Y a-t-il encore un strauss-kahnien dans la salle ?
Le fantôme de Dominique Strauss-Kahn hantait la préparation du congrès du Parti socialiste à Reims depuis des semaines. Pour ses adversaires, il ne devrait plus y avoir de résurrection. Surtout depuis l’éclatement de la famille strauss-kahnienne.
Dominique Strauss-Kahn est devenu une personnalité politique à part dans le microcosme français. J’aurais pu dire macrocosme mondial, avec le FMI, mais, justement, il restait aussi un repère dans la politique franco-française.
Toutes les supputations qui tombent depuis quelques jours sur Dominique Strauss-Kahn à propos de sa vie privée sont non seulement nauséabondes pour la politique, mais aussi pour les valeurs élémentaires comme le respect de la personne, la présomption d’innocence, etc. Un bon moyen de vendre ses canards.
Si Dominique Strauss-Kahn a maintenant beaucoup de personnes qui veulent lui nuire au niveau international, il y a encore quelques éléphants socialistes, plus ou moins vieux, qui ne seraient pas si mécontents de lever l’hypothèque DSK, et ce sentiment pourrait même déborder jusqu’aux rives de l’UMP voire du MoDem.
Laissons de côté donc toute cette actualité inutile et futile qui le vise sur des considérations qui, comme pour Rachida Dati, ne concernent que lui et ses proches.
Et tournons-nous vers un sujet qui ne doit pas plus réjouir Dominique Strauss-Kahn : la bataille sans merci de ses indignes héritiers.
Le "strauss-kahnisme"
Même si, à l’origine, Dominique Strauss-Kahn faisait partie du jospinisme le plus orthodoxe, branche du mitterrandisme officiel parallèlement au fabiusisme, depuis presque dix ans, il représente aussi le rocardisme.
Le rocardisme, c’est la deuxième gauche, la nouvelle gauche, la gauche moderne. Qui date des années 1970. En 2006, Dominique Strauss-Kahn avait enfin osé donner un nom nouveau, ordinaire en Europe, mais si difficile à porter en France : la gauche sociale-démocrate.
Jusqu’alors, il n’y avait pas de "sociaux-démocrates" en France, mais seulement des "démocrates sociaux" réunis dans le Centre des démocrates sociaux (CDS) créé sous Valéry Giscard d’Estaing pour réunifier les centristes pro- et anti-pompidoliens (CDP et CD), mouvement devenu Force démocrate en 1995 puis fondu à l’UDF et transformé après bien des vicissitudes (UMP, Nouveau centre, etc.) en MoDem.
Depuis 2001, la social-démocratie de gauche s’était organisée sous le nom de "Socialisme et démocratie". Il regroupait les jospinistes et les rocardiens dans le but de soutenir l’optique réformiste qui était à la base du gouvernement de Lionel Jospin (1997-2002). Enfin, une partie des jospinistes, car à ma connaissance, Martine Aubry, l’autre dauphine de Lionel Jospin, n’en faisait pas partie.
Ce courant est très proche des réseaux sociaux-démocrates européens, dans la mesure où il pense que les réformes ne peuvent passer que dans un cadre européen. Et qu’elles doivent agir sur les causes des difficultés sociales, pas venir juste traiter leurs conséquences.
C’est d’ailleurs de cette manière que Dominique Strauss-Kahn a réussi à se faire désigner en 2007 comme directeur général du FMI, grâce à l’entregent des principaux leaders sociaux-démocrates de l’Union européenne. Nicolas Sarkozy y voyant aussi une bonne opportunité à sa politique d’ouverture a même réussi à en capter l’initiative.
Mais aujourd’hui, que reste-t-il du strauss-kahnisme ? S’est-il fait cannibaliser ?
Quand papa DSK est absent
Éloigné fonctionnellement de la France et du Parti socialiste, Strauss-Kahn restait cependant très présent dans les coulisses. Même si son mandat au FMI devait se terminer après la date de la prochaine élection présidentielle en 2012, il gardait encore un œil sur cette perspective. Et espérait compter au congrès crucial de Reims.
J’ai mis au passé la phrase sur la fin de son mandat, car je doute qu’il ne soit pas contraint à la démission (injustifiée à mon avis) comme avait dû démissionner Édith Cresson de la Commission européenne (pour des affaires beaucoup plus sérieuses).
Son aura devait d’autant plus influer Reims que les sondages lui étaient encore favorables (mais feu Raymond Barre, Édouard Balladur et Lionel Jospin pourraient toujours rappeler que les sondages ne sont pas des élections), et dans une confrontation avec Nicolas Sarkozy au second tour, Dominique Strauss-Kahn avait encore quelques chances.
Mais peut-il partir dans une bataille sans troupe ?
Car là est maintenant la question.
Depuis 2007, le strauss-kahnisme officiel était animé par deux députés, Pierre Moscovici et Jean-Christophe Cambadélis. Animé, mais j’allais écrire laminé.
Guerres cambadélo-moscoviciennes
On aurait pu penser que la stratégie de Pierre Moscovici aurait été la bonne : à Moscovici le poste de premier secrétaire pour succéder à François Hollande, laissant au congélateur la candidature à l’élection présidentielle pour 2012, freinant les ardeurs de Bertrand Delanoë et de Ségolène Royal. Et laissant DSK arriver en sauveur en 2011.
Ce qui aurait été la même erreur qu’en 2007, à savoir l’impréparation du candidat socialiste face à un candidat UMP connu depuis cinq ans (idem pour le candidat centriste).
D’ailleurs, Strauss-Kahn ne semblait pas vraiment d’accord avec ce type de stratégie et devait juger que l’ambition de Moscovici pourrait aller bien plus loin que rue de Solferino. Après tout, ce dernier n’est plus non plus un petit jeunot de la politique.
Du coup, les autres compères, derrière Cambadélis, décidèrent de soutenir Martine Aubry. La rivale de Dominique Strauss-Kahn dans l’héritage du jospinisme. Elle ne parle jamais d’ambition présidentielle, mais c’est une femme politique très à l’aise avec les arcanes du PS. Et c’est la fille de Jacques Delors.
Moscovici renonça alors à présenter une motion (ce qui montre les limites du personnage) et… rejoignit in extremis Bertrand Delanoë donné comme favori dans les sondages. Comme Michel Rocard et ses derniers amis (Michel Destot, Alain Richard, Catherine Tasca…).
La famille s’est officiellement éclatée à La Rochelle il y a près de deux mois et le litige porta sur l’alliance ou pas avec Laurent Fabius. « On était au royaume de Florence, entre la dague et le poison des Médicis ».
Jugez-en par les mots doux échangés ces dernières semaines entre les disciples de DSK.
Les pro-Cambadélis disent de Moscovici :
« Ce ralliement de dernière minute à Delanoë est une rupture avec Dominique Strauss-Khan. »
« Moscovici a dans l’idée de créer sa propre boutique. Il ne fait plus une priorité du retour de DSK. »
« Certains se sont dit que c’était leur heure. »
Les pro-Moscovici rétorquent :
« Cambadélis a fait exploser le courant que lui avait confié DSK. C’est lui qui a tué Socialisme et démocratie en associant Fabius aux reconstructeurs. »
« Intox, dénigrement, rumeur, désinformation. L’idée que je crée un nouveau courant à mon nom est un scandaleux mensonge. »
Arrêt de l’aventure
Pourtant, Strauss-Kahn, en leur confiant les clés de sa "boutique", leur avait bien dit : « Restez groupés » en juillet 2007.
Aujourd’hui, on dépose le bilan : « Cette aventure-là est finie, j’en prends acte avec tristesse », dit Moscovici.
Un autre de la famille déplore : « Chacun va faire les gros bras et aligner ses généraux chinois en terre cuite. Pas sûr que cela ait une capacité d’entraînement. »
DSK, ancien espoir en perdition
Dominique Strauss-Kahn était sans doute la seule parade du Parti socialiste pour contrecarrer le discours d’opposition centriste de François Bayrou.
Ou mieux, la clé pour la mise en place, face à l’UMP, d’un réel courant démocrate, moderne, social, libéral et européen, en scellant une alliance historique entre Dominique Strauss-Kahn et François Bayrou. Strauss-Kahn apporterait un appareil et des réseaux, Bayrou un leadership et une (meilleure) popularité.
Une alliance complètement irréaliste, en raison de la trop grande fidélité au PS de Strauss-Kahn (et de sa désertion depuis 2007, on ne peut pas construire une opposition crédible à 5 000 kilomètres du peuple) et de la volonté de Bayrou à en être l’unique leader.
Levée d’une incertitude
En avril 2012, Dominique Strauss-Kahn aurait eu tout juste 63 ans. À une ou deux années près, l’âge qu’avaient Jacques Chirac et François Mitterrand à leur première élection, et Lionel Jospin à son dernier échec.
Cela aurait pu être sa dernière chance. Mais en fait, depuis 2006, Dominique Strauss-Kahn s’est rocardisé. Et il n’a pas su rebondir, ni après la défaite de Lionel Jospin en 2002, ni après celle de Ségolène Royal en 2007.
Michel Rocard, Jacques Delors, Dominique Strauss-Kahn ? des graines de présidents de la République, sans doute capables de belles réformes, qui n’ont jamais réussi à éclore et à atteindre la maturité.
Et depuis 1993, le Parti socialiste meurt de cela.
Qui sera le suivant ?
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (23 octobre 2008)
Pour aller plus loin :
Reims, ça commence mal.
DSK a raté le coche après 2002.
Le courant DSK vole en éclat.
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