Nanterre : le refus d’obtempérer ne vaut pas la peine de mort
« Suivant les textes, Monsieur le Ministre, le refus d’obtempérer peut être sanctionné par trois ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, non par la peine de mort ! » (Sabrina Sebaihi, le 27 juin 2023 dans l'hémicycle).
En fait, la députée écologiste s'est trompée : lorsque le refus d'obtempérer est commis avec des circonstances aggravantes, c'est-à-dire avec mise en danger de la vie ou de l'intégrité physique d'autrui, l'article L. 233-1-1 du code de la route laisse la possibilité d'une sanction plus lourde, cinq ans d'emprisonnement (et pas trois), 75 000 euros d'amende, retrait de 6 points et suspension voire annulation du permis de conduire allant jusqu'à une durée de cinq ans d'interdiction de le repasser.
Mais le refus d'obtempérer ne vaut pas la peine de mort. D'ailleurs, rien ne vaut la peine de mort car la peine de mort ne résout rien de l'insécurité habituelle (et même exceptionnelle) et c'est pour cela qu'elle a été abolie dans de nombreux pays. C'était le sens de la question de Sabrina Sebaihi : « Non, le jeune homme n’a pas foncé sur les policiers, comme l’affirment les professionnels de la récupération politique qui siègent à l’extrême droite de cet hémicycle ! (…) Pourquoi, au sein de notre République, le refus d’obtempérer est-il passible d’une balle dans la poitrine ou dans la tête ? ».
Un nouveau fait que je n'ose pas écrire fait-divers tant la mort d'un adolescent n'est jamais "divers". C'était le mardi 27 juin 2023 dans la matinée à Nanterre. Un jeune homme de 17 ans, Nahel, au volant d'une voiture plutôt luxueuse (avec deux passagers dont on ne sait rien à cette heure), a refusé de s'arrêter devant le barrage de la police. Comme il a redémarré, l'un des deux policiers a tiré à bout portant et l'adolescent est mort.
La première pensée ne peut qu'aller à la victime et à sa famille, une considération première de l'émotion, de la sidération, même si, dans un autre temps, plus tard, il faudra aussi comprendre les circonstances exactes, pourquoi le jeune conducteur a-t-il refusé de s'arrêter ? pourquoi roulait-il sans permis (il avait 17 ans) ? pourquoi conduisait-il une voiture qu'il n'avait forcément pas pu s'acheter ? etc. On pourrait aussi rappeler que le jeune conducteur aurait déjà commis un délit routier en 2022 (le même, refus d'obtempérer, à confirmer), etc. mais cela n'explique pas le tir à bout portant en situation qui n'était pas de légitime défense.
On pourra toujours attendre prudemment le verdict de la justice (le policier est actuellement en garde-à-vue pour homicide volontaire par agent détenteur de l'autorité), car la (première ?) version de la police semble en discordance avec une vidéo qui a été diffusée en public. C'est la nouveauté récurrente des temps modernes : il y a toujours dans les parages une personne qui prend la vidéo de la scène (ce qui devrait conduire le Ministre de l'Intérieur a accepté de rendre obligatoire une caméra portative pour chaque policier en train de faire son travail).
Or cette vidéo est particulièrement accablante sur la responsabilité des deux policiers, les phrases qu'ils ont dites juste avant que l'un d'eux n'ait tiré, et l'absence de danger pour d'autres collègues à l'avant du véhicule.
À gauche, la loi du 28 février 2017 sous le quinquennat de François Hollande est mise en cause (gauche qui l'avait votée à l'époque, pourtant) sur la possibilité de tirer en cas de refus de s'arrêter (loi votée à la suite des quatre policiers gravement brûlés dans leur voiture à Viry-Châtillon le 8 octobre 2016).
Cette loi serait un assouplissement du concept de légitime défense lorsque le véhicule est susceptible d'être un danger pour autrui, ce qui est très subjectif. En fait, la Cour européenne des droits de l'homme a estimé en 2018 que l'interprétation de cette loi fait qu'il ne devrait pas y avoir de changement avec les pratiques antérieures. La gendarmerie a intégré cela alors que la police y a vu un encouragement à agir plus régulièrement sous la légitime défense. Dans les faits, en 2022, treize personnes sont mortes dans les mêmes conditions que Nahel pour refus d'obtempérer, et cinq policiers poursuivis pour cette raison.
