Pourquoi la France est réactionnaire ? Une analyse matérialiste
Dimanche, un peu plus de 4 millions d'électeurs ont voté pour le Front National, parti issu du groupuscule néo-nazi Ordre Nouveau, et fondé par d'anciens généraux de la Waffen SS Charlemagne. Quatre millions d'électeurs, cela peut paraître peu (à peine 6 % des français), mais dans un contexte fortement abstentionniste, l'effet de loupe est impressionnant (25 % des suffrages exprimés). Ce chiffre est d'autant plus impressionnant quand on le compare aux résultats d'autres pays européens, tels que la Grèce, où l'extrême gauche arrive en tête.

Dans le tohu-bohu des analyses politiciennes sur les raisons de la dérive réactionnaire du prolétariat français, je n'ai ni lu ni entendu aucune analyse matérialiste, marxiste.Sur le plateau de France Télévision lors de l'analyse des résultats, où pourtant étaient invités les représentants des communistes français, le mot « internationale » n'a été prononcé qu'une seule fois, et par le journaliste bourgeois. Les leaders du PCF et du Parti de Gauche auront maintes fois prononcé les termes « peuple », « national », « patriote », « France », mais pas une seule fois les termes « prolétaires » et « internationale ». Ils utilisent la phraséologie des sciences-politiques bourgeoises, c'est-à-dire la phraséologie pseudo-scientifique à la mode ces dernières années ; ils ignorent le trésor conceptuel qu'est le matérialisme politique qui nous a été légué par les générations progressistes précédentes ; il n'est donc pas étonnant qu'ils n'arrivent pas à comprendre pourquoi le prolétariat français sombre dans la Réaction. À la question de l'échec du Front de Gauche, Jean-Luc Mélenchon s'est habitué à répondre : « c'est simplement que notre temps n'est pas encore venu ; notre parti est très jeune » ; réponse typique d'un hégélien de gauche qui croit que l'Histoire coule d'elle-même, d'un jacobin qui pense qu'il suffit de capitaliser des électeurs, d'un bourgeois démocrate tranquille qui peut bien se permettre d'attendre que la bronca réactionnaire passe d'elle-même.
Aux militants progressistes, à ceux qui appellent de leurs vœux une rapide Révolution Internationale, je voudrais donc livrer une analyse matérialiste de cette dérive réactionnaire de la France ; c'est-à-dire une analyse qui ne fait pas dans l'idéologie et les querelles de chapelles, mais qui se base sur l'analyse de l'appareil de production français et du mode de production français. N'en déplaisent aux hégéliens et autres idéalistes promoteurs de la morale, les représentations individuelles dépendent en effet avant tout de ce que l'individu vit au quotidien. Dans cette société Capitaliste, les représentations d'un individu dépendent donc avant tout du travail que fait cet individu, de sa position dans l'appareil de production.
Des masses impressionnantes du prolétariat français dépendent en effet directement ou indirectement de l'Impérialisme français. L'économie française brasse 2.000 Milliards d'Euros chaque année. 35 % de la population en âge de travailler ne travaille pas. 70 % de la population active travaille dans le secteur des services, c'est-à-dire que 70 % de la population est indirectement productive, c'est-à-dire qu'ils ne produisent rien à proprement parler. 13 % travaille dans le commerce, c'est-à-dire se contente de distribuer ce qui a été produit. 5 % travaille dans les transports. Tous ont parfaitement conscience que, indépendamment de l'utilité de leur activité, les produits qu'ils consomment sont produits par d'autres, et que leurs revenus proviennent d'autres pans de l'activité française ou de la dette. Le coiffeur ne créé aucune richesse, pas plus que le marchand, le banquier, ou le bureaucrate. Leurs revenus proviennent soit de la dette (publique ou privée), soit de la production réelle de l'économie française, c'est-à-dire de son secteur industriel ou agricole. Or, 25 % seulement de la population active française travaille dans l'industrie ou l'agriculture. Ce sont ces manouvriers, qui hier votaient pour le PCF, qui aujourd'hui votent pour le Front National. Leur activité, et donc la consommation de bien de toute la population, dépend en grande partie de l'exploitation néocoloniale de l'Afrique :
- L'activité industrielle de la vallée du Rhône, de Marseille à Lyon, repose essentiellement sur la Pétrochimie et la plasturgie. C'est vrai également du Nord de la France (Lille en particulier). Ainsi, les travailleurs de ces régions vivent en transformant des matières premières spoliées à l'Afrique.
- Une grande partie des emplois industriels du Nord et de l'Ouest de la France consiste à transformer du caoutchouc, du cuivre, de l'or, du zinc, et des métaux rares provenant directement d'Afrique. La métallurgie française, et ses aciéries dont on fait tant de cas, repose entièrement sur l'importation de minerais de fer (en provenance d'Afrique, d'Inde et du Brésil).
- Les industries aéronautiques et automobiles sont les plus importantes en France. Ainsi, elles constituent l'essentiel du tissu industriel en Ile de France et en Aquitaine. Or, l'immense majorité des matériaux nécessaires à la fabrication de ces produits provient d'Afrique.
- L'Agriculture française est très grosse consommatrice d'engrais, et ne pourrait fonctionner sans eux. Ces engrais sont produits par les industries pétrochimiques françaises citées plus haut, c'est-à-dire produits à partir des ressources africaines spoliées.
- Un bonne partie de l'industrie alimentaire française consiste à transformer des produits agricoles en provenance du tiers monde. Le cas du Chocolat est particulièrement représentatif : il s'agit d'un marché de plusieurs milliards d'euros, dans lequel Suisses, Français et Belges se battent pour détenir le statut de « meilleur chocolatier ». Or, aucun de ces pays n'est producteur.
- Enfin, des régions entières telles que la Bretagne dépendent de l'exportation subventionnée de leurs produits agricoles vers des pays du tiers monde. Les bonnets rouges ont permis de le rappeler : La Bretagne produit des poulets subventionnés par l'Union Européenne et destinés à submerger les anciennes colonies et à y détruire ce qu'il y restait d'élevage et d'agriculture.
Bref, l'économie Française est totalement dépendante de son rapport néocolonial à l'Afrique, et le prolétariat français en a parfaitement conscience. Ainsi par exemple, pour les industries de pointes telles que l'aéronautique ou l'automobile, il serait bien plus rentable pour les grands capitalistes de les délocaliser là où la matière première est produite, et là où la main d'œuvre est moins cher. Toutefois, ce qui empêche ces relocalisations, c'est la propriété privée bourgeoise des moyens de production intellectuelle (dite « propriété intellectuelle »). C'est parce que la bourgeoisie nationale française et patriote se prétend propriétaire des découvertes de ses ingénieurs au travers des brevets qu'une grande partie des emplois sont conservés sur le territoire. Combien de prolétaires français entent-on s'offusquer du transfert de compétence de la France vers d'autres nations ? Combien de fois entend-on parler du « pillage » de nos brevets ?
Les travailleurs français ont compris qu'ils n'ont aucune matière première, aucune valeur intrinsèque, un standard de vie largement supérieur aux autres travailleurs de la planète. Ils se cachent donc derrière leur bourgeoisie nationale, espérant désespérément que celle-ci sera patriote et s'accordera à les protéger de la mondialisation, telles des poules qui se cacheraient derrière le renard en espérant que celui-ci les protège du loup de la forêt.
