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Accueil du site > Actualités > Politique > Prison : l’évidence qui tourne au fantasme

Prison : l’évidence qui tourne au fantasme

Le carcéralisme est un fait de société qui pose question jusqu’à pointer du doigt le choix de société opéré par les politiques. Une question brûlante d’actualité, qui risque fort de s’inviter à la prochaine présidentielle et aux législatives.

Le premier constat à opérer avant toute analyse est que l’utilisation de l’emprisonnement en tant que sanction pénale est relativement récente. En effet, la privation de liberté est venue remplacer les châtiments corporels seulement depuis la réforme pénale provoquée par la Révolution française. Son objectif assigné a cependant bien évolué depuis. Elle a toujours visé, avec certainement une part non avouée d’intimidation collective, l’amendement du condamné, cette dernière notion ayant évolué au fil du temps. Alors qu’au départ il s’agissait avant tout d’accéder, par la rééducation morale, au repentir du condamné, la prison s’est vu au fur et à mesure octroyer une mission de réinsertion, une réorientation de sa finalité qui a été tout d’abord l’oeuvre de l’initiative de l’administration pénitentiaire. Un lent cheminement de prise de conscience d’une nécessité d’humaniser les prisons. Et surtout parce que l’on s’est vite aperçu que le régime le plus dur ne contribuait pas toujours à améliorer les détenus et que beaucoup d’entre eux quittaient la prison bien plus endurcis et enracinés dans la délinquance qu’ils ne l’étaient en entrant. Ainsi, comme le décrit Robert Schmelck dans sa contribution sur le traitement pénitentiaire, un effort important a été entrepris pour construire de nouvelles prisons, rénover les anciennes, améliorer les conditions de vie des détenus, assouplir la discipline, abolir la loi du silence et rendre le détenu socialement utile en organisant un travail tout en veillant à le rendre moins pénible. Une vision de l’action pénale poursuivie par tous les pays industrialisés et reconnue au plus haut niveau avec des traités internationaux (Genève, 1955), constitution et lois. Il est unanimement reconnu que la protection de la société contre le crime ne sera un but que pleinement atteint que si la période de privation de liberté est mise à profit pour que le délinquant soit en mesure une fois libéré d’être en désir et capacité de vivre en respectant les lois et de subvenir à ses besoins.

Seulement, le combat pour l’humanisation des prisons a été ardu, long et confronté à des idées reçues. La toute première étant la systématisation de l’argument sécuritaire pour contrer toute évolution de la prison. Plus qu’un frein, ce "catéchisme de la sécurité" peut entraîner les plus graves conséquences et avoir même l’effet inverse de celui recherché. Le refus de l’évolution des prisons est contre-productif. Jean Favard nous l’explique très bien avec l’exemple de la presse longtemps interdite car considérée comme un risque de trouble dans les prisons. Finalement autorisée à l’été 1971 mais avec un pouvoir de censure donné au chef d’établissement, censure qui n’eut que pour conséquence d’enflammer les imaginations. Les évènements de Toul montreront que l’absence ou la sélection de l’information ne peut aboutir qu’à rumeurs plus dangereuses les unes que les autres. L’humanisation des prisons n’est pas un facteur d’insécurité comme on l’a finalement constaté avec l’introduction des radios et télévisions accordée après les grandes mutineries de 1971-1974 (que l’on ne pouvait donc lui imputer). En adaptant ou en réorganisant les dispositifs, l’humanisation des prisons peut tout à fait aller de pair avec la sécurité. Il est désormais communément acquis que l’opposition faite entre ces deux exigences est totalement obsolète. Ainsi, le dernier grand réaménagement qui a été celui de la généralisation des parloirs sans séparation, vu comme une catastrophe par les nombreux récalcitrants, a donné une nouvelle forme de liberté pour les détenus et a changé le climat tendu au bénéfice des surveillants. L’humanisation, une vertu nécessaire, peut se concilier avec la sécurité sans tomber dans une logique d’intolérance et de répression longtemps la cause d’un traitement carcéral inhumain des détenus.

Au mois de novembre dernier, un manifeste élaboré à partir d’un questionnaire adressé aux détenus a été transmis aux candidats de la présidentielle. Un texte appelant une "profonde réforme du régime des prisons" s’appuyant sur une loi consacrant le droit des personnes incarcérées, un appel lancé et relayé par plusieurs organisations préoccupées à juste titre par la situation carcérale. Les résultats de l’enquête, d’une envergure sans précédent, initiée par l’Observatoire international des prisons, poussent à la réflexion, ce que n’ont pas manqué de faire les Etats généraux de la condition pénitentiaire qui exigent une loi qui par ailleurs rende essentiels l’anticipation, la préparation et l’accompagnement du détenu lors de sa libération. Une réforme espérée au plus tard à l’automne 2007 devrait améliorer prioritairement les conditions de détention, un meilleur accès à l’hygiène et aux soins et une préservation renforcée des liens familiaux.

Un débat qualifié de "sursaut républicain" survient vingt-deux ans après la sortie d’un livre détonnant dans le monde carcéral, Surveiller et punir, de Michel Foucault. L’oeuvre dénonce "l’évidence de la prison", et avait réussi à infléchir la politique carcérale en mettant mal à l’aise par son argumentaire toute la classe politique. Un doute persistant amène à constater qu’entre 1975 et 1990, il n’y a eu quasiment aucune construction de prisons, allègement des peines ni idée de privilégier les peines alternatives. Une "mauvaise conscience" aujourd’hui bien lointaine, une période d’hésitations enterrée par la nomination d’un secrétaire d’Etat à la construction des prisons. La prison se pose plus que jamais en actualité, en s’imposant comme évidente. Chacun semble se résigner, ou accepter qu’il y ait des prisons, et de plus en plus. Dénoncer la saleté, la promiscuité comme l’a fait Véronique Vasseur, c’est évidemment très bien, mais comme nous le rappelle François Boullant, ce n’est que la remise en selle d’un vieux fantasme carcéral, celui d’une prison propre dans tous les sens du terme, évitant ainsi de remettre en cause l’existence de la prison elle-même. On a beau s’émouvoir du taux record de suicides dans les prisons françaises, pour autant on ne se suicide pas moins dans une prison neuve, bien au contraire : il est connu que l’encellulement individuel, une des caractéristiques des prisons neuves et aseptisées, a fait monter en flèche le taux de suicide. Isolement suicidogène, autre version de la sociabilité criminogène, "cercle carcéral" dont parle si bien Foucault, note l’auteur de Michel Foucault et les prisons. Enfin, avec une prolifération de la petite délinquance, on a disqualifié la valeur de la peine, le meilleur exemple étant la sécurité routière qui débouche aujourd’hui sur des peines de prison ferme. Folie des profondeurs, qui légitime une institution archaïque et inadaptée.


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7 réactions à cet article    


  • Gazi BORAT (---.---.164.192) 25 janvier 2007 13:10

    Le carcéralisme est une réponse efficace au problèmes créés par les inégalités sociales en permettant de se débarasser des « surnuméraires ».

    - Le phénomène n’est pas nouveau. Du XIX° siècle à la fin des années 40, la France exporta à Cayenne, véritable complexe concentrationnaire ses pauvres déviants et quelques politiques (principalement des anarchistes mais aussi Dreyfus). Les choix économiques libéraux ne feront qu’accentuer le phénomène dans les années à venir.

    - Si les pays « socialistes » enfermaient, eux, principalement des délinquants politiques, les Etats Unis enferment, eux, des délinquants que l’on pourrait qualifier d’« économiques » et ce, avec un taux d’incarcération supérieur aux premiers..

    - Sortira-t-on un jour du cercle infernal : inégalités, pauvreté, délinquance, incarcération ?

    Gazi BORAT


    • Petit 25 janvier 2007 14:13

      « Une question brûlante d’actualité, qui risque fort de s’inviter à la prochaine présidentielle et aux législatives. »

      L’auteur rêve.


      • * (---.---.227.161) 25 janvier 2007 23:37

        J’aime beaucoup cet article qui pour moi rejoint l’idée de toujours privilégier l’éducation à la répression.

        Peut-être faudrait il plus responsabiliser les délinquants en leur faisant réparer le mal qu’ils auraient pu faire, (je ne parle que de petits délinquants).

        Par exemple faire réparer les dégradations à ceux qui dégradent, faire payer à ceux qui cautionnent les malhonnêtes à hauteur du préjudice qui a été subit par la société ...etc...

        Par contre que faire des assassins, sinon les mettre en prison ?


        • aquad69 (---.---.100.34) 26 janvier 2007 12:04

          Bonjour Bourricot,

          merci de votre article, excellent.

