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Accueil du site > Actualités > Politique > Perception et caractère, ou l’homme providentiel

Perception et caractère, ou l’homme providentiel

La démocratie est un concept philosophique. Les valeurs qui sont transcrites dans nos constitutions en sont des figures directes ou indirectes, toutes nées de valeurs religieuses, et, ainsi, le concept qui les sous-tend s’ajuste en permanence, selon l’évolution sociétale issue des progrès techniques et sociaux. Les religions qui étaient à l’origine de ces valeurs ont, elles aussi, plus ou moins évolué, mais pas de manière corrélative.

Ce que vient de vivre la France pendant un mois montre à l’évidence que la démocratie devra évoluer plus rapidement que les religions ne l’ont fait. Si cela était enfin le cas, la démocratie n’éradiquerait pas la religion, bien au contraire, elle se surimposerait, devenant ainsi le nouveau credo, ayant ses propres valeurs cardinales, mieux connues et surtout mieux partagées, par des blocs de citoyens venant d’origines et de croyances diverses, mais aussi transcendant les frontières.
Ce qui me conduit à écrire cet article est la lecture d’un communiqué de presse nous informant que : « Le Premier ministre Dominique de Villepin, interrogé sur l’organisation de primaires à l’UMP pour désigner le candidat de ce parti à l’élection présidentielle de 2007, a souhaité jeudi que soit préservée la spécificité de "la rencontre entre un homme et un peuple" ». C’est beau et c’est grand à la fois, le drame c’est que pour être cet homme, il va lui falloir attendre longtemps, car il ne semble pas avoir l’envergure qu’il se targue d’avoir.
À la lecture de telles inepties, je me demande souvent de quel modèle social français, et à quelles valeurs universalistes ces hommes se réfèrent lorsqu’ils tiennent de tels discours. Je me demande aussi, si les uns et les autres, gaullistes de ‘’conviction’’, ont lu et connu les faits qui ont conduit leurs mentors au pouvoir. Il est, à mon sens, souhaitable non seulement d’arrêter les invectives et prétentions infondées, mais également de nous voir tels que nous sommes, et non pas tels que nous voudrions être.
Premièrement, je ne souhaite pas, par cet article, diminuer encore et un peu plus la fonction présidentielle, le tenant s’en est chargé, et avec lui plusieurs de ceux qui ont cheminé politiquement à ses côtés.
Deuxièmement, les valeurs qui ont été, et qui le sont toujours, je l’espère, celles du peuple français, ne peuvent plus indéfiniment être tournées en dérision par la vision à courte vue de certains politiciens.
La France est indéfinissable, elle ne peut être perçue, comme nous l’a indiqué Fernand Braudel, qu’au travers d’un kaléidoscope. Elle est le romantisme de Jules Michelet opposé à l’arrogance classique d’un Paul Valéry. C’est pour ces raisons que Victor Hugo, Émile Zola, ont pu transcrire une telle photo de la France.
La France d’aujourd’hui, et j’espère qu’un certain nombre de lecteurs partageront mon avis, ressemble au roman de Zola, Nana. D’une beauté indescriptible d’apparence extérieure, et tellement viciée de l’intérieur. La déliquescente Ve République et ses hérauts m’y font penser en permanence.
Il est difficile d’être Français par les temps qui courent, non pas qu’il soit honteux de l’être, NON, mais à cause de cette double perception : d’une part, sa vaste et profonde culture que chacun d’entre nous, individuellement ou collectivement pouvons arborer, et d’autre part, la médiocrité de certains de nos actes individuels ou collectifs, qui ne correspondent pas à l’image que nous sommes censés avoir du fait de ces mêmes valeurs.
Ayant en face une telle photographie, je ne peux donc m’empêcher de faire le parallèle que je vais prolonger tout au long de cet article.
Il ne faut pas oublier qu’une part importante de la doctrine gaullienne relative à la vision de souveraineté nationale, telle qu’exprimée, par de Gaulle lui-même, est née de sa non reconnaissance, par les alliés, pour représenter la France à Yalta. De Gaulle devint le chef du gouvernement de l’après-guerre, le 9 Septembre 1945, pour une période qui ne dura que quatre mois (20 Janvier 1946).
Ce que semblent avoir oublié l’ensemble de ces ‘dévoués serviteurs’ de la République, c’est qu’aucun progrès dans notre pays ne s’est réalisé, sans qu’il ne soit le résultat d’une révolution de rue. Chez nous, nous avons en permanence des hommes providentiels qui savent, de manière constante, ce qui est le mieux pour le peuple.
A ce propos, je voudrais, ici, mettre en parallèle ce que j’ai compris de la démocratie, dans le pays où je vis aujourd’hui.
La civilisation américaine, telle qu’elle s’est formée philosophiquement, est avant tout d’essence démocratique et scientifique. Cela peut sembler réduit si l’on n’y inclut pas les apports de John Locke [1], pour qui : « La vérité et la fidélité à la parole donnée sont des devoirs de l’homme, vis-à-vis de l’homme, mais en tant qu’homme “seulement ”, et non en tant que membre d’une société ». L’Amérique ne se comprend qu’au travers des choix qu’elle a faits dès ses débuts, entre le Contrat social de Rousseau et le Traité de Locke. Ensemble, ils justifient l’Amérique que forgèrent les Pères fondateurs. Enfin, ce tableau sociétal serait incomplet si nous n’y apportions pas la touche finale, mise par Charles Sanders Peirce[2], qui, à lui seul, justifie une part non négligeable de la philosophie américaine, et par là même, des actes qu’ils entreprennent : « Considérer les effets pratiques que nous pensons pouvoir être produits par l’objet de notre conception, et ainsi, la conception de tous ces effets devient la conception complète de l’objet ». Ce conflit sociétal, par philosophes interposés, oppose fondamentalement ces deux pays. La démocratie américaine est fondée sur l’homme, individu et non l’homme, partie d’un ensemble ; un second aspect de ce clivage et qui découle du premier, c’est que l’action entreprise aux USA est faite par l’homme individu à partir de ses croyances et idéologies, et non pas en fonction de croyances et/ou idéologies du groupe dans lequel figure l’individu.
Ce n’est peut-être pas la panacée, oui, mais excepté des discours prônant une solution politique teintée d’une vision universaliste de la paix et du bonheur, quelles solutions proposez-vous, Mr Villepin ? Proposez, de grâce, des initiatives pour la mise en œuvre d’une démarche novatrice, pour :

- Une démocratie nouvelle à laquelle aspirent les citoyens évolués que nous sommes devenus

- Une économie fondée sur les aspirations profondes et déterminées que ces mêmes citoyens éduqués revendiquent

- Une société de justice où les politiciens ne jouissent plus de privilèges monarchiques (et nous en savons quelque chose en France) en s’absolvant par eux-mêmes de leurs propres turpitudes

Et j’espère qu’enfin, en France, nous ne nous laisserons plus abuser par des ‘’hommes providentiels’’.


[1] John Locke, philosophe anglais 1632-1704. Essai sur l’entendement humain, 1690 ; et Lettres sur la tolérance, 1689).

[2] Philosophe et logicien américain 1839-1914. Fondateur du pragmatisme logique (Collected papers, 1931).


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11 réactions à cet article    


  • (---.---.162.15) 6 décembre 2005 07:24

    Donc, soyons concrets, faisons en sorte d’aller vers une VIème République et le projet prôné par Arnaud Montebourg. Dommage que les pontes du Parti Socialiste n’y aient rien compris, Jospin et Lang en premier, qui voudraient accentuer la dérive présidentielle.

    Ce qui est dommage aussi, c’est que ce projet institutionnel soit lié à un parti. Il pourrait aussi bien être soutenu par des gens de droite et du centre.

    Am.


    • argoul (---.---.18.97) 6 décembre 2005 21:01

      Sauf que le projet de M. Montebourg en revient à la bonne vieille république parlementaire style 4è morte en 1958 et qui nous a fait tant de mal. Pas très populaire... La convergence Jospin-Sarkozy sur une République véritablement présidentielle serait plus dans le sens de l’histoire française, à mon avis - avec le risque (pointé par Montebourg) d’être à contre-courant de tout le reste de l’Europe. Pas facile de changer les choses ! Mais le principe de subsidiarité pourrait nous y aider s’il était traduit en français courant. Au public, cela paraît comme un charabia anglo-saxon que nos chers intellectuels se gardent bien de traduire. Alors ?


