ». Même en classe affaire, la SNCF n’assure plus la qualité du voisinage… C’est vers onze heures du matin que je suis arrivé en gare de Toulouse-Matabiau. Comme je ne pouvais dignement pas me présenter les mains vides chez mes hôtes, il me parût de bon aloi d’acheter quelques victuailles avant de me diriger vers la place du Capitole. J’aperçus, au loin, le logo de l’enseigne Monoprix. Un « Monop’ » chic et branché… autant dire une petite parcelle de Paris en plein Toulouse. L’endroit idéal pour acheter une bouteille de Dom Pérignon, un bloc de foie gras et un bouquet de roses, juste avant d’arriver chez des amis.
Mais c’était un jour de manifestations dans Toulouse. Otto me l’avait expliqué en arrivant : la ville était en pleine ébullition ces derniers temps, dans le contexte de la « grogne » étudiante, et sous l’impulsion des bouillonnants mouvements libertaires d’ultra-gauche. Il ne se passait pas une journée sans que la contestation gronde sur les bancs de l’université du Mirail ou dans les rues de la ville rose. Pardon, de la « ville rouge ». Il ne se passait pas une semaine sans que les groupuscules anti-capitalistes ne mènent des opérations militantes « coup de poing », tantôt festives tantôt violentes, dans les rues de Toulouse pour effrayer-le-bourgeois, et faire parler de leurs causes confuses et imbriquées. Bref, c’était un peu le boxon en Midi-Pyrénées. La Garonne coulait toujours dans le même sens, mais les révolutionnaires tenaient le haut du pavé. D’ailleurs, dans la rue que j’arpentais en direction du Monoprix, se tenait une énième manifestation. La confrontation entre les jeunes et les CRS ne manquait pas de virilité. Les canettes commençaient à voler gracieusement, et les gazeuses lacrymo à hennir de plaisir. Pour autant, la rue n’était pas bouclée et les commerçants n’avaient pas encore baissé leurs rideaux. Les manifestants étaient plutôt jeunes. Essentiellement des étudiants engagés, et des pourvoyeurs professionnels de désordre. Keffiehs avantageux. Punks-à-chiens. Midinettes anti-racistes en psycho. Décroissants babas écolos à vélo. Chômeurs activistes encartés à la CGT. Profs bobos « en luttes », et à lunettes. Banderoles aux vents. « Cache-toi objet ! », « Le capitalisme nous vole ! », « Halte à la galère des sans voix ! »… Evidemment, tout ceci était un peu ridicule. Mais pas autant que les badauds ébahis qui s’agglutinaient sur les trottoirs pour prendre des photos de cette scène si habituelle, avec leurs téléphones portables.
Plus je m’approchais du Monoprix, plus le nuage de gaz lacrymogène était épais. Parfait. J’adore justement respirer l’odeur de la lacrymo au petit matin. C’est là une expérience revigorante et mâle. Quand je suis entré dans le magasin, j’eus la grande surprise d’être promptement suivi par une cinquantaine de manifestants déchaînés. L’opération devait être parfaitement calculée et – comme d’habitude – j’arrivais au mauvais moment, comme un cheveux dans un jeu de quilles. Les militants entrèrent dans le Monoprix en poussant des grognements animaux, en tuméfiant le carrelage innocent de leur piétinement cadencé, et en hurlant de concert : « Pas de panique, ceci est une opération d’autoréduction ! Au-to-ré-du-ction ! Nous allons nous réapproprier ce qui nous appartient ! Nous redistribuerons la marchandise aux plus démunis, et même aux damnés de la terre ! Promis ! N’ayez pas peur. Ce n’est pas un hold-up, c’est une opération anti-capitaliste non violente ! NON VI-O-LEN-TE ! » C’était assez habile de hurler « Pas de panique ! » avec une telle sauvagerie… le message pétrifia complètement la clientèle de ce magasin, composée essentiellement de personnes âgées, et de mères de famille psychorigides. Les activistes de l’association « Robins des bois » s’échinaient à remplir paniers et caddys de victuailles diverses. Depuis la première nécessité, jusqu’à la toute dernière... Dans le désordre le plus absolu. Les présentoirs volaient en éclat, les vigiles succombaient sous la pression, les vitrines cédaient sous le poids de la justice sociale, les caissières étaient impuissantes devant ces pilleurs gauchistes d’un nouveau genre… ces voleurs, ces rapaces, qui s’appropriaient le bien d’autrui sans payer, mais sans la moindre mauvaise conscience… et avec, même, le sentiment glorieux du « devoir social » accompli.
Les CRS ne remarquèrent pas immédiatement ce qui était en train de se jouer à l’intérieur du Monoprix. Ils se concentraient toujours sur la guérilla picrocholine qui se poursuivait dans la rue. Ils tâchaient de garder bonne figure face au harcèlement pointilliste des manifestants qui lançaient bouteilles, pavés, mobilier urbain, vélos volés et anathèmes simplistes : « Flics partout, justice nulle part ! », « Rejoignez la plate-forme de revendications du comité révolutionnaire inter-luttes ! », « Vive l’espoir ! ». Et demain je rase gratis.
Les « Robins des bois » pillaient copieusement, et avec une gourmandise qui faisait plaisir à voir en ces temps de critique tous azimuts de la société de consommation. Cette jeunesse voulait en bouffer de la marchandise, de la marque, du logo, comme en témoignait l’ardent remplissage de leurs petits paniers ; mais cette jeunesse, fille de la société du spectacle, savait aussi que tout se joue dans l’image, la représentation, et la communication … En ce sens l’un des activistes « auto-réducteurs » filmait la scène pour la postérité, et d’autres petits soldats de la grande armée anti-capitaliste distribuaient aux clients médusés des tracts explicatifs : « Le comité de lutte a voté, en AG plénière, cette opération de blocage économique du Monoprix de Toulouse, afin d’organiser une juste redistribution du bien commun aux plus démunis ». Le tract se terminait par toute une série de mesures qui avaient été votées à la dernière AG du sous-comité inter-révolutionnaire de lutte de l’Université du Mirail… comme la fermeture du camp de Guantanamo, la fin du scandale des paysans sans terre du Brésil, la légalisation du cannabis, et la salvatrice pénalisation du port de la Rolex.
Parmi ces jeunes esclaves de l’ultra-gauche, je remarquais une jeune-femme un peu punk, un peu négligée, accompagnée d’un vieux berger allemand pouilleux, qui remplissait sa besace de maquillage… « Qu’est-ce que tu fais, petite ? Tu veux que je t’aide ? » demandais-je à la demoiselle. Elle s’appelait Amanda, était étudiante en socio, mais ne savait « pas trop » où dormir ce soir car elle s’était « brouillée » avec ses parents. Pour une bête histoire de politique et de mauvaises fréquentations. Elle m’expliqua : « Vous savez, je fais tout ça pour les plus pauvres et pour laisser à mon berger allemand un monde meilleur ». Elle n’était pas gênée par la violence de l’opération : « Mais nous allons permettre à beaucoup de toulousains marginaux de survivre, malgré la crise, et le Medef et le Madoff, et Continental, et Carla Bruni… c’est noble comme action ! » Et le maquillage dérobé, Amanda ? « Mais je reste une femme… »
Je fus surpris d’apercevoir mon ami Otto parmi les « Robins des bois ». Il semblait même être l’un de leurs chefs. Il portait une sorte de béret rouge, surmonté d’une étoile dorée. Il avait collé sur son blouson de cuir plusieurs auto-collants militants… on pouvait lire sur son plastron : « Le blocage économique est l’avenir de l’homme moderne ! », « L’autoréduction n’est pas du vol ! », « Aujourd’hui à toi, demain à moi… » Il m’expliqua que ces actions alternatives, et anarchistes, n’étaient que des « réponses proportionnées au mépris du pouvoir en place et à la répression policière fasciste. » Otto serrait fermement dans ses main son exemplaire de « L’insurrection qui vient ». Il jouissait du succès de l’opération en cours. Le Monoprix était en plein saccage. Les « Robins des bois » repartaient avec des bouteilles d’alcool, des équipements informatiques, des fruits exotiques, des compacts disc… Uniquement de la première nécessité pour les pauvres du coin ! Otto n’était pas plus troublé que cela… « Ils sont jeunes et fougueux. Ils doivent encore être bien formés aux préceptes de la non violence et de l’action inter-luttes coordonnée. » Otto serrait contre son cœur le petit livre rouge de Julien Coupat. Il était heureux, et même au bord des larmes. Son bonheur ne lui permit pas de voir le stress des malheureux employés du Monoprix, dont des caissières qui s’époumonaient d’horreur : « Et vous voulez peut-être nous donner des leçons de précarité, à nous, bande de jeunes voyous ! ». Et le tout avec l’accent toulousain. Ah, je n’étais pas déçu du voyage…
Mais il ne s’agissait pas de perdre le nord. J’étais entré ici pour acheter une bouteille de champagne à mes amis. Je la pris dans les rayonnages, sous les applaudissements de quelques « Robins des bois » respectueux des clients qui n’avaient pas encore fuit… Je pris aussi un peu de fois gras, et un bouquet de fleurs. Les caissières avaient toutes déserté. La voie était libre. Je pus sortir du magasin sans encombre. Et sans payer. Bien des jeunes activistes-pillards m’emboîtèrent le pas, heureux du succès de cette action « collective et citoyenne ». Ils avaient été heureux de manifester, ainsi, leur joyeuse détestation de l’ « argent-roi » et de « l’aliénation par le travail ».
Otto me rattrapa dans la rue, sous le feux des pavés, et me dit en souriant : « Et dis-donc, vieille crapule… tu n’as pas payé pour tout ça… Bon. Tu ne veux pas venir à la nouvelle AG inter-luttes. Nous allons aborder la question des sans papiers. Nous comptons voter pour une immigration sans entrave, et pour des quotas de 90% de ‘non blancs’ à la télévision publique. Tu viens ? ». Il eut beau me dire que la jeune Amanda, et son chien, auraient vivement apprécié que je sois présent... rien ne put me détourner de mon objectif : me rendre enfin chez mon amie artiste-peintre et son époux policier syndiqué. Otto me fit une amicale tape sur l’épaule en disant : « Adieu crapule bourgeoise ! ». Ce à quoi je répondis : « Ta gueule, anarchiste professionnel… ». Nos adieux amicaux furent recouverts par un épais nuage de gaz lacrymogène.
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