C'est peine perdue. Par exemple, le minerais de fer est produit en Inde, les travailleurs indiens ont un niveau de vie standard inférieur à celui des français, les ingénieurs indiens sont tout aussi capables que les ingénieurs français, c'est donc avec une grande logique capitaliste que Mittal a racheté Arcelor, pour récupérer ses brevets, et fermer ses fourneaux. Combien de syndicalistes, de prétendus communistes, n'a-t-on entendu regretter le manque de « patriotisme » de sa bourgeoisie, regretter que le savoir faire « français » n'ait pas été mieux protégé, que la propriété intellectuelle n'ait pas permis de garder les emplois en France ? Quelle imbécillité ! La propriété est ce qui permet le commerce. Quand un brevet est déposé, c'est précisément dans le but d'être vendu. Tout patriote qu'il est, un bourgeois reste un bourgeois et finira par revendre le brevet pour s'enrichir, et ainsi priver ceux qui en ont fait la découverte de pouvoir continuer à l'exploiter. Que n'a-t-on entendu ces syndicalistes déplorer l'existence de ces brevets ? Et réclamer la possibilité pour tous de pouvoir les exploiter, indépendamment des logiques de marché ? Mais non, ces manouvriers et ces syndicalistes ont bien compris que l'existence même de leur emplois était contre-nature dans une société Capitaliste, ils reprochent donc à leurs bourgeois de ne pas avoir été plus « patriotes », de ne pas avoir utilisé leurs privilèges de propriétaires pour les protéger. Moi, je le dis en tant que communiste, je me réjouis de voir le prolétariat Indien progresser, et se doter de savoirs faire qui ont été développés ailleurs. Moi, je le dis en tant que communiste : je suis pour l'abolition de la propriété intellectuelle. Moi, je le dis en tant que communiste, je n'attends pas du bourgeois patriote qu'il utilise son droit de propriété pour protéger l'emploi en France. Moi, je le dis en tant que communiste, je sais parfaitement bien que la seule chose qui pourra convaincre le bourgeois prétendu patriote de conserver les emplois en France, ce sera la baisse du niveau de vie standard en France, c'est-à-dire l'augmentation du rapport d'exploitation. Que ce soit par le loup ou par le renard, les poules seront mangées.
De même, le prolétariat français a globalement parfaitement conscience que l'économie française, et son système social, s'appuient sur l'exploitation de l'Afrique. Ainsi, alors que François Hollande est le plus impopulaire de tous les présidents, à chacune de ses interventions militaires en Afrique, sa popularité remonte dans les sondages. Oui, les français savent que, telle une nation de vampires, ils ont besoin du sang de l'Afrique pour vivre : du pétrole, du gaz, de l'uranium, des minerais de fer, du cuivre, des métaux en tout genre, du cacao et des pierres précieuses. Jusqu'à peu, les prolétaires français, la bouche remplie de chocolat, pouvaient dire : « ce n'est pas notre faute à nous ! C'est de la faute à nos bourgeois, ce sont eux les colons ! » ; c'était peu avant qu'ils ne se mettent à dire « les Africains nous volent notre travail ! ».
Que s'est-il donc passé ? Pourquoi la France, ce parasite de l'Afrique, a-t-elle vu soudain son prolétariat passer de la bien-pensance au racisme ? C'est encore une fois très simple à comprendre. La domination purement bureaucratique de la bourgeoisie française sur les colonies africaines s'est arrêtée dans les années 60 avec les guerres de décolonisation. La colonisation était alors une sorte de résurgence du féodalisme dans la société Capitaliste, un obstacle au développement du marché. Dans les pays colonisés : il n'y a pas de libre concurrence, la dure réalité du paiement au comptant n'a pas encore remplacé celle du fouet. Il était donc tout à fait prévisible, et souhaitable, que le Capitalisme allait reprendre ses droits, et faire de l'Afrique un nouveau marché, et des colonisés des prolétaires. Cette entrée triomphante de l'Afrique dans le Capitalisme s'est produite dans les années 70 : elle porte le doux nom de « choc pétrolier ». Depuis cette date, la toute nouvelle bourgeoisie africaine s'est habituée à mettre en concurrence les différentes forces impérialistes qui prétendent exploiter ses ressources et ses prolétaires. Certes, la France, telle une tique qui transmet la maladie de Lime, a tenté tant bien que mal de maintenir guerres civiles et dictateurs sur ces terres ensoleillées, mais en vain.
C'est alors qu'apparaît de manière évidente que le système social national de la France, dont la gauche était si fière car censé être le produit des luttes sociales du 20ème siècle, n'était rien d'autre que l'État Providence du chancelier Otto von Bismarck. On l'oublie trop souvent, mais l'État Social National n'a pas été le produit des luttes sociales en France, mais la solution trouvée par Otto Von Bismarck pour asseoir son pouvoir et son impérialisme : Un État fort, une administration pléthorique qui dirige et subventionne l'économie, des banquiers fonctionnarisés, un système social doux pour se créer un bourrelet de classe moyenne autour de ses châteaux et de ses jardins, le tout financé par une politique militaire impérialiste d'une violence extrême. Voilà ce qu'était l'Empire Allemand, voilà ce qu'a été la République Française. Les États Providence n'ont été que le coussin de sécurité des politiques coloniales. Désormais que le colonialisme est presque totalement remplacé par la finance, et que les colonies ont été privatisées, le bourrelet de classe moyenne n'est plus nécessaire. C'est donc avec brutalité, comme à son habitude, que la bourgeoisie se débarrasse des États Providence qu'elle avait créés et qu'elle ne peut plus financer par un monopole national sur ses colonies. Comme prévu, le marché s'agrandit. Comme prévu, les africains rejoignent les rangs du prolétariat. Comme prévu, les conditions de vie du prolétariat mondial s’uniformisent, et donc le niveau de vie standard de la population française diminue.
