Nicolas Sarkozy, voyageur de commerce et touriste
La France est au bord de la nouba sociale, de la grande quinzaine festive de l’automobile calcinée, de la médiathèque municipale Louis Aragon carbonisée, de l’école maternelle Georges Marchais consumée. Emeutes ? Emeutes ? En même temps la France pleure une étudiante en journalisme, atrocement assassinée dans le RER. Acte impardonnable. Impardonnable. On craint le retour de l’insécurité. On craint le désordre. On craint une vieille chienlit hivernale. Lourde. Plombée. Il fait froid. Les prix augmentent ( c’est ce que dit ma concierge ! ). Il y a des courants d’air. Mais le président de la République est heureux. Il fait le VRP en Chine, avec Rachida Dati... Commentaire d’image.
Nicolas Sarkozy visite le site où se trouve l’armée en terre cuite à Xian, le 25 novembre 2007.
©AFP - eric feferberg
Nicolas Sarkozy et le président chinois Hu Jintao, le 26 novembre 2007 à Pékin.
©AFP - Goh Chai Hin
Mais revenons à l’image d’Eric Feferberg. Sur ce cliché Nicolas Sarkozy, qui fait face à l’objectif, a un regard extatique de petit garçon qui s’amuse, et la belle Rachida - gainée de fourrure - sourit à un ami quelconque, qui est hors-champ. Ca sent le bonheur. Ca sent la communauté amicale, chaleureuse. C’est pour ça qu’elle tombe mal cette image ; surtout cette semaine. Très mal. Et pour plusieurs raisons. D’abord la France s’est réveillée avec une méchante gueule de bois, lundi, en apprenant l’agression sauvage - et le meurtre au couteau - d’une étudiante en journalisme de 23 ans, Anne-Lorraine Schmitt, dans une rame du RER D, par un récidiviste d’origine turque. Ensuite, la France est un peu groggy depuis quelques jours, en assistant à la reprise des affrontements télévisés entre « jeunes » des « banlieues » et policiers. Les violences semblent concentrées sur la zone de Villiers-le-Bel (charmante bourgade bucolique et pittoresque du Val-d’Oise), mais chaque soir ce sont plusieurs dizaines de policiers qui sont blessés par des jeunes qui tirent à balles réelles sur les forces de l’ordre. On ne doute pas que la grande quinzaine anti-flic de 2005 va reprendre, sous les feux croisés des commentaires sociologiques et des scansions morales des « grands frères » et autres « directeurs de MJC »... (« C’est l’ennui, ma bonne dame, qui conduit à brûler des voitures ! Ce sont les contrôles d’identité, répétés, subis par les jeunes, qui leur donnent envie de bouffer du poulet ! C’est l’architecture, ma bonne dame, l’architecture... Eh oui, ça rend con l’architecture, ce sont les tours le problème... Ca rend con les tours... Regardez les Amériques ! Regardez New York, ma brave dame ! »).
Alors cette photo tombe mal. Très mal. Car l’homme du Kärsher, celui qui promettait de nettoyer les quartiers de leurs « racailles », semble prendre des vacances loin de la France. Certes, il est au taf, il est au taquet, cela ne fait pas le moindre doute... Il vend des Airbus, des usines Sanofi et des tas de trucs qui ne risquent pas de m’enrichir, mais il fait le touriste quand même. Le cliché de l’AFP laisse songeur. Pourquoi est-il si loin de nous, si loin de l’objectif... Alors qu’on aurait aimé le voir consoler la famille déchirée ("broyée" dit une proche dans L’Est républicain) d’Anne-Lorraine Schmitt, alors qu’on aurait aimé le voir en chef d’équipe auprès de son gouvernement, en chef de l’Etat auprès des policiers à Villiers-le-Bel.
Pendant ce temps-là, la ministre de l’Intérieur, Mme Alliot-Marie, lance des appels dans le vide : "Il faut que des mesures soient prises pour empêcher ceux qui tirent sur les policiers de le faire". Qui doit prendre la responsabilité de telles mesures ? Suivez mon regard. Ou, non, suivez plutôt son regard sur la photo...
Sur le cliché il est loin, le président, mais pas seul. Il est accompagné de la ministre de la Justice, Rachida Dati. On se demande pourquoi. Evidemment, ça fait un peu couple présidentiel, mais elle est juste ministre de la Justice. C’est entendu. Tiens, une ministre de la Justice... Ca aurait été pas mal, en France, pour commenter le parcours du tueur d’Anne-Lorraine, criminel sexuel multirécidiviste, remis en liberté sans contrôle... Mais bon, on se dit : ils sont là-bas en copains, pour vendre des Airbus et faire des photos. D’accord. Ils sourient. D’accord. La France qui se lève tôt a le sourire. D’accord. Sont-ils heureux ? Ils seraient donc au moins deux. C’est un bon début. D’accord.
Sur le cliché d’Eric Feferberg l’arrière-plan est constitué de l’un des plus célèbres chefs-d’œuvre de la sculpture chinoise, l’armée en terre cuite de l’empereur Qin, située à Xian. Ce site archéologique, classé au patrimoine mondial de l’Unesco, est composé de 6 000 statues de guerriers - strictement singulières - mesurant environ 1,80 m. L’empereur Qin, unificateur de la Chine, fit enterrer à côté de son tombeau une copie de son armée dans les positions traditionnelles du combat. C’était il y a plus de 2000 ans... On se demande, à l’heure où la poudrière de Villiers-le-Bel projette ses premières étincelles inquiétantes sur les villes voisines et les départements limitrophes, si Nicolas Sarkozy ne devrait pas les emporter dans la valise diplomatique, ces guerriers chinois de l’antiquité. Ces valeureux combattants. Ces soldats. On se demande s’il ne devrait pas leur demander, à l’oreille, des conseils pour juguler les violences, dans les rames de RER comme dans les rues de certaines villes françaises. On se demande, absorbé dans une rêverie fantasque, si Sarkozy ne devrait pas prendre la tête de l’armée de Qin, et rentrer en France à cheval. A la tête d’une armée de Chinois, en terre cuite, armés de Kärsher...
Et puis non, finalement. On reprend la photo de l’AFP. On la regarde dans tous les sens. Il y a de superbes images qui tombent manifestement mal. Très mal. On se demande surtout pourquoi il n’est pas déjà en France, le président...
PS : on lira avec profit le bouleversant hommage rendu par Frédéric Pons, de Valeurs actuelles (sur le blog de VA), à Anne-Lorraine Schmitt, qui fut stagiaire au sein de l’hebdomadaire.
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