Quelques propositions pour sortir de la crise des cités
Moi qui ai grandi dans l’un de ces quartiers qui brûlent aujourd’hui, je vois ces événements d’un très mauvais oeil. Les journaux étrangers parlent de guerre civile, et je suis convaincu qu’elle n’est pas si loin. Voici juste un regard de citoyen qui connaît les deux faces du miroir français.
Il est temps de réfléchir à la manière de relever le défi que nous posent ces émeutes avant que le pays ne sombre dans la guerre civile, ou que les cités ne deviennent un énième front pour le Djihad. Il est temps de laisser tomber nos a priori sur ces quartiers, ces jeunes et ces problèmes. D’abord, cherchons à comprendre le mode de fonctionnement de ces quartiers.
Il est vital de réaliser que ces jeunes n’ont pas le même système de penser que les habitants d’autres quartiers de France. Le drame d’ Epinay éclaire un peu mieux ce système. Si cet homme a été sauvagement agressé, il ne s’agit pas d’une simple histoire de vol d’appareil photo, comme je l’ai trop entendu. Cet homme est mort parce qu’il prenait des photos du quartier. De leur quartier ! Cet homme rentrait dans leurs vies par effraction. Cela peut vous paraître complètement irrationnel, mais c’est pourtant la vérité. (C’est d’ailleurs tout autant irrationnel que la fuite de Banou et Ziad prêts à mourir plutôt que de tomber entre les mains de la police !) Comment en est-on arrivé là ?
D’abord, l’exclusion. Depuis des années, ces jeunes sont de nulle part ! Dès qu’il mettent un pied en dehors de leurs quartiers, tout leur rappelle qu’ici, ce n’est pas chez eux. Contrôles de police à répétition, discrimination à l’embauche, à l’entrée des boîtes de nuit, au logement, et parfois même à l’entrée des supermarchés ! Au mieux, ils seront suivis à la trace par deux vigiles tout au long de leur présence dans le magasin. Bref, ils sont indésirables parce que considérés comme nuisibles. La France n’est donc pas leur pays. “Qu’on les renvoie chez eux !” hurlent déjà au loin les extrémistes ! Si seulement c’était si simple ! Sachez que beaucoup de parents de la première génération ne rêvent que de ça ! On ne compte plus le nombre de mariages forcés. Et les interminables litanies des parents pour convaincre leurs enfants de s’installer au “bled”. C’est aussi le rêve de beaucoup de jeunes qui se voient, fortune faite, s’installer au pays. Sauf que le pays, le bled, ce n’est pas chez eux non plus ! Quand, tous les étés, ils retournent dans leurs pays d’origine, on les accueille à bras ouverts, eux et les cadeaux qu’ils rapportent. Mais la rancœur n’est jamais loin. “De quoi peuvent-ils se plaindre ceux-là ! Il sont Français ! C’est la belle vie ! Pas comme ici, où on a connu soit le terrorisme islamiste, soit la misère au quotidien des faubourg de Rabat ou de Tunis !” Voilà ce qui se dit dans leurs pays d’”origine” ! Ils ne peuvent donc pas non plus se sentir de là-bas ! Alors d’où sont-ils ? De leurs quartiers. Leur univers, leurs horizons, leur avenir, c’est le quartier.
Un rappeur français du nom de Passi résumait cette situation en une phrase : “ Nous sommes des satellites sans orbites” . Et il arrive que certains de ces satellites s’écrasent au sol, à Epinay, un après midi d’automne. Et puis, il y a eu une fracture dramatique ces dernières années. Retour en arrière : 12 juillet 1998, 1,5 millions de personnes sur les Champs-Élysées (dont beaucoup étaient issues de ces banlieues) fêtant la victoire de la France Black, Blanc, Beur ! On pouvait même lire “Zidane président” au fronton de l’Arc de triomphe ! Le grand soir pour tous ces jeunes ! Ils étaient enfin reconnus, félicités et désirés ! Ils se sentaient Français ! Ces jeunes, qui avaient une petite vingtaine d’années à l’époque, ont pour beaucoup décidé de jouer le jeu des études, puisqu’ils se sentaient accueillis fraternellement par la France ! Mais le rêve est vite retombé ! “Zidane président” n’était qu’un énorme coup de pub d’un équipementier et la France Black, Blanc, Beur, qu’une nouvelle envolée lyrique des élites politiques et médiatiques ! Du vent ! Il n’y avait rien ! Pire, on leur avait menti. La preuve tomba nette, froide, précise !
21 avril 2002, Jean-Marie Le Pen au deuxième tour. Et les jeunes diplômés chômeurs de banlieues de devenir aux yeux des plus jeunes (ceux qui cassent aujourd’hui) le symbole de ceux qui se sont faits rouler dans la farine ! “La France ne veut pas nous laisser rentrer ! C’est pas grave, on fera le tour et on passera par la fenêtre !” se sont-ils jurés. C’est ce qu’ils pensent être en train de faire depuis dix jours. Le constat fait, comment peut-on sortir de cette situation ?
