Relance de la consommation des particuliers par l’endettement ?
53 % d’électeurs ont voté pour N. Sarkozy. Il est un des présidents les mieux élus de la Ve République. Sa légitimité est incontestable. Faut-il considérer que sa politique est désirée et comprise par tous ceux qui ont voté pour lui ? On peut en douter, en particulier lorsque la réalité des mesures pointe son nez derrière l’artifice des discours.
Dans l’idéologie néolibérale, la croissance ne repose pas fondamentalement sur l’investissement de l’Etat, mais sur la consommation des particuliers boostée par l’endettement. Pour N. Sarkozy et les libéraux français, les citoyens ne sont pas assez endettés : en vivant en crédit, à l’instar des consommateurs américains, le citoyen français peut consommer davantage et créer - à son détriment le plus souvent- de la croissance. C’est, selon nous, la raison principale de la volonté de permettre la déductibilité des intérêts d’emprunts immobiliers (couplée avec un crédit d’impôt pour ceux qui ne paient pas d’impôt ou pas "assez"). A première vue, cette mesure peut apparaitre comme bénéfique, en donnant plus de pouvoir d’achat aux ménages. La régle vise cependant en premier à soutenir le marché immobilier, dont on sait qu’il constitue un moteur essentiel de la croissance, l’exemple espagnol, reposant sur un mécanisme similaire, en constituant une parfaite illustration. Si la mesure connait le succès qu’on lui prête, elle aura pour effet de maintenir voire de relancer la "bulle immobilière" en voie d’essouflement et donc de participer au renchérissement des prix de l’immobilier. La conséquence paraît inévitable : le gain fiscal sera pour les plus modestes entièrement (ou presque) absorbé par l’augmentation des prix générée par cette seule mesure. La réforme sera en fait essentiellement profitable aux opérateurs du marché immobilier ainsi qu’à ceux dont le patrimoine immobilier est déjà constitué : les principales victimes seront sans doute les primo-accédants, ceux dont le besoin d’aide est le plus criant.. Il faut en effet s’arrêter un instant sur l’endettement : toute l’économie libérale est au fond une économie de la dette : cependant l’endettement n’a pas le même impact selon la situation sociale de l’emprunteur. Lorsque l’emprunt sert à financer des besoins essentiels, non fructifères, l’endettement constitue essentiellement une charge pour celui qui le supporte. L’emprunt peut en revanche constituer un facteur d’enrichissement du patrimoine pour celui qui l’utilise comme un levier financier. Exemple simple je dispose de 400 000 € et souhaite acquérir un immeuble de rapport de 400 000 € avec espérance de revenus fonciers de 15 000 €. Plutôt que d’acquérir le bien avec mes économies, je peux avoir intérêt à acheter le bien avec un prêt (in fine ou amortissable) calculé de façon à ce que les mensualités d’emprunt et l’assurance décès absorbent le montant des revenus fonciers (voire davantage si je veux créer du déficit foncier imputable sur mes autres revenus fonciers) et placer les 400 000 € sur un support placé en adossement du prêt. Support qui génère des revenus supérieurs au revenus fonciers et moins taxés. Lorsqu’une personne a la liberté et la capacité de choisir l’emprunt comme mode d’arbitrage entre les classes d’actifs du patrimoine, il devient un vecteur d’enrichissement et non une charge : or, le projet de l’UMP est de conduire à une société de propriétaires, sans tenir compte de l’intérêt économique qu’il peut y avoir pour les plus modestes à ne pas être propriétaires. Dans la logique profonde du programme et non dans l’affichage qui en est donné, le développement économique repose sur l’incitation à la constitution et à la valorisation du patrimoine et non sur l’accroissement des revenus directs et indirects. Cette idéologie transparaît de façon nette dans la volonté de diminuer les droits de succession et d’augmenter l’efficacité du bouclier fiscal. Contrairement au discours officiel, la première mesure n’a pas pour objet de protéger le fruit du