Trois France sur un Volcan Identitaire
Quelle est donc cette France qu’on place dans tout discours ou débat sur le communautarisme, l’assimilation, l’immigration, le mouvement identitaire ou le souverainisme ? Pour De Gaulle, elle était éternelle[1] lors qu’en son temps, beaucoup encore la tenaient pour Fille aînée de l’Eglise. A l’école laïque et républicaine, la France est terre des Lumières, porte-étendard de la Révolution, la Nation, multiculturelle, pays sans race ni peuple, à l’identité en perpétuel devenir. Qu’en est-il alors du sang dont s’estiment porteurs tous ces Français qui se disent « de souche » ?
Que dire enfin des immigrés ou fils d’immigrés, Français en vertu du sol qui les a vus naître et grandir ? Affaire de loi, donc de souveraineté populaire, pas de discussion…et pourtant, comment l’ignorer, parmi ces Français « de loi », surtout les plus jeunes, ils sont légion pour désigner le Coran comme repère premier et la Charia comme authentique cadre juridique. Alors que sous nos pieds gronde un volcan identitaire, ce pourrait-il qu’existent plusieurs France ?
[1] Notamment à son discours du 26 août 1944 : « Paris occupé, ... »
L’incessante menace terroriste a ravivé d’anciennes réflexions, débats ou références sur ce qu’est une nation, une patrie, un état. L’on s’est mis à disserter sur nos origines, notre ou nos identités, sur le devoir patriotique, la conscience nationale, autant de termes qu’on croyait à tout jamais sommeiller en lettres de craie sur les tableaux d’école du temps jadis. Et ces cogitations d’embrasser les difficultés inhérentes à la présence d’une communauté de quelques dix millions d’arabo-musulmans, binationaux pour une grande part.
Intégration inaccomplie ? Refus d’intégration ? Peur attisée par une propagande mal inspirée ? Le fait est qu’en dépit des principes inscrits dans la Constitution, l’on ne peut plus affirmer que les soixante-sept millions d’habitants du pays forment une population homogène, portée par un même sentiment d’appartenance, partageant le même système de valeurs.
Alors France, qui est-tu ?
De multiples grilles de lecture dessinent un écheveau de pistes d’analyse de la réalité socio-politique, de quoi dérouter l’observateur. Y voir plus clair est toutefois possible, à condition d’admettre, à titre d’hypothèse, l’existence de deux lignes de fracture.
La 1ère ligne de fracture, visible à l’œil nu, distingue une forte présence arabo-musulmane[1] qui se démarque, par la chair et la culture, des Français de souche européenne. Homogène au plan ethnique et au plan religieux, globalement non intégré, ce groupe d’habitants a de la France, une vision qui lui est propre : leur France, nouvel espace de la Oumma, celle de demain ?
La 2ème ligne de fracture concerne presqu’exclusivement le groupe européen qu’elle divise selon deux conceptions, deux sentiments de ce qu’est la France :
- celle officielle, en quelque sorte, inscrite dans le marbre institutionnel depuis la Révolution ;
- celle réelle, charnelle, perçue instinctivement et défendue par une mouvance populiste renaissante, héritière du courant contre-révolutionnaire ou tout simplement de l’ancienne France.
Sous couvert d’une même appellation, trois France seraient en concurrence. Procédant d’univers différents et hostiles, elles s’éliminent l’une l’autre, toute idée de synthèse ne pouvant qu’être fâcheuse illusion, car d’un tel clivage il est à craindre une situation ingérable, aboutissant à des troubles majeures et un changement radical des institutions.
