Sans bruits, François Bayrou se replace pour 2012
L’évènement est passé relativement inaperçu des Français, faute de couverture médiatique. François Bayrou a été réélu à la tête du parti qu’il avait créé en 2007, le Mouvement Démocrate. Unique candidat, il a ainsi pu bénéficier du score peut-être un peu embarrassant de 94,69% des voix, démontrant une fois de plus que le MoDem, c’est lui. Pas de concurrence, plus de bisbilles internes, cette convention du MoDem n’avait sans doute pas grand-chose d’intéressant pour les médias, autrement plus intéressés à couvrir les autres évènements politiques du week-end : Europe-Écologie-Les Verts (sic !), et son colmatage d’urgence après le départ fracassant de son numéro 2, la convention du PS et les « je t’aime-moi non plus » du couple Aubry-Royal sur fond de DSK, le conseil national de l’UMP et ses déclarations d’unités pour soigner les états d’âme des centristes, sans compter les déclarations toujours très médiatiques de Le Pen fille…
Et pourtant…
Mars 2010. Le MoDem se fracasse lors des élections régionales. 4.2% des suffrages au premier tour en moyenne nationale, un désastre, après le résultat déjà médiocre des européennes de juin 2009 (8,7 %, 6 élus). En cause, une double erreur : une stratégie politique illisible, des divisions internes délétères.
Surfant sur le succès de son excellent ouvrage « Abus de Pouvoirs » et sur un anti-sarkozysme populaire, François Bayrou avait cru pouvoir profiter des divisions de la gauche pour occuper le créneau de premier opposant au pouvoir, tout en esquissant quelques pas de rapprochement avec les responsables modérés de la gauche, pour pallier à l’absence de politique d’alliance claire qui lui avait été reprochée lors de municipales de 2008. Las. Déboussolante pour son électorat modéré, cette stratégie s’est révélée être un piège mortel dès que les caciques du PS et des Verts eurent repris le dessus. Exit l’idée d’ouverture de Vincent Peillon au PS ou de Daniel Cohn-Bendit à Europe Écologie : la majorité des appareils des partis de gauche a toujours considéré les centristes comme infréquentables, et a brutalement refermé la porte au nez du président du MoDem, soudainement pris à découvert au milieu du gué. Devenue illisible pour son électorat, la stratégie politique du MoDem fit fuir l’essentiel de celui-ci vers l’abstention ou un vote Europe-Écologie justement présenté comme une alternative au PS et aux listes de la majorité présidentielle.
A cela s’était ajouté des combats internes démultipliés par l’action de nombreux militants internautes : faute d’avoir mis au point une procédure de sélection des candidats transparente et représentative de la majorité des militants dans la plupart des régions, le MoDem s’était soudainement retrouvé dans des bagarres internes interminables. Ceci acheva de brouiller toute crédibilité aux listes de ce parti lors des élections régionales, et provoqua une exode d’élus et de cadres dégoutés par un fonctionnement interne par trop amateur.
Mars 2010 donc, la majorité des observateurs enterre François Bayrou et son MoDem.
Après cet échec cuisant, François Bayrou réorganise son parti et les (rares) troupes qui lui restent dans une structure plus classique mais enfin plus fonctionnelle, avec la création d’un « shadow cabinet » composé de personnalités en majorité peu connues mais identifiables. Et il va, surtout, bénéficier à la fois de l‘incroyable série d’erreurs du Président de la République et de son gouvernement, et du retour de la guerre des chefs à gauche.
Été-automne 2010 : la droite s’embarque sur un positionnement sécuritaire à la suite du discours de Grenoble du Président de la République, alors que la France demeure touchée par une crise financière, économique et sociale sans précédent. L’affaire Woerth-Bétancourt éclate, le gouvernement passe en force sur les retraites, et le remaniement du gouvernement tourne à la farce. Humiliés, les centristes de la majorité se prennent à des rêves d’indépendance, mais sans franchir le Rubicon, tenus qu’ils sont par des années de soumission et surtout par les décisions d’investitures aux élections qui se profilent.
A gauche, la guerre des chefs a repris. L’ombre de DSK plane sur le PS, où chacun tente de se placer… Valls, Montebourg, Royal se déclarent, et Aubry perd l’autorité qu’elle avait eu tant de mal à gagner après sa nomination contestée à la tête du parti. Chez les écolos, les Verts ont repris, comme on pouvait s’y attendre, les rênes du pouvoir : en échange de la candidature d’Eva Joly pour 2012, ils verrouillent les instances du nouveau parti dans un positionnement de gauche exclusif, qui leur ôtera toute crédibilité auprès de l’électorat modéré.
