Montebourg se monte le bourrichon
Enfin un challenger pour Sarkozy ? Le mi-coq-mi-poulet député de Saône et Loire, Arnaud Montebourg, relève en tout cas le défi. Une interview dans « Libération », une lettre à Kouchner dans « Le Nouvel Observateur », enchaînement gauche-gauche convenu et téléphoné, qui tendrait à prouver que le Parti socialiste respire encore. Mais respire quoi ?
Pas facile d’exister au sein du PS par les temps qui courent. Le parti à la rose, pris entre les deux mâchoires carnassières de Royal et de Delanoë, qui ne sait plus que faire de son premier secrétaire finissant et hésite quant à l’identité à donner à son successeur, qui n’arrive pas à se mettre d’accord sur l’opportunité de désigner dès aujourd’hui le candidat idéal pour 2012, qui ne se dépatouille que très mal de l’ouverture opportuniste et caricaturale de Sarkozy. Ce parti-là vivote, certes, mais ne pèse plus. Il oscille entre le néant et l’abandon, tout juste remis de règlements de compte pathétiques qui laisseront de toute façon des traces. Pas facile, donc, dans ce cloaque, de surnager, de faire entendre sa voix. Peu, de toute façon, essaient. Trop tôt, rien à dire, ou peur de déplaire aux favoris de la couronne, au Bertrand ou à la Ségolène, qui sont en train de reprendre la main, et manifestement désireux une fois leur volonté accomplie, de serrer à mort la vis, pour éviter les débordements passés. Chez les socialistes, plus que jamais, l’ambiance est au combat, à la bataille de chiffonniers, à savoir qui gardera les gosses, comme dirait Fabius. La pilule de mai n’est toujours pas passée, la méthode Royal n’a pas suffisamment évolué pour convaincre, et Delanoë, lui, pédale à côté de son vélib’, ou pas loin. Mais il y a Arnaud Montebourg, heureusement.
Arnaud Montebourg est l’exemple parfait, en politique, de ce qu’on appelait « l’éternel espoir », en foot. Le gars qui promet, qui promet, et puis qui finalement n’éclot jamais, n’arrive pas, ne concrétise rien. Un jeune premier sans premier rôle, cantonné aux aboiements de roquets, terrain déjà très occupé par l’extrême de la gauche, Mamère en tête, et Besancennot aussi. Montebourg, pourtant, n’est pas sans finesse, ni sans sens du comique. Mais souvent à ses dépens. Hier, pour fêter la nouvelle année, le jeune homme sans avenir s’est fendu d’une interview à Libération et d’une lettre non à Guy Môquet, mais à Bernard Kouchner. Dans l’interview, Montebourg pointe les insuffisances du gouvernement, sans trop d’emphase, sans trop d’excès, avec même quelque lucidité, d’ailleurs : « Nicolas Sarkozy a du bagout pour assurer le service après-vente de huit mois d’échecs. Pouvoir d’achat, croissance, dette, commerce extérieur, les résultats de son action ne sont en rien à la hauteur d’une "nouvelle Renaissance", mais plutôt ceux d’un président de la poursuite du déclin. » (...) « Le sarkozysme est un absolutisme. Le Parlement est devenu une chambre d’enregistrement purement formelle, comme sous Louis XVIII. Quant au gouvernement, il ne gouverne pas. C’est une équipe de figurants et de potiches. » (...) « Cette présidence me fait penser aux Romains de la décadence. La classe dirigeante festoie pendant que le peuple peine à boucler ses fins de mois. C’est un spectacle à la Dallas, une série B de mauvais goût. » La saillie n’est pas très originale, à peine sévère, ce genre de moquerie ne sert pas vraiment le débat politique, mais a le mérite de viser plutôt juste, c’est déjà pas mal. En ces temps où rien n’est plus autorisé, gardons le droit de fumer ses adversaires, fussent-ils politiques. Bon, après, dans la même interview, c’est moins bien, quant Montebourg se demande si Rachida Dati est « ministre de la Justice ou mannequin chez Dior », là on retombe chez le Carlier de bas étage, ce qui est presque un pléonasme. Idem lorsqu’il se demande si les « conquêtes du président finiront au gouvernement. » C’est mauvais, et sans intérêt.