Dans le cadre de cet article, nous nous intéressons aux deux premières France :
- l’officielle
- celle du peuple « périphérique »
Un 2 eme article abordera
- la France arabo-musulmane
- les perspectives de ces clivages identitaires
1.Officielle, la première France relève de l’univers des idées
Officielle est la France en quoi s’identifie l’Etat. Dans son discours annonçant qu’il renonçait à briguer un deuxième mandat, le président Hollande a déclaré : « Quand il n’y a plus l’Etat, il n’y a plus la France. »
Ces mots, replacés dans le contexte de Louis XIV et son « L’Etat c’est moi », pourraient donner : « Quand il n’y a plus l’Etat, il n’y a plus Louis, plus le roi. »
Eh bien non, cela ne marche pas, car Etat ou pas, Louis est, le roi est. Publique est son existence, de la naissance à la mort. On peut le voir chasser en forêt ou juger sous un arbre. Il manie le sabre, il saigne, il boit, il mange.
Rien de cela pour la France-Etat. L’a-t-on jamais croisée dans la rue ? Être idéel, construction de l’esprit, elle s’oppose au réel, à l’incarné, nous y reviendrons.
La France officielle a ce caractère essentiel d’être intriquée à l’Etat républicain.
A celui-ci, les Lumières ont offert ses fondements théoriques quand son émergence et sa légitimité sont legs de la Révolution. Une conception radicalement nouvelle du pouvoir est née à cette époque, celle d’un gouvernement centraliste qui existe de soi en vertu de principes affirmés comme vérités et non plus de réalités soumises à l’expérience et à une croyance commune.
Pour que survienne 1789, la vague de fond de la modernité aura parcouru des siècles[2]. Il demeure que la rupture avec la tradition royale fut un séisme. D’un pouvoir émanant d’une famille, elle-même issue d’un antique système tribal, donc quelque chose d’humain, de tangible, l’on est passé au pouvoir résultant d’une abstraction.
Le royaume de France, mieux défini en son appellation première de royaume des Francs, devenait la Nation, historiquement française mais destinée à s’étendre au monde tout entier. France, avant-garde de la Nation universelle, porteuse de l’idéal républicain, vecteur de l’émancipation de l’homme.
En ce temps où la montée du populisme ravive la combativité républicaine, il n’est pas rare d’entendre qu’au patriotisme, amour du pays, s’oppose le nationalisme, haine de l’étranger. La patrie serait donc le mot positif et la nation le mot négatif.
Pourtant, à considérer les conceptions que ces mots sous-tendent, c’est plutôt l’inverse qui est de mise : la patrie, terre des pères, s’accorde au sang d’un peuple ; la nation, lieu où l’on née, est stricto sensu un territoire régi par un pouvoir avec son corpus de lois. C’est du moins le choix terminologique que firent les révolutionnaires. « Vive la Nation », « La Nation en danger », « Place de la Nation » etc. Si le mot patrie n’a pas disparu, dans l’usage et la symbolique, notamment militaire, « Gloire et Patrie », « Enfants de la Patrie », nation est l’appellation officielle. L’on parle de nation française et non de patrie française.
Objet de culte pour les révolutionnaires et leurs successeurs, la Nation est mère d’une race nouvelle de citoyens, formés, modelés à l’école républicaine, libérés des préjugés anciens, des superstitions instillées par l’Eglise, transmises par les familles.
Fer de lance de la Nation universelle selon l’idéologie révolutionnaire, la France n’en demeure pas moins un territoire où vivent des habitants. Ce sont ces habitants, le peuple tel qu’il était, à qui les nouveaux gouvernants ont été confrontés. L’intimidation, la contrainte, la force, la terreur, autant de leviers négatifs ont été mis en œuvre.
Mais il fallait également rassurer, convaincre, mobiliser, d’où le recours à des ressorts positifs. C’est ainsi que la République a repris à son compte les sentiments instinctifs et traditionnels, l’amour de la patrie, donc des pères, la vénération des sacrifiés au champ d’honneur[3].
Fierté des victoires, fierté des terres conquises et fierté de leur valorisation, tout cela a construit, au fil d’un siècle de guerres fratricides, un sentiment national perçu comme indissociable de la République et de son drapeau tricolore, symbole qui jouera un rôle au moment où le pays a failli redevenir un royaume.
Cette phase arriva à son pinacle à la Grande Guerre, le sentiment national se diffusant alors dans tous les points du territoire par l’intermédiaire des conscrits.
