Un provocateur peut-il être de gauche de nos jours ?
Cela en surprendra certains, en indignera d’autres mais il existe beaucoup plus de points communs qu’il n’y parait entre Louis-Ferdinand Céline et Serge Gainsbourg. Comment peut-on oser comparer un collabo antisémite et l’auteur de la Marseillaise en reggae ? Mais en y regardant de près, ne sommes nous en face de deux provocateurs de génie, égocentriques, misanthropes et désespérés qui ne respectaient pas grand-chose. Céline était-il de droite, rien n’est moins sûr malgré son voyage en Allemagne « au mauvais moment » et ses pamphlets douteux, non réédités. Et est-il raisonnable de considérer Gainsbourg comme un homme de gauche, ce serait s’avancer bien vite. Céline n’est pas Drieu La Rochelle et quand Gainsbourg brula un billet de 500 francs, il a choqué la France de gauche.
Nous avons à faire à deux énergumènes très cultivés avant tout individualistes, qui ne retiennent de la devise de la patrie que la composante liberté. On est donc très loin de la pensée de gauche qui s’insurge devant les injustices, c’est-à-dire réagit à l’encontre du mot « nauséabond » ou de l’attitude douteuse.
La plupart des grands provocateurs sont ou ont été dans leur grande majorité des apolitiques individualistes. Bedos en faisait partie avant un revirement qui lui a fait lire des notes d’une « revue de presse » en public, et il a perdu de son mordant et de son ironie. Il n’oserait plus désormais son sketch au second degré sur les Marocains. Celui où il dit : « Le Roi, c’est un garçon très bien, et pourtant il parait que ce serait un arabe ! ». Coluche avant les Restos du Cœur avait pondu lui aussi un sketch dans lequel il tentait « c’est l’histoire d’un noir… non !, On peut pas, alors c’est l’histoire d’un juif…Non. Là non plus tu ne peux pas non plus, Ah bon ! ». Il ne sera pas fait mention de Dieudonné, car s’il s’est politisé, il a perdu son humour initial.
Car l’homme de gauche s’insurge à chaque dérapage, et de citer l’aphorisme de Pierre Desproges à tout bout de chant comme un perroquet. Oui, il faut rire de tout, même avec n’importe qui !
Il aurait été judicieux et irrévérencieux de raconter des blagues antisémites aux condamnés de Nuremberg avant de leur passer la corde ! Encore le nazi rock, nous y revenons.
Les plus grands provocateurs de jadis étaient souvent homosexuels. On se souvient d’Oscar Wilde, d’Aristide Mayol, de Jean Cocteau, de Jaques Chazot et Michou que l’on peut difficilement classifier à gauche. On pourrait même oser l’oxymore d’« anarchistes de droite ». Et Georges Brassens, Brel, Henri Tachan (à ses débuts) sont plus des libertaires que des artistes engagés avec leur soupe gnangnan. On peut être libertaire sans se réclamer de la gauche, sans pour autant se satisfaire du capitalisme et des inégalités. Et bien évidemment, on ne peut non pas faire l’impasse sur Jean Genet et sa phrase électrochoc, « Je préfère la compagnie des fascistes à celle des bourgeois ». Quelle claque de la part de l’auteur des « Paravents » interrompue bruyamment par les paras, comme la Marseillaise de Gainsbourg.
Dans la même lignée des agitateurs, contestataires ou simplement originaux, on retrouve pêle-mêle Rimbaud, Baudelaire, Brummell, Michel Tournier tous esprit libres mais que l’on ne peut guère considérer comme des socialistes ou des sympathisants.
Vous allez rétorquer, il nous reste l’extrême gauche, enfin une partie d’entre elle, mais certainement pas les trotskistes ! Le sens de l’humour d’Arlette Laguiller, d’Alain Krivine et d’Olivier Besancenot est plus que discret et crypté. Reste les gens de Charlie Hebdo et de Hara-Kiri, enfin ceux de la grande époque du « bal tragique à Colombey, un mort ! », de « Reiser va mieux, il est allé au cimetière à pied » et c’est à peu près tout.