A court terme, je pense que la seule solution pour ramener le calme rapidement est la démission de Sarkozy. Mais obtenir la démission d’un ministre encore soutenu par 57% des français de cette manière-là, c’est encore creuser le fossé entre la France et ses banlieues. L’idéal serait qu’un mouvement social “conventionnel” puisse naître de cette colère et de cette détermination jusqu’ici incontrôlées. On peut également tenter de faire des propositions, plus ou moins acceptables pour les deux “camps” en gestation dans cette France de 2005. En voici trois, extraites d’une liste évidemment non exhaustive.
- INSTAURATION D’UN NOUVEAU SERVICE NATIONAL. Le service militaire était sans conteste un creuset où se formait la citoyenneté française. Il permettait de donner des règles de base à beaucoup de jeunes déstructurés, et était parfois la première véritable rencontre avec l’ordre et l’autorité. Bien sûr, les besoins de l’armée sont plus restreints aujourd’hui, mais il manque tellement de bras en France dans le domaine social. On pourrait créer un service civique obligatoire pour tout jeune (fille ou garçon) ne pouvant justifier d’un certificat de scolarité ou de travail à sa majorité. Outre la découverte de la citoyenneté, de l’ordre et de l’autorité, on pourrait espérer que cette mesure ferait naître des vocations, et permettre de former des jeunes sortis beaucoup trop tôt de l’école. Il permettrait de faire en sorte que se côtoient des jeunes qui n’auraient pas eu l’occasion de se connaître et que s’instaure du respect, voire de l’amitié entre les “deux France” tout en redorant le blason de ces jeunes de cité qui auraient l’occasion de se rendre utile à la collectivité.
- DISCRIMINATION POSITIVE GÉOGRAPHIQUE. Ces jeunes fonctionnent énormément au symbole. Déclarer que les habitants des banlieues doivent être prioritaires pourrait ramener l’espoir d’être un jour un citoyen “normal”. Mais cette discrimination positive ne doit surtout pas être ethnique, car elle pourrait nourrir des rancœurs chez de trop nombreux Français Cette discrimination positive doit intervenir tout au long du parcours de ces jeunes.
* Il faut créer des crèches ouvertes plus longtemps qu’ailleurs, pour que les plus jeunes soient sous l’autorité d’adultes 24h/24. Les frères et sœurs ont déjà bien assez à faire en s’occupant de leur propre vie.
* Il faut changer la manière dont l’éducation nationale gèrent ses effectifs. Les meilleurs profs ne doivent plus être nommés dans les grands lycées parisiens. La banlieue a besoin du meilleur des forces de la République. Et ceci est valable pour tous les services d’État (notamment la police)
* Il faut remettre en cause le système des zones franches. Les entreprises ne doivent plus s’implanter en banlieue seulement pour rafler les exonérations de charges. Pour y prétendre, il faudrait qu’elles embauchent au moins 50% de leurs effectifs dans les quartiers alentours.
* Il faut créer des bourses spécifiques pour l’accès de ces jeunes aux grandes écoles, ainsi que des filières d’intégration différentes adaptées à ces jeunes (sur le modèle de science po)
- LÉGALISATION ENCADRÉE DE LA VENTE DE CANNABIS. Même si j’ai conscience de toucher là à un tabou énorme de la société française, il est temps que l’on prenne la réalité en compte. Tout le monde s’accorde à dire que l’économie souterraine ravage ces quartiers. Mais sous le terme d’économie souterraine, se cache principalement le marché du cannabis. Et comme tout marché, il repose sur l’offre mais également, et on a trop souvent tendance à l’oublier, sur la demande. Et les chiffres sont clairs. 5 à 6 millions de Français consomment occasionnellement ou régulièrement du cannabis, soit 10% des Français.
Évidemment, on retrouve ces consommateurs à tous les niveaux de l’échelle sociale et dans toutes les sphères de la société. Les “dealers” ne font que répondre à une demande de plus en plus forte. Si on laissait de côté nos a priori sur le produit en lui-même, on verrait tout le bénéfice que l’on peut tirer de la légalisation. D’abord, elle aurait pour effet de couper les ressources des “caïds”. Ensuite, on inciterait les petits dealers à officialiser leurs commerces, on les intégrerait dans l’économie traditionnelle ! Il suffirait qu’ils aillent s’inscrire au registre du commerce, comme tout commerçant. Ils paieraient alors taxes et impôts comme tout le monde, et devraient assumer les responsabilités de tout chef d’entreprise.
Ce qui intéresse ces jeunes, ce n’est pas d’être marginaux, c’est de s’en sortir ! Donnons-leur les moyens d’y parvenir. Enfin, laisser la vente du cannabis dans les cités (et pas chez les pharmaciens ou les buralistes) permettrait de faire rentrer de l’argent frais dans des quartiers qui en manquent cruellement. Évidemment, la vente doit être sévèrement encadrée. Interdiction au mineur, interdiction au volant, interdiction dans les lieux publics (clos ou ouvert), interdiction de publicité, etc. L’idée n’est pas d’ouvrir des supermarchés du “shit”, mais que la vente, qui se fait depuis des années aux yeux de tous, se fasse de manière claire, contrôlée, et qu’elle puisse apporter un nouveau dynamisme économique aux banlieues.
En bref, soyons pragmatiques ! Il y a évidemment tellement d’autres choses à faire, mais ces trois propositions pourraient être, à coup sûr, une base solide pour rétablir le dialogue entre deux France qui jusqu’ici s’ignoraient, et qui sont en passe de se haïr.
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