Et puis, au fil du temps, cependant que déclinait la suprématie européenne, l’idéologie républicaine a muri.
Certes au plan socio-économique, elle ne s’est pas écartée de ce qu’il faut bien appeler l’utopie libérale[4]. En revanche, elle a modifié sa vision du monde, au sens du rapport entre les peuples, entre le peuple français, les peuples européens et les peuples « de couleur ».
Il ne fut plus question de ce qu’enseignait Ferry avec ardeur : les races supérieures se devaient d’éclairer les races inférieures, les intégrer à la Nation républicaine pour les conduire à l’émancipation. Cela a fini par choquer au point de qualifier la colonisation de crime contre l’humanité. Il conviendrait alors de s’interroger sur l’idéologie républicaine qui en est à l’origine…
L’idéal cosmopolite postcolonial
A partir de 1945, l’idéal universel s’est purifié de toute considération raciale.
Ainsi est-il dit, en chaque occasion, article, essai, discours etc. que la notion de race ou d’ethnie est une chimère, qu’il n’existe pas de race française et que ni les Gaulois ni les Francs ne sont nos ancêtres. Toute revendication identitaire est dès lors infondée.
Tous issus de métissages, nous devrions ne pas craindre la multiculturalité : elle est notre passé, notre présent, notre futur.
La peur de l’autre procède de préjugés, comme jadis l’était la foi chrétienne. Mobilisée sur le combat anticlérical à ses origines - « crèv’ l’inf »[5] - la République a élargi sa zone de front à l’encontre du fléau raciste qu’il convient de dénicher derrière mots ou discours en apparence anodins, comme « Blanc » ou « Français de souche ».
L’histoire s’est trouvée ainsi réécrite, sans trop de précision, sans référence à des travaux ou des sources fiables, mais qu’importe. Les Gaulois, c’est un très lointain passé. Depuis, invasions et migrations incessantes n’ont laissé de diluer le sang celte des tribus gauloises, de sorte que l’identité n’est que linguistique et éthico-politique. Les Français parlent ou doivent parler français. Les Français partagent ou doivent partager les valeurs républicaines. Ces valeurs, laïcité, démocratie, égalité, liberté etc., sont présentées comme indissociables de la France. Sans elle, comme sans l’Etat, « il n’y a plus la France », pour paraphraser Hollande.
Et pourtant…, hors de l’Etat et des valeurs qui lui sont associées, que voyons-nous sinon des choses concrètes, tangibles. Des habitants aux mêmes origines ethniques occupent le territoire national depuis quinze, vingt siècles, voire davantage ; lors que d’autres, d’ethnies différentes, y sont installés depuis seulement une, deux, trois générations. La difficile cohabitation entre ces deux groupes clive la population supposée une par l’Etat et ses valeurs.
Le discours légal, officiel, n’y rien peut changer et un fossé se creuse entre la réalité perçue et vécue par les plupart des gens et l’affirmation de ce qu’elle devrait être.
C’est un fait, la crise morale qui secoue le pays détourne des citoyens de plus en plus nombreux de cette France, présentée comme la seule, la vraie, et cependant faite de mots : « La France, ce sont des valeurs », ou de postures : « Une certaine idée de la France ».
Notre pays, finissent par se demander tant de gens, serait donc une abstraction ? Une abstraction issue d’abstractions : Nation, République, Etat… Pourtant, nous existons, peuple d’ici !
Ressentiment grandissant : la France, c’est autre chose !
N’en déplaise aux puissants et à leur cour d’intellectuels, le Français de la France périphérique ne se retrouve pas dans les définitions alambiquées des maîtres penseurs. Ils préfèrent se fier à leur bon sens plutôt qu’au modèle qu’on veut leur imposer. Une foule qui scande : « On est chez nous ! » exprime un déni de la France héritière des Lumières et continuatrice de la Révolution.
Un tel déni est pourtant inconcevable : en s’écartant de cette idée d’une France idéelle, est idée, c’est la Loi qu’on bouscule, la Loi qui, à l’instar de Dieu, a donné vie à la Nation par une parole performatrice. Et si elle ne se prétend pas divine, cette Loi revêt quelque chose de sacré, s’affirmant être l’expression de la volonté générale. La remettre en cause, cela revient, d’après Rousseau, le penseur capital de la philosophie politique républicaine, à perdre sa qualité de citoyen, errance gravissime, devant être sanctionnée par le bannissement, par une justice…rendue au nom du peuple français. Tiens, il n’est plus question de France ou de République, mais de peuple. Mais qu’est-ce donc que le peuple français ?
2. La deuxième France, charnelle, est celle d’un peuple, les Français.
Pour aborder cette conception instinctive celle des siècles qui ont précédé la Révolution, il faut reprendre la question de l’identité : chimère ou vérité que le peuple français ?
Nous venons de voir que le discours officiel présente la France comme un creuset dans lequel se seraient brassées, par vagues incessantes de migrations, des populations de diverses origines au point qu’il est illusoire, dangereux, voire interdit de croire à un peuple français identifiable ethniquement.
Tel est le discours selon lequel affirmer une chose la rend réelle.
Mais qu’en est-il en vérité ?
Depuis moins de cinquante ans, un grand changement s’est produit dans nos contrées, en France comme en d’autres grands pays européens : les migrations inter-régionales ont changé d’échelle.
Aube de la mondialisation, l’idée qu’il fallait accepter, et que c’était même un bien en soi, d’aller travailler loin de chez soi, se marier et vivre loin de sa famille, cet encensement du déracinement est venu se coupler au mouvement déjà bien avancé de désertification rurale. Mais jusqu’à ce moment, comme le prétend la doctrine multi-culturaliste, la France s’est-elle de tous temps distinguée comme une terre de migrations et donc de brassage des populations ?
En vérité, rien n’est plus faux et les connaissances déjà anciennes à ce sujet sont corroborées par les forts progrès de l’archéo-génétique.
Une stabilité ethnique de très longue date
Se fondant sur des sommes d’investigations faites en nos campagnes, le grand historien de la population Jacques Dupâquier [6]enseignait qu’au sein de nos campagnes, la migration dite habituelle, s’est maintenue dans un rayon d’une dizaine de kilomètres, ignorant globalement le déracinement, les quelques départs aboutissant le plus souvent à des retours au pays d’origine.
Cette observationen recoupe d’autres pour conduire à la conclusion que les populations locales n’ont dans l’ensemble pas bougé jusque vers 1970, une fois accomplis et stabilisés les grands mouvements d’exode rural en direction des bassins d’emploi industriels.
De surcroît, de tous temps, la démographie des villes a été compensée par celle, excédentaire, des campagnes. Lieux insalubres propices aux épidémies, les villes ont connu, au long des siècles, de très fortes mortalités. Il en est résulté que ce sont les paysans qui forment le socle ethnique de l’ensemble du territoire.
Les étrangers qui venaient s’installer dans une ville étaient le plus souvent seuls et trouvaient rarement épouse ; d’où l’absence de descendance. L’on retrouve ce phénomène là où des guerriers maures (musulmans mais rarement arabes) ont occupé des portions de territoire, dans le sud du pays. Ils y restaient peu, relevés par d’autres, ce dont témoigne le faible nombre de sépultures musulmanes que l’on a retrouvées, comprenant d’ailleurs exclusivement des hommes.
Avant et après les Maures, d’autres invasions sont évoquées, susceptibles d’avoir « brassé » le sang des populations d’origine. Les plus anciennes seraient celles des Celtes, entre 1000 et 500 avant JC. Les avis divergent à leur sujet. Selon Dupâquier, les Celtes auraient peu modifié le paysage humain issu du vieux passé néolithique. D’autres, se fondant sur le décodage du génome humain, pensent au contraire qu’ils formeraient la base ethnique de tout l’ouest européen et au-delà encore.