Quelques heures après ce drame, les députés ont réagi à la séance des questions au gouvernement de cette semaine. Un seul a interrogé le gouvernement sur ce sujet et cela s'est fait avec retenue et sagesse, presque consensus.
La députée écologiste Sabrina Sebaihi, loin du discours classique et provocateur de la Nupes ("la police tue"), n'a pas voulu, effectivement, instrumentaliser le tragique événement en faisant la part des choses : « Comme vous, Monsieur le Ministre de l’Intérieur, nous reconnaissons l’action difficile et risquée, partout dans notre pays, des forces de l’ordre, dont les agents sont bien souvent les premiers à faire face au danger. Toutefois, ces représentants de la force publique doivent ne faire usage de leur arme que dans des cas très précis, y compris lorsque leur vie est en péril. ». Mais elle a réclamé la remise en cause de la loi du 28 février 2017, qu'elle a considérée trop ambiguë.
Le Ministre de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin a également répondu avec justesse, sans vouloir faire de ce sujet un sujet politique, par respect pour la famille de Nahel : « Ce matin, à Nanterre, deux motards de la direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC) de la préfecture de police ont effectué un contrôle ; sinon par les images extrêmement choquantes que j’ai moi-même, comme beaucoup de Français, visionnées, nous n’en savons pas davantage, puisque ces policiers sont auditionnés en ce moment par la justice. En outre, deux enquêtes ont été confiées à l’IGPN. De toute manière, c’est un drame qu’un conducteur de 17 ans soit manifestement mort des suites de ce contrôle. Comme le maire [de Nanterre, Patrick Jarry], que j’ai eu au téléphone en début d’après-midi et dont je salue les paroles républicaines, je souhaite pour la famille de ce jeune homme, pour la ville de Nanterre, mais aussi pour la police nationale et pour ses membres, que les résultats de l’enquête nous parviennent le plus vite possible, dans le respect, bien entendu, des procédures judiciaires. ».
En raison de la vidéo, Gérald Darmanin n'a pas défendu, a priori, les policiers en cause, même s'il est resté prudent (une vidéo ne donne pas tout le contexte) : « Je suis très attaché à la présomption d’innocence : le fonctionnaire de police qui a tiré devra rendre compte de son acte à l’administration et à la justice, mais en ce qui me concerne, madame la députée, je ne suis ni juge ni procureur de la République. (…) De surcroît, je suis désolé de vous le dire, mais beaucoup de membres des forces de l’ordre sont morts à la suite d’un refus d’obtempérer ; sans vouloir assimiler ces cas à celui de ce matin, beaucoup de familles ont également pleuré leur enfant policier ou gendarme. C’est pourquoi le refus d’obtempérer demeure inacceptable, même s’il l’est tout autant que des policiers tirent à bout portant sur un conducteur, jeune ou moins jeune. Respectons donc, encore une fois, le deuil des familles et la présomption d’innocence des policiers ! ».
Mais cette sagesse de réaction, c'était sans compter avec les provocations de l'extrême droite et aussi celle des "quartiers" (et pas seulement à Nanterre, à Bordeaux, à Toulouse, à Mantes-la-Jolie, entre autres) : la nuit du 27 au 28 juin 2023, il y a eu un embrasement de violences à la limite des émeutes, 24 interpellations ont eu lieu. Quant à l'extrême droite, elle a fustigé le gouvernement incapable, selon elle, de maintenir l'ordre et aussi a laissé entendre que le policier avait raison de tirer (deux exemples de "Riposte laïque", le soir du 27 : « Je suis triste pour le flic qui a tiré, pas pour le jeune de 17 ans tué. » ; le soir du 28 : « Minute de silence honteuse à l'Assemblée : soumission de nos députés à la racaille »). De son côté, Marine Le Pen a affirmé : « Rien ne justifie les explosions de violence, derrière cet événement, il y a le problème de l'autorité de la police. ». 2 000 forces de l'ordre sont ainsi mobilisées pour la nuit du 28 au 29 juin 2023.
Le lendemain du drame, mercredi 28 juin 2023, les esprits se sont échauffés dans la classe politique. Si le gouvernement est resté dans une certaine neutralité par respect pour la famille de la victime, le Président de la République Emmanuel Macron, en déplacement à Marseille, a déclaré que cet acte était « inexcusable » sans attendre l'appréciation de la justice.