Le prolétariat français rêve secrètement de retourner au bon vieux temps des colonies, celui où la France était un Empire, où les matières premières africaines affluaient vers la France, et où l'armée tenait en bride les africains chez eux. Le prolétaire français rêve que sa bourgeoisie spolie à nouveau l'Afrique, et renvoie les africains chez eux. Le prolétariat français, dans son ensemble, et non pas uniquement celui qui vote Front National, réclame plus de Nation, plus de France, plus de guerres en Afrique, plus de propriété intellectuelle, plus de patriotisme économique, en un mot : plus d'Impérialisme.
Ceci est d'autant plus vrai qu'une grande partie des prolétaires français sont fils ou petit fils de petit-bourgeois. En effet, dans les années 30, 60 % de la population française étaient artisans, commerçants, agriculteurs. Comme Marx l'avait prévu, il y a aujourd'hui 80 % de salariés en France. Ceci explique que même les partis d'Extrême Droite sont obligés de se convertir à la phraséologie gauchiste. Mais, bien entendu, la plupart des prolétaires français ont eu des parents ou grands parents poujadistes. Ainsi, à la réalité quotidienne de la désindustrialisation française, de l'immigration française, se rajoutent les analyses alcoolisées de leurs géniteurs : « Tout ça, c'est la faute aux noirs, aux arabes, et aux juifs ! ».
Dur temps que ceux de la France contemporaine pour le progressiste authentique. Peut-on convaincre cette masse raciste et inique qui appelle à plus d'Impérialisme Français ? En bon matérialiste, je sais que la conscience de classe est avant tout produite par la lutte des classes. C'est dans la pratique de la lutte que la conscience apparaît. Peu importe les discours et les articles, c'est la pratique de la lutte des classes qui permettra au prolétariat français de sortir de ses vapeurs réactionnaires. La lutte des Classes a une définition précise : elle est l'inverse du taux d'exploitation, c'est-à-dire du rapport entre les profits de la bourgeoisie et le niveau de vie standard du prolétariat. Pratiquer la lutte des classes, ça ne veut donc pas dire aller manifester le dimanche en famille pour réclamer des hausses de salaires. Pratiquer la lutte des classes, cela veut dire obtenir une diminution du temps de travail et une amélioration des conditions de vie. Bien entendu, dans le cadre national, il est désormais impossible d'obtenir des victoires sociales. Au 20ème siècle, bloquer l'économie du pays permettait de mettre un couteau sous la gorge de la bourgeoisie nationale. Aujourd'hui, cela permet à nos bourgeois de se raser le matin. Les grèves et manifestations nationales n'ont absolument aucune chance d'aboutir à une hausse du niveau de vie standard en France. C'est donc à une échelle internationale qu'il faut passer, il faut unir les différents prolétariats européens (et au delà...), bloquer l'ensemble de l'appareil de production européen. Alors, si la lutte est intense et violente, une augmentation du niveau de vie standard en Europe pourra être obtenue. Cette augmentation ne peut pas consister en une « augmentation du pouvoir d'achat », car acheter de la pacotille ne rend pas plus heureux. Cette augmentation du niveau de vie standard européen doit consister en une diminution drastique, phénoménale, du temps de travail. Il est grand temps que la gauche européenne réclame la semaine de travail de 20h et 8 semaines de vacances annuelles pour tout le continent. Alors, derrière cette victoire futile, la conscience de classe pourra réapparaître chez le prolétariat européen et donc français, et celui-ci pourra prendre conscience qu'il est temps de s'unir avec le reste du prolétariat mondial.
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