Prison : l’évidence qui tourne au fantasme
Le carcéralisme est un fait de société qui pose question jusqu’à pointer du doigt le choix de société opéré par les politiques. Une question brûlante d’actualité, qui risque fort de s’inviter à la prochaine présidentielle et aux législatives.
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L244xH180/prison-2-16172.jpg)
Le premier constat à opérer avant toute analyse est que l’utilisation de l’emprisonnement en tant que sanction pénale est relativement récente. En effet, la privation de liberté est venue remplacer les châtiments corporels seulement depuis la réforme pénale provoquée par la Révolution française. Son objectif assigné a cependant bien évolué depuis. Elle a toujours visé, avec certainement une part non avouée d’intimidation collective, l’amendement du condamné, cette dernière notion ayant évolué au fil du temps. Alors qu’au départ il s’agissait avant tout d’accéder, par la rééducation morale, au repentir du condamné, la prison s’est vu au fur et à mesure octroyer une mission de réinsertion, une réorientation de sa finalité qui a été tout d’abord l’oeuvre de l’initiative de l’administration pénitentiaire. Un lent cheminement de prise de conscience d’une nécessité d’humaniser les prisons. Et surtout parce que l’on s’est vite aperçu que le régime le plus dur ne contribuait pas toujours à améliorer les détenus et que beaucoup d’entre eux quittaient la prison bien plus endurcis et enracinés dans la délinquance qu’ils ne l’étaient en entrant. Ainsi, comme le décrit Robert Schmelck dans sa contribution sur le traitement pénitentiaire, un effort important a été entrepris pour construire de nouvelles prisons, rénover les anciennes, améliorer les conditions de vie des détenus, assouplir la discipline, abolir la loi du silence et rendre le détenu socialement utile en organisant un travail tout en veillant à le rendre moins pénible. Une vision de l’action pénale poursuivie par tous les pays industrialisés et reconnue au plus haut niveau avec des traités internationaux (Genève, 1955), constitution et lois. Il est unanimement reconnu que la protection de la société contre le crime ne sera un but que pleinement atteint que si la période de privation de liberté est mise à profit pour que le délinquant soit en mesure une fois libéré d’être en désir et capacité de vivre en respectant les lois et de subvenir à ses besoins.
Seulement, le combat pour l’humanisation des prisons a été ardu, long et confronté à des idées reçues. La toute première étant la systématisation de l’argument sécuritaire pour contrer toute évolution de la prison. Plus qu’un frein, ce "catéchisme de la sécurité" peut entraîner les plus graves conséquences et avoir même l’effet inverse de celui recherché. Le refus de l’évolution des prisons est contre-productif. Jean Favard nous l’explique très bien avec l’exemple de la presse longtemps interdite car considérée comme un risque de trouble dans les prisons. Finalement autorisée à l’été 1971 mais avec un pouvoir de censure donné au chef d’établissement, censure qui n’eut que pour conséquence d’enflammer les imaginations. Les évènements de Toul montreront que l’absence ou la sélection de l’information ne peut aboutir qu’à rumeurs plus dangereuses les unes que les autres. L’humanisation des prisons n’est pas un facteur d’insécurité comme on l’a finalement constaté avec l’introduction des radios et télévisions accordée après les grandes mutineries de 1971-1974 (que l’on ne pouvait donc lui imputer). En adaptant ou en réorganisant les dispositifs, l’humanisation des prisons peut tout à fait aller de pair avec la sécurité. Il est désormais communément acquis que l’opposition faite entre ces deux exigences est totalement obsolète. Ainsi, le dernier grand réaménagement qui a été celui de la généralisation des parloirs sans séparation, vu comme une catastrophe par les nombreux récalcitrants, a donné une nouvelle forme de liberté pour les détenus et a changé le climat tendu au bénéfice des surveillants. L’humanisation, une vertu nécessaire, peut se concilier avec la sécurité sans tomber dans une logique d’intolérance et de répression longtemps la cause d’un traitement carcéral inhumain des détenus.
Au mois de novembre dernier, un manifeste élaboré à partir d’un questionnaire adressé aux détenus a été transmis aux candidats de la présidentielle. Un texte appelant une "profonde réforme du régime des prisons" s’appuyant sur une loi consacrant le droit des personnes incarcérées, un appel lancé et relayé par plusieurs organisations préoccupées à juste titre par la situation carcérale. Les résultats de l’enquête, d’une envergure sans précédent, initiée par l’Observatoire international des prisons, poussent à la réflexion, ce que n’ont pas manqué de faire les Etats généraux de la condition pénitentiaire qui exigent une loi qui par ailleurs rende essentiels l’anticipation, la préparation et l’accompagnement du détenu lors de sa libération. Une réforme espérée au plus tard à l’automne 2007 devrait améliorer prioritairement les conditions de détention, un meilleur accès à l’hygiène et aux soins et une préservation renforcée des liens familiaux.
Un débat qualifié de "sursaut républicain" survient vingt-deux ans après la sortie d’un livre détonnant dans le monde carcéral, Surveiller et punir, de Michel Foucault. L’oeuvre dénonce "l’évidence de la prison", et avait réussi à infléchir la politique carcérale en mettant mal à l’aise par son argumentaire toute la classe politique. Un doute persistant amène à constater qu’entre 1975 et 1990, il n’y a eu quasiment aucune construction de prisons, allègement des peines ni idée de privilégier les peines alternatives. Une "mauvaise conscience" aujourd’hui bien lointaine, une période d’hésitations enterrée par la nomination d’un secrétaire d’Etat à la construction des prisons. La prison se pose plus que jamais en actualité, en s’imposant comme évidente. Chacun semble se résigner, ou accepter qu’il y ait des prisons, et de plus en plus. Dénoncer la saleté, la promiscuité comme l’a fait Véronique Vasseur, c’est évidemment très bien, mais comme nous le rappelle François Boullant, ce n’est que la remise en selle d’un vieux fantasme carcéral, celui d’une prison propre dans tous les sens du terme, évitant ainsi de remettre en cause l’existence de la prison elle-même. On a beau s’émouvoir du taux record de suicides dans les prisons françaises, pour autant on ne se suicide pas moins dans une prison neuve, bien au contraire : il est connu que l’encellulement individuel, une des caractéristiques des prisons neuves et aseptisées, a fait monter en flèche le taux de suicide. Isolement suicidogène, autre version de la sociabilité criminogène, "cercle carcéral" dont parle si bien Foucault, note l’auteur de Michel Foucault et les prisons. Enfin, avec une prolifération de la petite délinquance, on a disqualifié la valeur de la peine, le meilleur exemple étant la sécurité routière qui débouche aujourd’hui sur des peines de prison ferme. Folie des profondeurs, qui légitime une institution archaïque et inadaptée.
7 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON