Pénélope : boule puante sur la route de l’Élysée
« Je vais porter plainte contre les journaux qui affirment que ma femme avait un emploi fictif. » (François Fillon, le 26 janvier 2017 sur TF1).
Malgré les sondages très bons de l’ancien ministre Emmanuel Macron, l’ancien Premier Ministre François Fillon reste le candidat favori à l’élection présidentielle de 2017, une position fort inconfortable puisque, depuis quelques mois, les favoris dans les primaires ou élections sont régulièrement battus. Ce n’est donc pas étonnant qu’on s’en prenne à François Fillon, ce sont les risques du "métier". Ce qu’a, en revanche, peu apprécié le député de Paris, c’est de voir mettre en cause son épouse Pénélope, à qui il a réaffirmé son amour devant les téléspectateurs du journal de 20 heures sur TF1 ce jeudi 26 janvier 2017.
Il y avait urgence à communiquer et ces dix minutes d’intervention télévisée, dans la plus grande tradition de la communication politique (hors des réseaux sociaux de l’Internet), avaient pour but d’éteindre un feu qui a commencé à prendre deux jours auparavant avec la publication d’un article du "Canard enchaîné" mettant en cause Pénélope Fillon. Elle aurait été recrutée comme collaboratrice parlementaire de son mari de 1997 à 2007 et de 2012 à 2013 (entre 2002 et 2007, collaboratrice du suppléant de son mari). Une information judiciaire a été immédiatement déclenchée par la justice le 25 janvier 2017 et l’avocat de François Fillon est venu déposer des pièces justificatives au tribunal.
Dans cette "affaire", il y a deux aspects. La légalité et la moralité.
Sur la légalité, cela ne fait guère de doute que les époux Fillon étaient dans la légalité. D’ailleurs, s’il a mis fin aux fonctions de sa femme en 2013, c’était parce qu’il y avait un climat nécessitant plus de transparence et moins d’ambiguïté dans les fonctions politiques après le déclenchement de l’affaire Cahuzac. Comme la justice vient d’intervenir, le candidat n’a plus qu’à espérer qu’elle ne traînera pas car il reste moins de trois mois avant l’élection présidentielle, ce qui est court pour une instruction judiciaire. François Fillon a d’ailleurs réaffirmé solennellement que s’il était mis en examen, il ne serait évidemment plus candidat, histoire de montrer non seulement sa détermination mais aussi sa certitude qu’il est dans la légalité.
Sur la moralité, c’est évidemment une autre affaire. On ne pourra pas lui reprocher son absence totale de moralité dans la mesure où il n’a pas attendu 2017 et cette "affaire" pour arrêter cette collusion familiale et parlementaire. François Fillon est d’ailleurs allé au-devant d’autres critiques qui n’avaient pourtant pas encore été exprimées en disant qu’à l’occasion, lorsqu’il était sénateur, il avait ponctuellement recruté ses enfants pour des missions de conseil juridique, correspondant à leurs compétences.
Dans cette affaire de moralité, il y a, à la fois, le fait qu’un parlementaire puisse recruter une personne de sa famille, et aussi le niveau de la rémunération qui, pour Pénélope Fillon, aurait été particulièrement élevée. Là encore, rien d’illégal puisque François Fillon a rappelé que le parlementaire a une enveloppe budgétaire pour rémunérer son équipe et qu’il est complètement libre de l’utiliser comme il l’entend (cette enveloppe était de 9 504 euros par mois au 1er janvier 2013).
Il n’a pas fait la proposition de mieux réglementer son utilisation, ce qui aurait été une contre-offensive assez percutante. Car il y a forcément des abus. François Fillon, lui, a justifié le recrutement de son épouse en 1997, à l’occasion du départ de son collaborateur parlementaire, en disant qu’elle l’avait beaucoup aidé dans sa vie politique depuis 1981, et pendant seize ans, donc, bénévolement. C’est probablement vrai car il n’est pas le seul responsable politique de premier plan pour qui l’épouse ou la conjointe a eu un rôle décisif dans son ascension politique.
Or, ce rôle d’épouse, de conjointe (je mets encore au féminin car il n’y a pas encore de femme à l’Élysée), est un rôle virtuel, un rôle non reconnu, un rôle sans statut, et on a pu se rendre compte à quel point être la femme du Président, officiellement ou officieusement, pouvait créer des problèmes même diplomatiques. François Fillon s’est donc défendu comme le patron d’une petite entreprise dont la conjointe l’a aidé à faire ses comptes, à faire de l’administratif, hors de tout statut, hors de toute couverture sociale.
C’est pour cela qu’il n’a pas voulu reconnaître que le niveau de rémunération aurait été trop élevé. Il a même ajouté que son épouse était aussi diplômée que lui, et qu’elle aurait pu être avocate mais a renoncé à une carrière professionnelle pour rester auprès de lui.
La défense de François Fillon aurait pu être meilleure en sortant sa personne de cette "affaire" et en apportant des propositions plus générales pour mieux moraliser ces pratiques fréquentes chez les parlementaires. Il est resté sur le mode défensif personnel : il a évoqué le principe de la boule puante en demandant pourquoi cette "affaire", pourtant connue de tout le monde, même de ses opposants puisque Pénélope Fillon était collaboratrice durant le gouvernement de Lionel Jospin, n’est sortie publiquement que vingt ans plus tard et pas en 1997, comme par coïncidence, à trois mois du premier tour de l’élection présidentielle ?