Les Gaulois, sous-groupe celte ou peuples distincts, sont également objets de débats. Personne ne remet en cause leur influence culturelle, linguistique, technologique, mais tout comme pour les Romains, puis les Francs, puis les Normands, leur contribution ethnique au sens charnel du terme est évaluée de façon très variable selon les auteurs. Mais ces débats ne remettent pas en cause la forte homogénéité ethnique d’une Europe dont les populations étaient très semblables quelle que soit l’identité de leur origine commune.
Les connaissances récentes apportées par la génétique montrent notamment que les Vikings, pour avoir été plus nombreux en Angleterre qu’en France, ne représentent qu’un très faible pourcentage de la composition génétique britannique (revue Nature). Les travaux publiés par Plos Genetics sur les ancêtres communs montrent que la France, après la Péninsule ibérique et l’Italie, est le pays dont les ancêtres venant d’autres lieux d’Europe sont particulièrement peu nombreux. Cela indique une stabilité ethnique qui s’inscrit dans la très longue durée.
L’idée du pays terre de migrations incessantes ayant formé un creuset de brassage ne tient pas à la lumière des connaissances, tant classiques que récentes. L’illusion vient sans doute que le comportement d’une minorité – clercs itinérants, savants, seigneurs et leurs suites etc. – infime mais visible et donc mis en avant dans les récits et imageries - est assimilé avec celui du commun des mortels, confinés quant à eux tout au long des siècles, des espaces d’une dizaine de kilomètres de rayon.
En conclusion sur ce point, la France n’a connu aucun apport extérieur entre le XIe siècle (invasions normandes) et la fin du XIXe siècle. Il est possible qu’elle n’ait pour l’essentiel bas bougé depuis le néolithique ou depuis l’arrivée des Celtes.
Du XIXe siècle (au début duquel l’on comptait 300 000 habitants d’origine étrangère) jusqu’au dernier quart du XXe, les migrations modernes ont apporté quelques trois millions d’étrangers, Italiens, Espagnols, Allemands, Suisses, puis de nouveau, Italiens, Espagnols et enfin, Portugais. Les premières migrations de Nord-africains, à partir du début du XXe, concernèrent peu d’individus, célibataires et retournant au pays pour la plupart, une fois à la retraite, les mariages mixtes étant pour ainsi dire inexistants.
Une immigration non-européenne récente
C’est seulement à partir de la fin du siècle passé, conséquence du regroupement familial décidé par Giscard, qu’on assiste à un fort courant d’immigration en provenance d’Afrique, très majoritairement des pays du Maghreb. Ainsi, depuis les années 2000, l'immigration contribue pour environ à cent mille des trois cent mille naissances annuelles, donc cent mille nouveaux habitants pour la plupart de souche non européenne.
Sur soixante-sept millions de Français, il est difficile de chiffrer ceux qui sont issus de cette dernière vague d’immigration et donc de comptabiliser avec précision la part de la population de souche européenne. La quasi-totalité des musulmans ne sont pas européens. Estimés entre 10 et 15 % de la population, cela donne quelque chose comme sept-huit millions. Aux cinquante-huit-neuf millions d’habitants restants, il faut ôter environ deux millions et demi de noirs chrétiens – dont huit cent mille antillais - ce qui laisse en fin de compte un minimum de 55,5 millions d’européens, dont pas moins de 50 millions de souche « française ». La partie implantée sur notre territoire depuis bien avant que la France existe, représente ainsi plus de 75% des habitants ; ce n’est pas peu et contredit clairement l’idée présentée comme une évidente réalité d’une population brassée dans laquelle nous serions tous plus ou moins issus d’immigrations de toutes sortes.
Selon les analyses génétiques des populations, les Ouest-Européens, dont nous faisons partie, appartiennent au même haplogroupe, le R1b, marqueur certain de filiation patrilinéaire (de père en fils). Ce R1b signe-t-il une origine néolithique, celtique ou composite, intégrant Romains, puis Francs et autres germains et enfin normands ? Ce qui est sûr est que la notion de souche n’est pas un mythe identitaire. La France, comme l’ouest du continent européen, a pour base une population homogène d’implantation qu’on peut qualifier d’antique.