Il a déclaré notamment : « Rien ne justifie la mort d'un jeune (…). Je veux dire l'émotion de la nation toute entière après ce qui est arrivé et dire toute ma solidarité ) sa famille (…). Nous avons un adolescent qui a été tué, c'est inexplicable et inexcusable (…). Il faut le calme pour que la justice se fasse, nous n'avons pas besoin d'un embrasement (…). Je souhaite que la justice fasse son travail avec célérité et que la vérité puisse être faite dans les meilleurs délais. ».
Si dans un concert bien orchestré, le syndicat Alliance et le RN ont fustigé les mots "inexplicable" et "inexcusable" du Président de la République, l'enjeu pour l'exécutif, c'était avant tout d'apaiser et d'éviter d'envenimer les tensions très fortes qui pourraient reproduire les trois semaines d'émeutes en novembre 2005 (d'autant plus que le calendrier musulman et la fin de l'année scolaire s'y prêteraient bien).
Un peu plus tard, à la séance des questions au gouvernement au Sénat du 28 juin 2023, au sénateur écologiste Thomas Dossus, Gérald Darmanin a réaffirmé : « On tirera les conséquences individuelles et collectives à la fin de cette enquête (…). Nous souhaitons avoir toute la vérité sur ce qui s'est passé, en respectant le temps de la justice. », tandis qu'auparavant, répondant à une question du sénateur communiste Pierre Laurent puis à une autre du sénateur socialiste Patrick Kanner, la Première Ministre Élisabeth Borne n'a pas hésité à donner son opinion de l'affaire : « Les images diffusées hier montrent une intervention qui ne semble manifestement pas conforme aux règles (…). Seule la justice permettra de faire toute la lumière sur ce drame et garantira notre unité. ».
Mais déjà, les sénateurs de la Nupes ont voulu faire de l'instrumentalisation de cette tragédie à des fins politiques, reprochant au gouvernement d'avoir refusé de les écouter pour réduire la liberté d'initiative des forces de l'ordre. Or, ce n'est pas le moment de dégager une nouvelle politique de ce qu'on pourrait appeler cette "bavure" (mais comme l'a rappelé Alain Bauer, un homicide n'est pas qu'une simple tache sur un buvard, cela peut être un meurtre !). C'est le temps de l'émotion, et le temps de réflexion devra venir, mais avec toutes les connaissances bien établies des circonstances de ce qui s'est passé.
Toutes les strates de la société y sont allées de leur réaction, souvent sous le coup de l'émotion, comme le footballeur Kylian Mbappé sur Twitter : « J'ai mal à ma France. Une situation inacceptable ». Tandis que la Présidente de l'Assemblée Nationale Yaël Braun-Pivet a fait une minute de silence dans l'hémicycle à la mémoire de Nahel (le 28 juin 2023).
Selon Alain Bauer (le spécialiste de la criminologie sur les plateaux de télévision), les policiers en cause ont mal agi du début à la fin, et leur troisième faute est le mensonge pour expliquer les circonstances de leurs actes. Le mensonge devrait être sanctionné plus durement encore que maintenant car il rejaillit sur toute l'institution et il devient indéfendable quand une vidéo existe et prouve le contraire (heureusement pour ce cas-là).
Plus tard, dans le temps de la réflexion, il faudra réfléchir sur la modification ou pas des procédures d'interpellation. Si le ministre donne l'ordre de ne pas poursuivre un conducteur qui refuserait de s'arrêter, le risque est le laxisme généralisé. Il faut que la loi de la République soit appliquée, toute la loi, rien que la loi. Il faudrait sans doute rendre plus indépendante l'institution chargée d'enquêter sur les actes des forces de l'ordre.
Et évacuer des forces de l'ordre tous ceux qui, peut-être à cause d'une formation déficiente, d'un encadrement trop léger ou alors de motivations peu avouables qui signifieraient qu'il faudrait repenser le recrutement, se laissent envahir par la peur et par le vague sentiment de justicier, si de pires sentiments. Les forces de l'ordre doivent faire respecter la loi mais ils doivent aussi, eux-mêmes, la respecter. On ne tue pas un homme pour un refus d'obtempérer. Point barre. Le reste est littérature.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (28 juin 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
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Éric de Montgolfier.
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