Un bilan idéologique du sarkozysme
Vous souvenez-vous du "sarkozysme" ? Ce moment de notre vie politique très particulier qui ne laissa personne indifférent. Mais le "sarkozysme" existe-t-il ? ou participe-t-il d'idéologies plus larges comme le néo-libéralisme, le néo-conservatisme, le populisme ou d'autres idéologies plus viles encore ?... Essayons de l'analyser au regard de travaux récents de politologues.
Le « sarkozysme » existe-t-il ? Au-delà de son échec politique sans appel en mai-juin 2012 devant le peuple français, on peut constater que certains caciques de la précédente majorité s’efforcent de défendre les « réformes » voulues principalement par un homme, suivi avec un enthousiasme et un manque de distance stupéfiant par ces caciques que furent les Estrosi, Mariani, Copé, Balkany, Morano, Kosciusko-Morizet et consorts…
L’idéologie sarkozyenne (décidément que de néologismes !) a parfois été qualifiée de néo-libérale, néo-conservatrice, populiste, voire de réactionnaire. Emmanuel Todd s’est risqué à le décrire le « moment-Sarkozy » comme un avatar néo-fasciste (1).
Un peu exagérée, la comparaison ?
Pour y répondre, on peut suivre les travaux de chercheurs comme Lawrence Britt (2) qui a analysé les caractéristiques du fascisme qui ont émergé dans les régimes mis en place par Francisco Franco, Benito Mussolini, Adolf Hitler, Antonio Salazar, Augusto Pinochet et l’indonésien Suharto. Selon ce politologue, le fascisme ne constitue pas un bloc univoque mais doit être analysé dans quatorze points différents nommés ci-dessous.
Là, les pratiques du « système Sarkozy » -sans aucun doute très en deçà de ces régimes abominables sur la plupart des points établis- peuvent néanmoins être passées à ce crible en quatorze points.
Ces 14 caractéristiques sont formulées ainsi :
1. Un nationalisme puissant et constant
2. Un mépris pour la reconnaissance des droits de l’homme
3. L’identification d’ennemis ou de bouc-émissaires comme facteur d’unité
4. La suprématie de l’armée
5. Un sexisme répressif
6. Des médias de masse sous contrôle
7. Une obsession avec la sécurité nationale
8. L’amalgame de la religion et du gouvernement
9. La protection du pouvoir des entreprises
10. La suppression du pouvoir des travailleurs
11. Le mépris pour les intellectuels et les arts
12. Une obsession avec le crime et le châtiment
13. Des élections frauduleuses
14. Le règne du favoritisme et de la corruption.
Alors, bien sûr, ces caractères ne sont fortement remplis que dans le cas de régimes fascistes « purs ». Mais ont-ils tous été de façon similaire dans la totalité de ces critères ? Non, les régimes fascistes ont tous été différents, le nazisme de Hitler ayant sans doute atteint le maximum de ce qui pouvait se faire en la matière, satisfaisant au maximum la plupart de ces quatorze critères, développant même dans ses pratiques le paroxysme de l’horreur qu’a été la Shoah, ce que les autres régimes n’ont jamais atteint. On notera que la caractéristique génocidaire n’est pas établie par Britt comme commune au fascisme, elle n’en est que l’aboutissement paroxystique dans le cas de « perfection » de la totalité des autres caractéristiques.
Si on considère que chacun de ces critères peut faire l’objet d’une cotation partielle, soumettons le « sarkozysme » à cet instrument de mesure de la dose de fascisme contenue dans un système politico-idéologique.
Mode de notation utilisé :
0 = aucune trace de la caractéristique du fascisme ; 5 = intensité maximale de fascisme
Demi-points pour départager des appréciations difficiles.
Critère |
Arguments |
Notation |
1 |
Dès la campagne de 2007, un puissant nationalisme à l’œuvre dans les meetings (fortes références au drapeau, à l’Histoire de France, y compris à l’encontre de l’Allemagne), puis polémiques nombreuses à connotations chauvines (football) ou xénophobes (discours de Grenoble) |
3.0 |
2 |
Remise en question de la peine accomplie (enfermement à vie des délinquants psychopathes) et non-respect de la présomption d’innocence (Colonna, Clearstream…), peines automatiques…
|
1.0 |
3 |
Stigmatisations fréquentes des arabo-musulmans (affaires Ilan Halimi, de la burqa, du halal, etc), et plus explicitement des Roms et Tsiganes, jusqu’à être rappelé à l’ordre par la commission européenne en 2010.
|
3.0 |
4 |
2007 : Affichage d’une alliance possible avec G. W. Bush dans ses « guerres contre le terrorisme »
Puis : Trois guerres (limitées) menées de front (Afghanistan, Lybie, Côte d’Ivoire), forte valorisation du défilé du 14 juillet aux côtés de chefs d‘état étrangers (en 2008 : Ben Ali, Kadhafi, Moubarak, Bachar Al-Assad) pour des raisons géostratégiques douteuses. |
1.0 |
5 |
Sexisme modéré mais néanmoins : Promesses non tenues en matière de parité au gouvernement, pas de politique favorable aux femmes ou aux personnes d’orientation sexuelle minoritaire.
|
0.5 |
6 |
Médias dans les mains de grands groupes familiaux amis du clan Sarkozy.
Nomination personnelle des présidents de médias publics lors de la réforme de l’audiovisuel de 2008
Surexploitation des médias et de la communication politique. |
2.5 |
7 |
Utilisation de la peur et de la menace dans le discours politique pour créer un climat d’influence très prégnant (à mettre en parallèle avec l’utilisation d’émotions et de dimensions de la vie personnelle). |
3.0 |
8 |
Point modéré, néanmoins : Utilisation de la question de la laïcité pour rappeler la place centrale en Fr. de la religion chrétienne
|
1.5 |
9 |
« réformes » sociales très favorables aux entreprises (retraites, 35 heures, charges sociales et fiscales, etc)
|
3.0 |
10 |
Pas d’attaques franches contre le pouvoir syndical, mais considération très faible pour le rôle de ceux-ci (parfois manipulation de certains d’entre eux).
|
1.0 |
11 |
Affichage méprisant pour certaines œuvres (La Princesse de Clèves), culte de l’argent et de l’art lucratif, instrumentalisation de lieux culturels symboliques (Vézelay, Mont St-Michel, Pont de Millau, etc).
|
1.5 |
12 |
Instrumentalisation systématique (et personnelle) de chaque fait divers pour accroître la dureté des peines et de la politique à suivre en conséquence
|
2.5 |
13 |
Critère non rempli en Fr. sur la période 2007-2012 |
0.0 |
14 |
Favoritisme discret mais réel dans la nomination de magistrats, préfets, présidents de l’audiovisuel, etc. Corruption non jugée à ce jour mais en cours d’instruction (affaire Woerth-Bettencourt, entre autres) |
1.5 |
Total : |
24.0 |
Soit : 24 points sur 70 « possibles », soit 34.28 %. (marge d’erreur et surtout d’appréciation non négligeable : faites-le chez vous avec votre sensibilité et donnez-nous ici vos résultats).
Conclusion :
Le quinquennat de N. Sarkozy, bien que bridé par l’énorme enjeu d’une réélection souhaitée, contenait déjà, en substance, un tiers de fascisme plus ou moins discrètement intégré dans les pratiques d’un système en cours de construction.
(1) Todd (E.) - Après la démocratie – Gallimard - 2008
(2) Britt (L.) – Fascism anyone ?… Free inquiry - 2003 sur http://syndicats.over-blog.com/article-les-14-caracteristiques-du-fascisme-selon-lawrence-britt—42147993.html
26 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON