Pourquoi croire en Fillon, ou les vertus miraculeuses de l’inexpérience ?
Dans quelques mois le peuple Français aura la parole, quelques instants, pour désigner un nouveau meneur. Politiciens, partis et medias s’activent sans compter pour cette échéance. Stars de cette mise en scène, les candidats font feu de tout bois pour sécuriser leurs avantages ou créer la surprise.
F. Fillon, après avoir pris de court opposants et sondeurs, aimerait garder l’avantage, en s’appuyant sur ses multiples atouts ; l’appui d’un grand parti rompu aux combats politiciens, les faveurs de la presse, une équipe rapprochée influente et puissante, une très longue pratique du pouvoir, et bien sûr un programme apparemment solide et raisonné.
Mais le peuple est changeant, F. Fillon en sait quelque chose, il veut à la fois du crédible, du plaisant, et du neuf. Alors, l’absence de neuf, le talon d’Achille de F. Fillon ?
Eh bien non, paradoxalement il y a du neuf dans ce candidat : toutes les bonnes recettes de gestion qu’il propose pour redresser le pays. De toutes ces bonnes idées on ne trouve pas trace dans les actes récents du gouvernant Fillon, dans sa Sarthe natale.
F. Fillon, dirigeant de grande expérience, et grande inexpérience, ce qu’il faut à la France ?
La présidentielle se profile, et l’arène politique bruisse de nombreux combats : celui des candidats qui ont une vraie chance, ceux qui veulent à tout prix dire une différence qui n’aura pas de poids, ceux qui visent en fait autre chose comme la tête d’un parti en cas de défaite. Les medias jouent leur jeu habituel aussi, caisse de résonance pour idées et petites phrases, mais aussi filtres actifs par le choix silencieux de ce qu’ils ne disent pas. Dernière pièce du puzzle des professionnels de l’élection, les sondeurs se préparent à de nouvelles vagues de prophéties prudentes, après les prédictions erronées des dernières échéances.
Mais, pour les aspirants à l’Elysée, l’exercice n’est pas aussi simple que jouer contre les autres et avec les médias officiels. Car le peuple, insaisissable, semble, en France comme ailleurs (Angleterre, Italie ou Etats-Unis) vouloir déjouer les manœuvres et exiger du nouveau. Preuve de cette envie de neuf plutôt que d’expérience, MM Sarkozy et Hollande, qui rêvaient chacun d’un remake de 2012, ont été brutalement mis à la retraite.
Et, dans ce contexte, la victoire de F. Fillon à la primaire de droite est déjà une surprise.
Car, plus qu’un homme nouveau, l’ancien premier ministre est un politicien professionnel de très longue date. En 34 ans de carrière, il a pratiqué toutes les fonctions électorales de notre République (commune, département et assemblée nationale surtout, mais aussi communauté de communes, région et Sénat), et diverses fonctions ministérielles, avant d’être premier ministre. Au total, cent ans de carrière électorales ou ministérielles. En un mot, pas du tout un homme neuf et un champion du cumul.
Malgré cela, il a passé la barre, sans même la tutoyer.
Peut-être est-ce son retrait des affaires depuis 5 ans, et la durée de mémoire des médias et des électeurs qui lui donnent le visage d’un nouveau revenu. Mais on prête également à son programme solide, à son courage de dire que « cela ne peut plus durer », d’avoir su séduire et ayant l’air nouveau.
Et c’est ce fond des choses qui nous a intrigué, incrédules que nous sommes après une carrière d’électeur de 34 ans aussi, 34 ans de promesses non tenues, de folies normatives qui ligotent le pays, de gaspillage public jamais examiné. F. Fillon, député pendant 18 ans, moi citoyen, dépité pendant 30 ans.
Mais la carrière de F. Fillon nous offre une opportunité de voir si l’on peut trouver dans ses fonctions récentes une trace convaincante que son programme de gestion rigoureuse pour « redresser le pays » est une idée crédible.
Or F. Fillon, de 2007 à 2012, a été certes premier ministre, mais aussi et surtout, pour ce qui nous intéresse, président de la communauté de communes de Sablé sur Sarthe, un territoire d’environ 30.000 habitants. Un territoire aussi où F. Fillon a exercé d’autres mandats : maire de Sablé sur Sarthe de 1983 à 2001, puis conseiller municipal de Solesmes, une autre commune du groupement, de 2001 à 2014.
Voici donc ce que révèle, à partir des données officielles du portail des collectivités, l’analyse de la gestion de la communauté de communes de Sablé sur Sarthe de 2007 à 2012 :
- les dépenses (et les revenus) de fonctionnement des communes et du groupement ensemble (que nous appellerons ci-dessous « Communes+CC ») ont augmenté continument pendant la période 2007 à 2015, de 2,4% en moyenne par an, tirées par les dépenses de la communauté de communes (+7% par an) et une croissance bien plus faible des dépenses des communes (0,6% par an). Il y a donc là un ensemble de communes continuant de faire croître leurs dépenses à bon rythme, sans économie visible, avec une concentration de l’activité au niveau central de la communauté de communes (planche 1 ci-dessous). Il est à noter toutefois que cette croissance est bien plus réduite depuis 2013 (l’après F. Fillon), certainement du fait de la réduction des dotations de l’Etat (planche 2 ci-dessous), qui a enfin contrainte toutes les collectivités à examiner leurs dépenses de plus près.
- Au sein des dépenses de fonctionnement, les dépenses de personnel ont suivi exactement le même schéma global. Réduction de 1,3% par an pour les communes, croissance de 11% par an pour la CC, pour une croissance totale de 1,9% par an pour Communes+CC (planche 2 ci-dessous). Pas trace là non plus de réduction des effectifs, qui pourtant est aujourd’hui un des points frappants du programme du candidat à la présidence.
- Troisième poste de gestion ; les impôts locaux. Ils ont augmenté au total de 2,7% par an pour Communes+CC, avec une hausse de 19% au niveau de CC et une baisse annuelle de 4,5% pour les communes (planche 2 ci-dessous). Ceci traduit clairement une concentration du pouvoir et des décisions au niveau de la CC et de F. Fillon, même si les reversements d’impôts collectés vers les communes, une sorte de bonneteau municipal, peut brouiller l’image pour les citoyens.
- Ces impôts contenant de multiples postes, une analyses plus fine est présentée en planche 3, séparant d’un côté l’évolution des taxes d’habitation et foncière (qui pèsent majoritairement sur les citoyens) et de l’autre des taxes spécifiques aux entreprises (taxe professionnelle puis, à partir de 2010, cotisation foncière des entreprises). Le bilan est lumineux : +7% par an pour les particuliers, -7% par an pour les entreprises. L’effet sur les entreprises est difficile à lire, brouillé qu’il est par le changement majeur qu’a été la disparition de la taxe professionnelle en milieu de période. Il y a en tout cas une évolution qui semble favorable aux entreprises (mais je suis entrepreneur depuis 2013, et ai vu l’avalanche de nouvelles taxes). Par contre, faute d’avoir maîtrisé les dépenses, la CC et les communes ont sérieusement vidé les poches des citoyens.
- Il est aussi intéressant d’analyser les situations particulières de chacune des 16 communes de la CC. Cette situation est examinée en donnant à chaque commune, pour une année donnée, une note de dépenses et une note de santé financières, toutes deux entre 0 (très mauvais) et 30 (très bon). Ces notes comparent les dépenses ou les ratios de gestion (planche 4 ci-dessous) d’une commune avec l’ensemble des communes de même taille. Comme le montre la planche 5, en 2013, les communes de la CC de Sablé sur Sarthe sont plutôt moins dépensières que leurs comparables. Sablé sur Sarthe fait toutefois figure de notable exception, avec sa note de dépenses de 0/20/ Solesmes, ville dont F. Fillon a été conseiller municipal jusque 2012, tire mieux son épingle du jeu avec 11/20. La santé financière, plus contrastée entre communes, est toutefois globalement bonne, notamment grâce à un endettement maîtrisé, et qui a connu une évolution de faible croissance, 0,2% par an, sur la période 2007-2015 (planche 6)
Au terme de ces analyses, nous nous sommes livrés à une expérience de démocratie par interpellation. Nous les avons adressées à plusieurs candidats pour leur demander ce qu’ils en pensaient :
- F. Fillon en direct n’étant pas accessible nous les avons adressées à B. Accoyer, son bras droit devenu secrétaire général des Républicains. Aucun retour. Pas étonnant, comme les grands partis « de pouvoir », Les Républicains n’est pas à l’écoute des citoyens qui l’interpellent librement.
- Le PS, difficile à joindre aussi. Pas de moyen d’adresser ces pièces jointes aux messages laissés sur le site, et notre demande d’avoir une adresse mail pour ce faire est restée sans réponse. Même syndrome que les Républicains.
- Le FN, plus facile à aborder, donne des adresses courriel pour ses principaux dirigeants. Alors Marine le Pen et Floriant Philippot ont été contactés. Là encore, aucun accusé de réception. Nous avons connu un FN bien plus réactif au citoyen anonyme qui les interpelle, c’était il y a vingt ans avant une élection législative. Bon, peut-être se sont-ils « systématisés », et sont-ils encombrés dans des luttes intestines.
Alors le citoyen factuel est très dubitatif. Pourquoi ne pas avoir mis en œuvre toutes les belles intentions de gestion rigoureuse annoncées pour demain dans ce petit laboratoire où F. Fillon avait certainement la main ?
Comment ne pas ajouter à cette incohérence un doute quand on entend des voix dire à quel point 500.000 fonctionnaires de moins en 5 ans cela n’est pas possible, compte tenu des statuts et rigidités.
Et comment, si on fait partie des victimes du « ras le bol fiscal », ne pas anticiper que ces promesses non tenues demain se traduiront encore par de nouvelles ponctions ? Soit des ponctions d’Etat soit, plus hypocrite, une nouvelle vague de massacre par les collectivités, auxquelles l’Etat transfèrerait de nouvelles charges sans transférer les ressources, ou en coupant les dotations globales de fonctionnement sans les moduler en fonction de la baisse des dépenses.
Là s’arrêtent les faits, là s’arrêtent les questions. Chacun pourra ici apporter sa propre réponse, en choisissant peut-être parmi trois options pour le cas F. Fillon :
- « Ah d’accord, rien à faire face aux faits, ce programme c’est, une nouvelle fois, du flan ». Candidat suivant.
- « Moi j’y crois, quoi qu’il en soit, et c’est de toute façon le moins mauvais choix ? »
- "Et moi je crois au changement profond d’un homme parti à la rencontre du peuple depuis 5 ans. Au fond, peut-être a-t-il vraiment changé."
A vous de choisir.
Mais avant tout, citoyens, le neuf, le vrai, c’est d’apporter les faits sur la table de cuisine électorale, pour voir qui sont vraiment les chefs dignes de confiance. Et moi, modeste citoyen mirliton libre et indépendant, j’espère que mes épices vous donneront envie de propager ces analyses.
Bon appétit.
F. Lainée, fondateur des Politic Angels
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