          Je me permet d’attirer votre attention sur le livre « Vies perdues », de Zygmunt Bauman, aux Ed Paillot.

          C’est une réflexion sur le phénomène des réfugiés et des populations qui se retrouvent apatrides, expliquée sous le jour de la production de rebuts.

          De même que les objets que nous utilisons deviennent à plus ou moins court terme des rebuts, le système actuel produit des « rebuts humain »,inemployables,qu’il « convient » de classer, de « ranger », pour qu’ils ne viennent pas envahir les espaces de vies « normaux ».

          Parlant des prisons dans nos pays,l’auteur explique que de plus en plus, les « délinquants » ne sont plus considérés comme des concitoyens en difficulté qu’il conviendrait d’aider à se réinsérer(même en les encadrant par un système de sanctions),mais comme une population à part entière, un peu « étrangère », rebut de la société qu’il faut aussi « ranger », en quelque sorte, à l’écart de l’espace normal.

          Vue sous cet angle, la prison n’est plus un passage temporaire, sanctionnant une faute que l’on pourrait purger, mais bel et bien le destin de toute cette catégorie de population anonyme que l’on nomme les « délinquants » ; et quand on en sort, on aurait forcément vocation à y retourner à plus ou moins brève échéance.

          Celà correspond au système américain, où vous avez une proportion ahurissante de gens incarcérés, et, derrière des discours hypocrites,nous nous dirigeons rapidement vers cette conception des choses.

          Quand on entend le discours d’un Mr Sarkozy sur les « délinquants », on comprend qu’ils sont devenus avant tout une population à gérer...

          Cordialement Thierry


          • cdg (---.---.169.151) 26 janvier 2007 12:21

            et surtout la prison permet de mettre hors circuit quelqu un qui est dangereux pour la societe. (exemple extreme un pedophile, mais ca s applique aussi au voleur de mob)

            L ideal c est qu a la sortie il ne soit plus dangereux mais c est sur que c est pas garantit

            La prison n est dans tout les cas pas la meilleure solution, d ou l interet de peine alternative (reparation du prejudice, bracelet electronique, ou pour mon exemple de pedophile une bonne castration ! (ca va faire hurler les droit de l hommiste mais je vois pas de meilleure solution)


            • Dragoncat Dragoncat 1er février 2007 11:19

              @ Bourricot

              Félicitations, vu la qualité de votre article, il convient de se demander si votre pseudonyme est bien choisi.

              Plusieurs points appellent au débat...

              Sur l’aspect criminogène des prisons, la preuve n’est plus à faire que plus le régime carcéral est dure ou inhumain, plus on peut être sûr que le détenu ressortira plus dur lui aussi, et passera dans le crime à l’échelon supérieur. La prison est censé mettre la société à l’abri de délinquants, par les enfoncer dans leur situation.

              Par contre je ne vous rejoins pas du tout sur votre remarque sur les peines de prison ferme pour les délinquants de la route - notamment pour ce qui concerne les faits les plus graves. Les dernières années ont vu plusieurs faits divers particulièrement choquants d’irresponsabilité où la prison ne semblaient pas inadéquates. Quand un conducteur roule sous l’emprise de l’alcool, en excès de vitesse et tue un tiers (ou plusieurs), une peine de prison ne me choque pas. Il faut quand même prendre ses responsabilités en même temps que le volant.

              Pour finir, peut-être serait-il temps d’envisager des peines alternatives. Les Etats-Unis ont fait des expériences intéressantes en la matière. Les camps de « rééducation » à autorité et ambiance militaire dure, où les journées se passent entre exercices physiques et rencontres avec des psychologues, ont fait leurs preuves. Basé sur le volontariat, ils offrent aux prisonniers une alternative plus dure, mais permettant de réduire considérablement leur peine. Au final, ceux qui sortent de ce régime présentent un taux de récidive beaucoup plus bas que ceux qui ont fait leur temps dans un régime classique - moins de 30% de récidive contre plus de 90% (les chiffes exacts sont à vérifier mais l’idée générale est là - si qq’un peut mettre la main dessus, ce serait avec plaisir).

              Je sais que ce type de mesure provoquent en France les hurlements de l’intellegensia, criant au fascisme. Mais la réalité prouve que c’est une approche plus constructive - et qui favorise une véritable réinsertion.


              • Dragoncat Dragoncat 1er février 2007 11:19

                Et il est dommage que votre article n’intéresse pas plus les lecteurs d’Agoravox... smiley

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