Que sur le même sol, des populations allogènes se soient installées, croissant en nombre et en proportion, ne change pas le constat qu’il existe un peuple français, avec ses sous-groupes. C’est une réalité physique, et pas seulement culturelle.
L’existence de cette « deuxième » France, qu’on peut nommer la France des Français, est déniée par les tenants de la « première » France, celle de l’idéologie républicaine.
Nos dirigeants et les élites qui les entourent n’ont de cesse d’affirmer que la France, ce sont des valeurs, à portée universelle de surcroît. S’y opposer serait en quelque sorte un crime contre l’humanité : comment en effet s’en prendre à ce qui serait propre à l’humain ? Au passage, notons la contradiction qui se présente quand, dans le même temps, l’on vante la supériorité de la multiculturalité, et qu’on enseigne l’impossible désignation d’un modèle supérieur qui serait celui auquel nous devrions être tous attachés ?
Quel enjeu réel ?
Que la France soit une idée ou qu’elle soit un peuple, tel regard critique sur ce débat pourrait pointer, qu’après tout, cela ne change pas grand-chose dans la vie de chacun. Vrai ou faux ?
Dans la vie de chacun, l’appréciation vraie ou fausse des réalités, n’a certes pas d’effet immédiat si ce n’est qu’entendre nier une souffrance ou ne rien en entendre dire, renforce l’affliction en y ajoutant un amer sentiment d’injustice. Or voici ce qu’il est de moins en moins rare d’entendre de la bouche de Français de la France périphérique :
J’habite en un lieu où vivaient déjà mes aïeux il y a deux mille ans ; lieu qu’au fil des siècles, des générations et des générations de ceux dont je suis ont valorisé, développé, défendu.
Et voici que des habitants venus d’ailleurs, d’autres races, d’autres cultures, d’autres croyances, occupent majoritairement des centaines de zones de mon territoire, celui de mes pères. Et de surcroît, ces nouveaux habitants, loin de se fondre à nos coutumes, nos lois, nos codes sociaux, par le vêtement, le langage et les manières ; les voici qui vivent en communautés distinctes, parfois agressives à notre endroit, exigeant de profiter de tous nos acquis sans renoncer à ce qui ne se fait pas chez nous.
Pis encore, comme ils rendent la vie impossible aux autochtones, ceux-ci finissent par quitter leurs quartiers, voire leurs communes, laissant à ces habitants - rendus français au nom de la France officielle – toute latitude pour transformer des territoires de notre pays en enclaves étrangères.
La police n’ose plus pénétrer dans ces zones, devenues les bases arrière de groupes de bandits et où les conflits et actes civils sont arbitrés au nom de leur croyance par des juges religieux.
Ceux qui dirigent le pays, ceux qui disent ce qu’il est bon ou mal de penser, prétendent que ces habitants, au prétexte qu’ils sont nés sur ce sol ou qu’une loi leur permet de se regrouper par familles sur ce sol, sont français au même titre que nous.
Nous sommes ici depuis des siècles, voire des millénaires.
Ce qu’on appelle la France est le territoire de nos pères.
Ils nous l’ont légué pour qu’à notre tour nous le léguions à nos fils, pas à ces étrangers qui ont de surcroit conservé pour beaucoup leur nationalité d’origine, celle qui compte pour eux, celles de leurs anciens.
Je parle en Français que je suis et l’on me dit que je n’en ai pas le droit, et l’on m’oppose la France, son drapeau, ses valeurs, pour me faire taire.
Ainsi, des mots, des couleurs, des idées devraient contraindre tout un peuple, l’immense famille qui a tout construit de ce qui existe ici ? Ainsi la famille des Français devrait consentir au pillage de son héritage, après des siècles passés à bâtir, à labourer, à organiser, à inventer, à batailler, à souffrir, à croître, à pacifier ?
