Où sont la probité et l’indépendance du conseil constitutionnel ?
Le rôle de cette honorable juridiction née de la 5ème république est défini aux articles 58 à 63 de la Constitution. L’une de ses missions est de vérifier la conformité constitutionnelle des lois organiques, des règlements de l’Assemblée Nationale et du Sénat, ainsi que des actes législatifs dont il est question aux articles 11 et 54 de la Constitution. Ces actes concernent les textes et traités susceptibles d’avoir une incidence sur la Constitution. Sa mission est aussi de contrôler la régularité des élections présidentielle, législative et sénatoriale. Dans le cadre de ces dernières, il approuve ou rejette le remboursement des comptes de campagne des candidats à l’élection présidentielle.
Par définition en vertu de la séparation des pouvoirs proclamée à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, une juridiction est indépendante du pouvoir et de toute influence, c’est donc le cas du Conseil Constitutionnel.
Pour s’assurer que ceux qui le composent seront irréprochables, l’article 57 de la Constitution dispose : « Les fonctions de membre du Conseil constitutionnel sont incompatibles avec celles de ministre ou de membre du Parlement. Les autres incompatibilités sont fixées par une loi organique. ». Les Conseillers sont alors soumis au décret 59-1292 du 19 novembre 1959, complétant l’ordonnance 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique, lequel précise dès son article 1er : « Les membres du Conseil constitutionnel ont pour obligation générale de s’abstenir de tout ce qui pourrait compromettre l’indépendance et la dignité de leurs fonctions. » Cette mise au point s’ajoute aux incompatibilités énoncées dans l’ordonnance de 1958 et notamment à l’alinéa 4 de l’article 4 : « Les incompatibilités professionnelles applicables aux membres du Parlement sont également applicables aux membres du Conseil constitutionnel ».
Avec de tels garde-fous, quelle surprise de constater que :
- deux traités européens, celui de Maastricht et d’Amsterdam, ont fait successivement l’objet d’une délibération irrégulière ;
- deux autres, celui établissant une constitution pour l’Europe et celui de Lisbonne, sont le résultat d’une décision qui ne respecte pas toutes les normes de référence constitutionnelles énoncées dans les considérations ;
- le compte de campagne du candidat à l’élection présidentielle de 1995 Edouard Balladur a été approuvé.
Pour ce qui est du traité de Maastricht, Maurice Faure, Robert Badinter et Michèle Noire ont pris part à la délibération du 9 avril 1992. Le premier, Maurice Faure a participé à l’élaboration et signé le 25 mars 1957 les traités de Rome, repris dans leur quasi- intégralité par celui de Maastricht. Le second Robert Badinter, est, à l’époque, Président de la Commission d’arbitrage créée le 11 septembre 1991 par la Communauté européenne en vue de négocier le règlement de la succession de l’état yougoslave. La troisième, Noëlle Noire est présidente du groupe de Conseillers pour l’éthique de la Biotechnologie institué par Jacques Delors le 20 novembre 1991 dans le cadre de la Commission européenne qu’il présidait.
Comme le rappelle, le 13 juin 1996, Noëlle Lenoir dans une interview, à Dominique Simonnet pour l’Express : « Un expert ne peut être juge et partie ». Ce qui n’empêche nullement, le 31 décembre 1997, le duo Faure-Lenoir de récidiver en délibérant sur la conformité constitutionnelle du Traité d’Amsterdam lequel, 5 ans plus tard, reprend celui de Maastricht auquel participa Maurice Faure, tandis que Noëlle Lenoir est toujours présidente du Groupe constitué par Jacques Delors.
C’est une évidence, Les traités de Maastricht et d’Amsterdam n’ont pas été examinés selon les critères d’indépendance exigés et l’obligation requise par la loi organique ou plutôt le décret du 19 novembre 1959, la procédure de leur ratification est donc viciée. Voilà qui rend celle-ci irrégulière et en conséquence la ratification des traités contraire à la clause de ratification régulière prévue par ceux-ci.