Le même jour, donc, et parce qu’il a du temps devant lui, du temps de libre, comme tous ses amis à gauche (temps qu’ils ont pour la plupart utilisé pour commettre de piètres livres sans grands succès, où ils osaient expliquer ce qu’il aurait fallu faire pour gagner, eux qu’on entendait pour la plupart souffler sous les jupes de Ségolène pendant la campagne), donc notre bien-aimé Montebourg se fend d’une lettre à son « ami Bernard », Bernard Kouchner, ouvert de chez Sarkozy, ministre des Affaires étrangères. Dans cette missive bien plus revigorante que les pleurnicheries sans style d’un gamin perdu, Montebourg dit tout le mal qu’il pense de son pote « sarkoizé » à mort, qui aurait dans cette affaire perdu son âme, sinon sa fierté : « Tu fus un bon ministre de la Santé dans le gouvernement Jospin : droit des malades, équilibre de l’assurance maladie, et soutien aux hôpitaux de proximité. J’aimais ta manière d’aborder les problèmes et de les régler. Ton intransigeance te faisait avancer. Mais aujourd’hui, Bernard, tu le sais toi-même, la "rupture" de Nicolas Sarkozy dans laquelle tu as voulu jouer, te laissera sur le carreau, en loques, et seul au monde. » (...) « Ce ne sont pas des chapeaux, comme tu l’as si bien théorisé toi-même, qu’il te faudra avaler, mais à ce rythme les Galeries Lafayette tout entières. » (...) Je fais partie de ceux qui ne peuvent pas croire que tu es homme à te laisser réduire par la cuisson du pouvoir à ce tout petit rôle de figurant, comme le montrent ces images répétitives de ton effacement. La seule explication que je vois, c’est que tu as un accord politique avec ton nouveau maître, le président Sarkozy, pour te faire accepter ce que ton amour propre rend inacceptable. ». J’en passe, et des pires. Le portrait de Bernard K. en toutou du président de la République, ça classe un peu l’amitié, non ? « Le mieux pour toi-même et pour la France serait que tu prépares ta sortie. Commence à réfléchir à ce que tu écrirais dans ta lettre de démission. Tu seras ainsi encore Bernard Kouchner, pour longtemps. » Carrément. Montebourg ne se contente pas de critiquer le choix de Kouchner de passer par l’ouverture, il lui demande de démissionner avant de perdre son âme ! De faire machine arrière, se renier une nouvelle fois et rejoindre le camp du député Montebourg pour les joutes à venir.
Le problème, c’est qu’on ne voit pas trop pourquoi Kouchner ferait un tel choix. Qu’est-ce qu’il aurait à y gagner ? Quel avenir ? Montebourg n’est pas grand-chose à gauche, et n’a aucune chance de prendre la tête du PS, ni lui, ni ses amis. Le Parti socialiste est verrouillé, et Montebourg n’a pour l’instant pas la clé. Alors il tente le bélier, et se dit qu’un éléphant ferait l’affaire. DSK parti se remplir les cotisations au FMI, Jack Lang tout près de rejoindre l’ouverture, Fabius hors jeu, Jospin totalement dévoué à Delanoë, ne reste que Kouchner en possible défonceur de porte. Seulement voilà, le beau Bernard, ses sacs de riz, sa femme journaliste et son vécu « droit de l’hommiste » préfère dans l’immédiat digérer ses couleuvres en paix. Loin de l’aventure, de l’approximation, des combines de parti, des arrangements foireux et des élections non jouées d’avance. Le tutoiement et le « mon ami » de Montebourg n’y changeront rien. Et puis, Kouchner n’a pas besoin d’amis, il a ceux du président, les mêmes, ceux qui vous offrent le gîte, le couvert, le yacht et les pyramides, ceux qui ne se lassent pas d’en profiter. Montebourg, en somme, se monte le bourrichon pour rien, ou pas grand-chose. La politique n’est pas qu’une affaire de bons mots, et surtout pas une affaire d’amitié. Lui qui a grandi sous Mitterrand aurait dû retenir les leçons : pas d’amis, pas de morale, pas de scrupules. Mais il était dit que Montebourg n’apprendrait jamais rien, ne retiendrait que le superflu pour passer à côté de l’essentiel. Ce faisant, il démontre une fois de plus que les socialistes n’ont pas encore tourné la page, n’osent toujours pas entrer dans l’opposition : juste quelques banderilles, de ci de là, pas plus. Comme s’ils craignaient d’envoyer de lourds directs, et de prendre, qui sait, en retour, quelque droite à la pointe du menton qui les laisserait, une fois de plus, sur le carreau, comptés dix. Comme ses camarades, Montebourg se cantonne pour l’instant à l’analyse politique, à la chronique des jours qui passent, n’y pouvant mais, tant il est, plus que Hollande encore, « sur le carreau, en loques, seul au monde ».
Alors, Kouchner « perdu à Disneyland » ? Avis d’expert, sans doute, de celui qu’on considère à gauche, à droite, comme au centre, dans le Poitou ou à Montmartre, comme le dernier des Mickey.
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