François Bayrou se retrouve donc, une fois de plus, en position politique favorable, d’autant que ses éventuels rivaux au centre semblent incapables de s‘accorder entres-eux et de se démarquer de façon claire d’une UMP hégémonique.
Et pourtant…
L’intérêt de cette convention du MoDem était en réalité non pas politicien mais contenu dans l’esquisse du projet présidentiel énoncé par François Bayrou lors de son discours de clôture. Après avoir souligné la nécessité de rétablir les finances publiques (et dénoncé les illusions du projet du PS), et rejeté les discours de discrimination à propos de l’immigration, il a présenté un projet défini autour de trois axes forts : l’économie et l’emploi ; l’éducation ; l’Europe.
· Produire, de nouveau, en France. Tel est le premier mot d’ordre suggéré. Produire non seulement les biens industriels mais aussi services, biens culturels, innovations. Pour François Bayrou, il s’agit d’une priorité afin de recréer de l’emploi. Et comme l’Allemagne, la France doit s’interroger sur la nature de ses productions, afin de privilégier des produits et services à plus forte valeur ajoutée. Pour ce faire, François Bayrou préconise une refonte du système d’aide aux entreprises en faveur de l’investissement industriel et auprès des PME, et un rôle accru de l’Europe pour faire respecter des normes, notamment environnementales, sur les produits importés.
· Une éducation d’excellence. Les résultats désastreux de la France indiqués par la dernière étude PISA de l’OCDE doivent sonner l’alarme. Notre pays est en recul depuis 10 ans dans tous les domaines, et particulièrement en ce qui concerne le creusement des inégalités, les élèves venant des couches sociales défavorisées obtenant des résultats dramatiques. François Bayrou fixe la priorité sur les fondamentaux : 100% des élèves doivent savoir lire au niveau CP-CE. S’il faut un plan Marshall, c’est ici, car il s’agit de l’élément clé de l’intégration dans la société, et les outils pédagogiques de succès existent, il faut les diffuser, en concentrant les moyens sur cette phase précoce. A cela, François Bayrou ajoute deux éléments : inciter les élèves à la création, en généralisant le système de « La main à la pâte » non seulement aux sciences, mais aussi à la culture et au sport, et réorienter nos formations universitaires afin de compléter les troncs communs généralistes par des formations professionnalisantes permettant une réelle intégration dans le monde du travail.
· Restaurer une vision et une solidarité européenne. La solidité d’un ensemble est égale à celui de son maillon le plus faible. Nous avons un devoir de solidarité envers les pays européens les plus menacés, et l’Europe doit de nouveau bâtir une vision commune à long terme plutôt que de favoriser les replis nationalistes égoïstes. La défense de l’euro est indispensable afin de limiter des accroissements de taux d’intérêts qui feraient exploser la dette des États, et la notre, en cas d’abandon. Rien que pour la France, la charge de la dette est de 45 milliards d’euros par an à un taux de 3%. Au taux accordé à l’Irlande, cette charge approcherait les 100 milliards annuels ! La crise économique ayant nécessité d’emprunter pour favoriser la relance, toute idée d’abandon de l’euro est simplement aberrant. Et la Banque Centrale Européenne doit pouvoir prêter aux États afin de diminuer les charges de la dette aux pays les plus exposés, quitte à ce que l’Europe puisse imposer parallèlement des mesures de bonne gestion des finances publiques.
En avançant ces thématiques prioritaires, alors que ses principaux concurrents en sont restés aux querelles de personnes et d’appareils, François Bayrou a pris un temps d’avance. Mais le chemin est encore long d’ici 2012. Si sa stature d’homme d’État et sa légitimité ne sont guères contestées chez les électeurs, comme en témoignent des sondages plutôt favorables malgré la faible notoriété de son parti, il lui manque encore plusieurs éléments clés pour cette future campagne. Et en premier lieu, des alliés. Le malaise au centre-droit est susceptible de lui rapporter les cadres et élus qui lui manquent, surtout si les Borloo et Morin ne parviennent pas à se dépêtrer des griffes de leurs alliés, mais il en faudra plus pour Bayrou séduise à nouveau des centristes échaudés par les échecs précédents. Pour que la mayonnaise prenne de nouveau, il faudra que François Bayrou soit en mesure de leur offrir ce dont ils rêvent tous : à défaut d’une victoire présidentielle, quand même très hypothétique, une place d’allié de poids dans une future majorité, c'est-à-dire d’allié pouvant réellement influer sur la politique d’un futur gouvernement, contrairement aux centristes de l’actuelle majorité. Et pour cela il n’existe qu’une seule solution : obtenir suffisamment d’élus, et donc d’investitures, pour avoir une minorité de blocage dans la future assemblée. L’influence, et donc l’indépendance du centre est à ce prix, et elle sera bien difficile à négocier avec de futurs partenaires.
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