Son équipe de campagne est inquiète car elle sait qu’une telle "affaire", aussi innocent soit-il, pollue complètement ses propos, les messages qu’il veut faire passer pendant sa campagne. Or, le 25 janvier 2017, François Fillon était venu visiter Alain Juppé à Bordeaux pour montrer l’unité de son camp derrière sa candidature, message qui est passé inaperçu avec le développement de cette "affaire".
François Fillon s’est donc pour l’instant contenté d’annoncer qu’il déposerait une plainte contre tout journal qui parlerait d’emploi fictif concernant le travail de son épouse.
Pourtant, comme je l’ai écrit plus haut, si cette "affaire" a pu prendre de l’ampleur, c’est qu’au-delà de la légalité, elle a choqué ceux qui n’ont même pas idée de ce niveau de rémunération. Il est indispensable qu’un parlementaire puisse avoir la liberté de recruter son équipe comme bon il lui semble et j’ai toujours noté que pour les députés, il n’y avait généralement pas beaucoup de problème car ils ont besoin d’avoir des contacts avec leur électorat pour être réélus, donc, ils ont besoin d’un collaborateur pour tenir des permanences dans leur circonscription, d’un autre à Paris pour l’épauler dans la rédaction de proposition de loi, d’intervention à l’Hémicycle etc.
Natacha Polony sur LCI le 26 janvier 2017 a plaidé pour que le Parlement français adopte la règle du Parlement Européen, à savoir d’interdire le recrutement des membres de la famille. Cela n’empêcherait ni suspicion ni collusion, car les parlementaires pourraient toujours "s’échanger" leurs membres de la famille, et les amis proches, voire compagnons au patronyme différent pourraient toujours être recrutés. Mais au moins, il y aurait interdiction de recruter un collaborateur qui serait au même foyer fiscal que le parlementaire.
René Dosière, député PS spécialiste du budget de l’Élysée, très pointilleux expert en droit fiscal, a déclaré sur France 5 le 26 janvier 2017 qu’il employait plusieurs collaborateurs qui coûtaient plus cher que l’enveloppe attribuée car il avait recruté des diplômés de haut niveau, et qu’il complétait leur salaire sur le compte de son indemnité de représentation. Il a plaidé pour augmenter l’enveloppe et le nombre de collaborateurs des parlementaires pour qu’ils puissent avoir les moyens d’un véritable contrôle de l’action gouvernementale.
La réflexion sur les collaborateurs politiques devrait s’élargir au-delà des parlementaires à ceux des collectivités territoriales où le népotisme serait encore plus répandu. Ce serait un "vivier" d’environ huit mille personnes qui n’ont généralement jamais travaillé dans une situation normale et qui ensuite obtiennent des mandats locaux puis nationaux. Remarquons ainsi que François Fillon, comme Benoît Hamon et Manuel Valls, ont commencé leur carrière politique comme collaborateurs parlementaires.
La moralisation des pratiques parlementaires et politiques n’est pas nouvelle et est déjà en cours depuis plusieurs années. Ainsi, la "réserve parlementaire" (comme on l’appelle), qui est en fait une somme d’argent attribuée à chaque parlementaire qui peut l’utiliser comme il le veut dans sa circonscription (pour participer au financement d’un gymnase, d’une école, aider une association, etc.), n’était pas un scandale en elle-même (beaucoup de projets locaux n’auraient jamais abouti sans cette aide financière providentielle), mais le scandale, c’était son opacité. Désormais, l’utilisation de cette enveloppe est mieux réglementée avec plus de transparence.
D’autres évolutions vers plus de transparence ont eu lieu, la suppression des "caisses noires" des ministères, décidée par le gouvernement de Lionel Jospin (peut-être que Claude Guéant, qui vient d’être condamné le 23 janvier 2017 en appel à deux ans de prison dont un ferme et à cinq ans d’interdiction d’emploi public, a cru qu’il était quinze ans en arrière…). Même le budget de l’Élysée est désormais réglementé, budgétisé même, et fait l’objet d’un rapport parlementaire spécial chaque année. Rappelons que De Gaulle (qui payait lui-même ses notes d’électricité à l’Élysée) gouvernait un pays où le secret était la religion de l’État, où l’argent en espèces était l’un des moyens les plus commodes de rémunérer des conseillers opaques de certains ministres.
Ce qui est regrettable, c’est que ce type d’évolution dans la transparence aurait dû se faire spontanément, sans être des réaction à de "faux" scandales comme c’est le cas, aujourd’hui, avec François Fillon. Lui qui avait mis un point d’honneur à se montrer "propre" et "intègre", d’autant plus que son programme tend à demander des efforts à ses concitoyens, a un besoin donc urgent que la justice puisse affirmer que tout ce qui concerne les relations entre sa femme et lui dans le cadre de cette collaboration a été complètement légale.
Mais ceux qui ont lâché cette boule puante se moquent un peu de la culpabilité ou de l’innocence : ils savent qu’il restera toujours un peu de fumée qui polluera la campagne de François Fillon. De là à dire que cela vient de l’Élysée serait un peu osé, même si la dernière boule puante dont a été victime ce même François Fillon provenait d’un de ses anciens sous-ministres, devenu, entre temps, le très influent Secrétaire Général de l’Élysée…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (27 janvier 2017)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Boule puante.
François Fillon, gaulliste et chrétien.
Qu'est-ce que le fillonisme ?
Programme de François Fillon pour 2017 (à télécharger).
Discours de François Fillon à Sablé le 28 août 2016 (texte intégral).
Discours de François Fillon à Paris le 18 novembre 2016 (texte intégral).
François Fillon, pourquoi est-il (encore) candidat en 2016 ?
Débat avec Manuel Valls.
Force républicaine.
Discours du 30 mai 2015 à la Villette.
Philippe Séguin.
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