L’engagement politique tue souvent la spontanéité et l’ironie. Il faut se fondre dans le groupe, suivre des mots d’ordre, ne pas trop se démarquer des autres par une pensée originale et contestataire dans le sens pur du mot. Repenser à Brassens, « Quand on est plus de quatre, on est une bande de cons. Bande à part c’est ma règle et j’y tiens ». Le militantisme est un obstacle au rire et à la provocation. L’engagement politique vise le plus souvent à réprimer l’individualisme.
La gauche s’est enfermée dans le dogmatisme, la pensée lénifiante qui tue l’initiative, le bon mot et l’ironie. Il ne faut pas stigmatiser les noirs, les juifs, les arabes, les gros, les vieux, les handicapés et bien d’autres. Patrick Timsit doit très bien s’en souvenir, lui qui fut obligé « d’aller à Canossa » après son numéro sur les mongoliens, euh, pardon, il faut dire désormais les trisomiques.
Quand on entend les socialistes actuels, Mélenchon, Duflot et son histoire de confit de porc, ainsi que la majorité des Verts, on se dit qu’ils ne doivent pas rigoler souvent en meeting de coordination. Ca les regarde certes, mais hélas, ils veulent imposer leur morale laïque sinistre à toute la société. Un précédent article développait que la chute du communisme pouvait s’expliquer par son cruel manque d’humour et de dérision. Maintenant, toute la gauche s’y met, elle se veut bien pensante, respectueuse et, le terme est voulu, bien que choquant pour ces gens, politiquement correcte.
Le moindre mot de travers est banni, dénoncé, il s’est installé ce que les psychologues appellent pompeusement l’hygiène du langage. Cela avait commencé dès Mai 68 quand communistes et trotskistes déchiraient les tracts orduriers des gauchistes. « Crève salope, le peuple aura ta peau », « Un clou, je glisse » et « L’imagination au pouvoir » ne mettaient pas assez en avant le rôle des masses et des classes laborieuses.
Le célèbre « Plus je fais la Révolution, plus j’ai envie de faire l’amour » n’est plus d’actualité. Le sexe est banni à gauche, qui reprend la morale vieillotte des cathos intégristes, comme la sirène du Poitou et son attitude permanente d’institutrice en train de morigéner, bien qu’elle s’exhibât avec son nouvel amant.
La gauche est donc enfermée dans une attitude plus moralisatrice que morale, dans un paternalisme unisexe (féminisme oblige) qui se décline tous les jours en laïus pontifiants, en prise de position offusquée à la moindre boutade ; les fameux dérapages de trop et les dérives intolérables. Vals, pourtant (encore) socialiste, en a fait les frais avec ses « white et blancos ». Et pourtant, il n’est pas un grand humoriste. C’est triste à dire, les gens de gauche sont devenus ennuyeux et convenus. Ils reprennent à leur sauce les vieux mots d’ordre de la droite réactionnaire catholique et bourgeoise, celle que dénonçait Souchon dans « Poulailler song ». Et Renaud, avant de devenir insignifiant, l’avait bien vu dans « Ma socialiste ».
Où est passé l’esprit frondeur des Français ? Où est donc ce foutage de gueule qui nous fait traiter d’arrogants par les Anglais ? Mais un prof syndiqué, lâche, démissionnaire et consensuel ne peut se retrouver dans la saine provocation et l’irrévérence, sauf celle de ses élèves qui le méprisent.
Heureusement finalement que Jean-Marie le Pen n’a qu’un petit humour douteux, sauf sur Fillon, « le fidèle castré » et que sa fille ne se prend pas pour Claire Bretécher ou Anne Roumanof, sinon, le FN monterait encore plus haut dans les sondages à cause de l’aboulie de la gauche.
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