      • (---.---.162.15) 7 décembre 2005 00:40

        Non, Montebourg ne veut pas revenir à la IVème République, il ne veut pas une assemblée élue à la proportionnelle intégrale, mais une assemblée élue selon des principes qui assurent une majorité (cf notamment ici « une chambre qui dégage une majorité et organise le gouvernement autour d’un contrat de majorité, assurant ainsi la stabilité du système »)

        Am.


        • claude (---.---.176.182) 7 décembre 2005 02:03

          Merci Monsieur pour cet article ! j’habite en france et çà ne sent pas la rose (la vraie).IL y a trois formes de mode de vie dans ce pays Les fonctionnaires , le privé, les « sans travail ».Chacune de ces formes dispose d’avantages dont on ne discute pas volontiers...sauf au moment des élections ou le pére noel présidenciable y va de quelques promesses souvent échelonnées dans le temps...dure époque à quand une idée fondamentale et fédératrice ?


          • Philippe Murcia Philippe Murcia 7 décembre 2005 19:01

            Le problème que j’ai voulu mettre en avant au travers de cet article, n’était pas de savoir si nous devions changer de République, mais plutôt de savoir si les hommes qui s’estiment aujourd’hui providentiel, le sont vraiment, ce qui est une première interrogation, la seconde, est de savoir, s’ils ont vraiment compris, que nous les votants, nous avions changé, et que nous n’accepterions plus d’hommes providentiels. Enfin, sur le changement de République, c’est ce que nous avons fait de mieux depuis la révolution, et pas toujours pour le meilleur. Regardons les USA, sans être un modèle, leur constitution date de 1787 et elle est de même essence que la nôtre, ils s’en servent différemment. C’est cela que j’ai voulu faire ressortir, pas comparer les mérites de Montebourg à ceux de Villepin. Philippe Murcia.


            • Philippe Murcia Philippe Murcia 7 décembre 2005 19:05

              Je vous remercie pour votre commentaire et vous prie de voir celui que je viens d’envoyer à ceux d’am et raoult.


              • Pierre (---.---.188.2) 16 décembre 2005 16:22

                Sans vouloir défendre la condidature de qui que ce soit, je crois que ce qu’a voulu dire M De Villepin était que la démocratie ne doit pas être prise en otage par les partis. Cela me semble être du bon sens.

                Mais il y a un autre sens plus caché : il n’est pas disposé à laisser Nicolas Sarkozy utiliser l’UMP à ses propores fins pour la présidentielle.

                Je ne vois pas en quoi M De Villepin se pose en homme providentiel, ce qu’il n’est pas pour moi de toute façon.

                Sur un tout autre sujet, la philosophie originelle des USA a beaucoup plus à voir avec la philosophie de Leibniz que celle de J. Locke. Par exemple Benjamin Franklin était un savant typiquement leibnizien, et la constitution américaine repose sur des idées leibniziennes.

                Si vous désirez avoir une idée de la différence (colossale) entre la philosophie de Leibniz et de Locke, lisez les « Nouveaux essais sur l’entendement humain » de Leibniz (il y confronte ses idées à celles de Locke).


                • Philippe Murcia Philippe Murcia 16 décembre 2005 17:57

                  Cher Pierre,

                  Merci d’élever le débat. Comme je le disais dans mon article, qui, à l’origine était bien plus long et a donc été rejeté : « Les valeurs qui sont transcrites dans nos constitutions en sont des figures directes ou indirectes, toutes nées de valeurs religieuses etc.... ». Confère donc Leibniz mais aussi Descartes. Je dis aussi : « La civilisation américaine, telle qu’elle s’est formée philosophiquement, est avant tout d’essence démocratique et scientifique etc...... ; ». Je laisse donc entendre que le principe démocratique qui sous-tend, qu’aux USA, toute démarche sociétale est fondée sur l’homme, individu et non l’homme, partie d’un ensemble ; un second aspect de ce clivage et qui découle du premier, c’est que l’action entreprise aux USA est faite par l’homme individu à partir de ses croyances et idéologies, et non pas en fonction de croyances et/ou idéologies du groupe dans lequel figure l’individu. Si donc la civilisation Américaine est d’essence démocratique et scientifique, elle est et peut-être Leibnizienne et Lockéenne en même temps, et ce, dans une certaine limite. Limite qui a été parfaitement illustrée dans une étude approfondie (je ne sais si vous pratiquez couramment l’anglais) et que vous trouverez sur http://www.laetusinpraesens.org/docs/.

                  Vous citez Benjamin Franklin comme étant un de ceux des Pères Fondateurs ayant donc profondément marqué la démarche sociétale Américaine, c’est oublié trois choses importantes : 1. Le débat entre Jefferson et Madison sur les mérites et inconvénients de l’Esprit des Lois de Montesquieu, débat arbitré et tranché en permanence par Georges Washington ; 2. Les apports de John Adams, et finalement ; 3. Que la plus grande partie des Constituants (plus de 40 sur un peu plus de 50, je ne me souviens plus du nombre exact, mais je peux le retrouver sur les notes d’une conférence que j’avais faite sur le sujet) étaient Franc Maçons et avocats.

                  Cela étant dit, je serai infiniment heureux de poursuivre cette analyse avec vous.


                • Pierre (---.---.188.2) 16 décembre 2005 19:43

                  J’ai cité Benjamin Franklin parce qu’il est un des meilleurs représentant des idées de Leibniz à la fois sur le plan philosophique et scientifique, mais j’aurai pu citer également G. Washington et A. Hamilton.

                  Dans le brouillon de la constutiion rédigé par Jefferson, celui-ci a mis dans le préambule, le droit à la vie, à la liberté et à la propriété. Dans la version définitive, B. Franklin a changé « propriété » par « recherche du bonheur ». Jefferson était donc plus lockien, mais ce sont les conceptions leibniziennes de Franklin qui l’ont finalement emporté. La constitution en elle-même n’est pas lockienne et leibnizienne, pas plus que cartésienne et leibnizienne, les idées de Leibniz étant définitivement irréconciliables avec celles de Locke et Descartes. D’un point de vue leibnizien, le droit à la recherche du bonheur est un principe supérieur au droit à la propriété, qui relève donc plus de la loi que de la constitution.

                  Ceci dit les USA sont aujourd’hui plus lokiens que leibniziens. Mais il se pourrait très bien que cela s’inverse et que les USA reviennent aux princpes fondateurs d’origine de leur république.

                  Il y a quelque chose de sérieusement vicié dans la philosophie de Locke, qui considérait certes que tout citoyen avait le droit à la liberté, MAIS il considérait aussi que les esclaves ne pouvaient être considérés comme des citoyens à part entière. Ceci plaçait donc Locke du côté des esclavagistes et de la tradition de l’empire britanique.

                  Au contraire pour Leibniz, tout être humain possède des facultés intellectulles qui lui permettent de découvrir le fonctionement de l’univers et de dévolopper des machines exploitant ces lois physiques, afin que l’homme s’affranchisse de travaux pénibles pour ne se consacrer qu’à des activités nécessitant son esprit créateur. C’est cette faculté spécifique à l’esprit humain qui donne à l’homme toute sa valeur, car en exerçant ce don de découverte de principes physiques universls, un homme contribue à l’avancée et à l’épanouïssement de son espèce dans son ensemble. Pour Leibniz c’était donc un trésor qu’il fallait contribuer à développer chez chaque être humain, non seulement pour le développement de la civilisation mais aussi pour rechercher le dessein du créateur de l’univers et ainsi se rapprocher de lui. C’est de cette idée de l’homme que vient le droit à la poursuite du bonheur présent dans préambule de la constitution (à ne pas confondre donc avec le bonheur d’avoir une piscine dans son jardin ou une voiture de grosse cylindrée). Pour l’accomplissement de ce but, Leibniz imaginait donc également un système éducatif ayant pour objectif l’excellence scientifique.

                  C’est donc de Leibniz que provient la tradition scientifique que vous citez. Locke, appartenant au courant de pensée aristotélicien, n’était au contraire qu’un empiriste. Idem pour Decartes.


                  • Philippe Murcia Philippe Murcia 19 décembre 2005 01:28

                    J’essaye de vous faire passer une réponse étayée, qui fait 36 pages et ne peut donc passer par ce canal. Dites moi comment vous souhaitez procéder. Philippe.


                  • Pierre (---.---.188.2) 19 décembre 2005 10:30

                    36 pages ! si vous voulez à l’adresse : p_picard arobase caramail.com

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