labeur de toute une vie des griffes prédatrices du fisc. En effet, cette approche est doublement inexacte : 1) elle ne tient pas compte de l’état actuel de la législation - qui est déjà assez favorable ; 2) Elle ignore le mode de constitution des patrimoines et le niveau moyen de ceux-ci. Aujourd’hui, dans l’hypothèse d’une succession non préparée, existent plusieurs mesures limitant l’imposition. Il existe des abattements en fonction de l’identité de l’héritier (conjoint, enfants, frères ou soeurs, pacsés etc.). S’applique ensuite un abattement global de 50 000 €. Sachant que le patrimoine moyen du foyer français est de 172 000 € (source INSEE), on mesure à quel point l’essentiel des patrimoines ne sont pas taxés lors des successions. Prenons l’exemple d’un veuf dont le patrimoine net est de 250 000 € et qui laisse à sa succession deux enfants. Chacun des enfants à vocation à recevoir 125 000 €. En ligne descendante, s’applique un abattement de 50 000 €. L’assiette taxable n’est donc plus que de 75 000 €. S’applique ensuite l’abattement global de 50 000 € ventilé au prorata des droits, soit 25 000 € par enfant. L’assiette taxable n’est plus que de 50 000 €. La taxation est progressive (5, 10, 15 .%,) et conduit à une imposition autour de 2000 € (avec encore des déductions possibles et une paiement fractionné ou échelonné). Soit une pression fiscale de 2% pour une succession entièrement non préparée. Sachant qu’il est aujourd’hui très simple de préparer la succession pour en diminuer voire en supprimer les droits (par une donation par exemple en franchise de droits tous les six ans de 50 000 € aux enfants) dans une succession de moyenne importance, il apparaît évident que la mesure proposée par Sarkozy est essentiellement profitable aux riches. Elle s’inscrit dans une vision d’une société inégalitaire (puisque ces mesures ont pour effet d’accentuer les inégalités de conditions d’origine), car - et c’est la seconde inexactitude du fondement justifiant cette mesure - les patrimoines ne se constituent pas en priorité par l’accumulation des fruits du travail, mais essentiellement par la force reproductive du capital. Comment parler alors de société du mérite ? Il n’y a aucun mérite à faire fructifier son patrimoine lorsque celui-ci travaille pour vous... En limitant la taxation sur les successions, le nouveau gouvernement ne favorise pas le travail comme il le prétend, bien au contraire : puisque la mesure conduit à limiter l’impôt donc le mécanisme de redistribution essentiel de l’Etat qui seul permet de rehausser la valeur travail en augmentant par exemple son montant minimal (le Smic) ou les retraites (dont la surchage en terme de coût pour l’entreprise peut être compensée par quelques exonérations). Quant au bouclier fiscal enfin, qui organise un droit à restitution l’année postérieure au paiement de l’ISF lorsque la somme des impôts payés (IR, ISF, taxes liées à l’habitation principale) excède 60 % (bientôt 50 %), il n’a d’intérêt que pour les patrimoines de très grande importance ; compte tenu des régles déterminant son taux et son assiette.. Par exemple, un patrimoine éligible à l’ISF de 1 200 000 € (ce qui suppose un patrimoine d’une valeur supérieure, ne serait-ce par exemple qu’en raison de l’abattement de 20 % sur la résidence principale), l’impôt dû est de 2420 € (sans tenir compte des déductions et de la prise en compte des charges et en particulier des impôits...). On comprend fort bien que le retraité de l’île de Ré ne peut pas être le cœur de cible de la mesure..
Etrange société que celle qui met en avant l’idée de mérite, mais qui dans les faits légitime les inégalités de situation et de patrimoine. Le principe de liberté de choix des établissements scolaires, le principe de l’autonomie des universités (qui, en germe, conduit à une augmentation considérable des droits d’inscription pour les universités les plus prestigieuses) constituent également deux mesures allant exactement dans le même sens
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