Quant au traité établissant une Constitution pour l’Europe rejeté par le référendum devenu, à peu de choses près, celui de Lisbonne en 2007, le Conseil relève :
- dans le premier « que, conformément à l’article I−34 du traité, sauf disposition contraire, la « loi européenne » et la « loi−cadre européenne », qui se substituent au « règlement communautaire » et à la « directive communautaire », seront adoptées, sur proposition de la seule Commission, conjointement par le Conseil des ministres, statuant à la majorité qualifiée prévue à l’article I−25, et par le Parlement européen, selon la « procédure législative ordinaire »
-dans le second : « que conformément à l’article 289 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, résultant du 236) de l’article 2 du traité de Lisbonne, sauf dispositions contraires, les actes législatifs seront adoptés, sur proposition de la seule Commission, conjointement par le Conseil des ministres, statuant à la majorité qualifiée prévue aux articles 16 du traité sur l’Union européenne et 238 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, tels qu’issus du traité de Lisbonne, et par le Parlement européen, selon la « procédure législative ordinaire » prévue à l’article 294 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, tel que résultant du traité de Lisbonne. »
Voici qui transforme le Conseil des ministres et donc notre ministre, représentant de l’exécutif national, en législateur au même titre que le Parlement et s’oppose à la norme de référence évoquée dans la décision dudit Conseil Constitutionnel datée du 20 décembre 2007 :
« − SUR LES NORMES DE RÉFÉRENCE :
Considérant que, par le préambule de la Constitution de 1958, le peuple français a proclamé solennellement « son attachement aux droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 »
Et donc à la séparation des pouvoirs évoquée à l’article 16 de ladite déclaration et à l’article 23 de la Constitution : « Les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire. »
Une opposition que ne relève pas le Conseil Constitutionnel lequel considère, pourtant, au chapitre normes que :
- « Le constituant a ainsi consacré l’existence d’un ordre juridique communautaire intégré à l’ordre juridique interne et distinct de l’ordre juridique international ;
- « Tout en confirmant la place de la Constitution au sommet de l’ordre juridique interne, ces dispositions constitutionnelles permettent à la France de participer à la création et au développement d’une organisation européenne permanente, dotée de la personnalité juridique et investie de pouvoirs de décision par l’effet de transferts de compétences consentis par les États membres. »
Sans évoquer une seule fois la « séparation des pouvoirs », le Conseil Constitutionnel octroie à un ministre celui de légiférer, voter et appliquer des lois sans les soumettre au Parlement National, alors que ce même Conseil affirme quelques lignes plus tard :
« Considérant qu’appelle une révision de la Constitution toute disposition du traité qui, dans une matière inhérente à l’exercice de la souveraineté nationale mais relevant déjà des compétences de l’Union ou de la Communauté, modifie les règles de décision applicables, soit en substituant la règle de la majorité qualifiée à celle de l’unanimité au sein du Conseil, privant ainsi la France de tout pouvoir d’opposition, en conférant un pouvoir de décision au Parlement européen, lequel n’est pas l’émanation de la souveraineté nationale, soit en privant la France de tout pouvoir propre d’initiative. »
Le Conseil Constitutionnel n’omet pas par hasard de mettre en cause la séparation des pouvoirs. Il sait que, cette règle, fondement de la Constitution selon la Déclaration de 1789, est matérialisée par le Titre III de la Constitution qui définit la forme républicaine du Gouvernement, laquelle selon l’alinéa 5 de l’article 89 n’est pas révisable. Personne ne peut donc transformer un ministre en député ou sénateur vu l’interdiction, selon l’article 23, pour un membre du Gouvernement d’exercer tout mandat parlementaire, c’est-à-dire n’importe quel mandat . A ce sujet il s’agit bien d’un mandat législatif, l’article 16 du traité de Lisbonne dispose aux alinéas 1 et 2 :
-1. Le Conseil exerce, conjointement avec le Parlement européen, les fonctions législative et budgétaire. Il exerce des fonctions de définition des politiques et de coordination conformément aux conditions prévues par les traités.
-2. Le Conseil est composé d’un représentant de chaque État membre au niveau ministériel, habilité à engager le gouvernement de l’État membre qu’il représente et à exercer le droit de vote.
Je ne vois pas que dans notre Constitution quiconque puisse, sans mandat du peuple souverain, être habilité à exercer un droit de vote concernant des lois applicables en France.
Bien au contraire son article 3 précise : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ».
Aucun membre du Gouvernement ne saurait exercer et disposer de la souveraineté nationale puisqu’il n’en a pas reçu mandat du peuple et ne le représente pas. Pas plus que le Président de la République, arbitre entre les pouvoirs, ne reçoit du suffrage universel mandat électif de légiférer ou de gouverner et ne représente le bras exécutif ou législatif du peuple souverain. Il ne peut donc déléguer un tel mandat à un ministre ou l’exercer lui-même.
Le citoyen est en droit de s’étonner d’une telle façon de procéder chez certains Conseillers de cette institution et s’interroge sur le nombre de décisions peu conformes de cette juridiction souveraine et prétendue indépendante qui traînent dans les archives du Palais Royal.
Pour preuve, il aura suffi d’une « visite » dans les archives de ce Conseil suprême pour que l’enquête diligentée, dans le cadre de l’attentat de Karachi, par le Juge d’instruction Van Ruymbeke révèle que les rapporteurs Martine Denis-Linton et Laurent Touvet, membres du Conseil d’Etat, et Rémi Frentz, magistrat à la Cour des Comptes, démontrent que les documents fournis par Edouard Balladur ne remplissent pas les exigences prévues à l’article L 52. 12 du code électoral, notamment :
« Chaque candidat ou candidat tête de liste soumis au plafonnement prévu à l’article L. 52-11 est tenu d’établir un compte de campagne retraçant, selon leur origine, l’ensemble des recettes perçues et, selon leur nature…. Au plus tard avant 18 heures le neuvième vendredi suivant le tour de scrutin où l’élection a été acquise, chaque candidat ou candidat tête de liste présent au premier tour dépose à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques son compte de campagne et ses annexes, présentés par un membre de l’ordre des experts-comptables et des comptables agréés et accompagné des justificatifs de ses recettes ainsi que des factures… »
Selon leur vérification 10.250.000 F ont été remis en une seule fois et en liquide sur le compte de l’association de financement de campagne, AFICEB, sans le moindre justificatif ni le moindre commencement de preuve sur l’origine de tels fonds. Les rapporteurs proposent le rejet du compte. Proposition que le Conseil Constitutionnel n’a pas jugée utile de considérer, bilan : l’Etat a remboursé 30.170.431 F au candidat Balladur bien qu’il n’est pas rempli les obligations nécessaires pour les justifier.
Monsieur Laurent Touvet est aujourd’hui Directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au Ministère de l’Intérieur, Madame Martine Denis-Linton est Présidente de la Cour Nationale du Droit d’Asile, Monsieur Rémi Frentz est Directeur Général de l’Agence nationale pour la Cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé.).
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