Être d’ici, chez nous, et consentir à être soumis à d’autres, venus d’ailleurs et qui s’estiment chez eux chez nous.
Tel est le discours, de moins en moins secret et timide, des Français qui se sentent de la 2eme France ; telle est la réponse à l’objection « quelle importance dans la vie de tous les jours ? »
Une grande frustration donc, la souffrance qu’inflige la perte d’un bien ou la crainte de la perte d’un bien, c’est ce qui résulte, en les circonstances présentes, du sentiment d’appartenance à cette France charnelle que j’oppose à la France officielle.
De ce ressenti largement partagé, l’on ne saurait prendre toute la mesure sans explorer une tension en vague de fond, imperceptible mais forte menace pour l’ordre établi.
La légitimité du pouvoir institué est insidieusement remise en cause tant son idéologie, présentée comme la consistance de l’identité française, s’effiloche en vestige d’une réalité passée, tel le nuage qui succède à la dernière poussée de vapeur des cheminées d’une usine.
Quelques années avant la chute du mur de Berlin, le communisme léniniste était toujours « la vérité », l’explication du monde enseigné aux enfants et colportée par les organes d’un Etat qui se proclamait encore « révolutionnaire ».
Et pourtant, les charpentes étaient vermoulues, tout était prêt à s’écrouler.
En nous sommes-là ?
Pas tant, dans la mesure où il n’existe pas, selon toute vraisemblance, de coordination des mécontentements, d’organisation d’un front du rejet de la France officielle. Un tel front, d’aucuns l’imaginent être le RN. Mais le RN, creuset du ras- le-bol, catalyseur d’un espoir de renouveau, ne s’écarte pas des fondements doctrinaux de cette France officielle qu’il ne combat qu’en surface.
Cependant la tension ne saurait se résorber tant les causes qui l’expliquent font corps avec le système de pouvoirs institutionnel. Le péril, ou la chance selon les points de vue, est encore au stade de potentiel. La loi n’exprime pas la volonté générale ; la justice n’est rendue qu’en apparence au nom du peuple.
En s’appuyant sur cette logique, les termes peuvent se renverser, mais quand et comment ? et la volonté générale, celle de la 2e France, charnelle, fera et refera la loi ; et le peuple français et pas une caste parlant en son nom rendra la justice.
Il s’agirait alors d’une révolution qui viendrait mettre un terme à l’ère de deux siècles qui a succédé à l’Ancien Régime.
Difficile d’imaginer à quel régime aboutirait une 1ère phase mouvementée, instable, de gestation institutionnelle. Guerre civile inévitable ? Tout dépend quand et comment une telle révolution surviendrait. Dans tous les cas de figures cependant, un fort climat de violence paraît des plus vraisemblables. Cela nous conduit à la partie suivante, consacrée à la 3ème France, celle vue par l’immigration arabo-musulmane.
C’est en effet la question de l’identité qui est et sera déterminante. Le rejet de la France officielle par la France charnelle est et sera, quoi qu’on n’en ait, un combat de survie identitaire.
A suivre : La 3eme France, celle des musulmans, Dar al Harb.
[1] Et dans une très moindre mesure, noire africaine musulmane.
[2] D’aucuns voient l’Etat moderne se profiler avec Philippe le Bel détruisant l’Ordre des Templiers.
[3] L’expression date de la Révolution, tout comme les monuments aux morts.
[4] Utopie en ce sens que les conditions requises - complète clarté, égale information des acteurs, pas de position dominante etc.- pour que la « main invisible » opère l’équilibre optimal des marchés, ne sont, n’ont jamais été réunies.
[5] Crèv’ l’inf’ veut dire crève l’infâme, l’infâme étant l’Eglise. Depuis le temps de Voltaire, cette interjection était un moyen discret d’expression et de reconnaissance parmi les adeptes de l’éradication du christianisme.
On l’entend encore prononcer dans les milieux maçonniques.
[6] Normalien, docteur en histoire, directeur du laboratoire d’histoire de la population à l’EHSS, membre de l’Institut.
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