Lettre ouverte à Monsieur Abdennour Bidar
En italique des citations de la tribune http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2015/11/19/31003-20151119ARTFIG00002-abdennour-bidar-les-musulmans-doivent-passer-a-la-responsabilite-de-l-autocritique.php
Monsieur,
Dans la phase finale de la programmation, il y a un travers contre lequel nous, les informaticiens, devons lutter : la redondance des analyses. Face à un dysfonctionnement de notre production il est difficile, voire douloureux, de se contraindre à imaginer une autre réalité, un autre déroulement des choses, notre pensée fonctionne selon ses habitudes, ses entraînements, s’extraire de cette mécanique confortable est nécessaire, mais combattu par notre conscience. C’est pourtant en déviant de cette analyse conforme que l’erreur technologique, le bogue, se révélera le plus aisément.
Cet enfermement n’est pas celui, si visible, des politiques, ni celui, plus discret, des média, mais il me semble le retrouver chez les intellectuels.
Mon métier est d’imposer à une machine complexe et rigide, l’exécution de taches en fonction d’un environnement mobile et de desideratas d’utilisateurs rarement neutres. Pour vous la machine c’est la conscience collective, les taches, ce sont les mises en forme des évolutions de la pensée humaine, l’environnement changeant est celui du quotidien vivrier et politique enfin les utilisateurs sont les mêmes, voila, par ce parallèle, un peu étrange, je pose mon propos.
J’ai pris le parti de répondre à votre tribune sous la forme d’un dialogue asymétrique entre vous, le philosophe incontestable et que tout me conduit à respecter, et moi, citoyen assez averti mais indistinct ; tenter de porter cet échange au seul plan intellectuel n’aurai, je le crois, pas eu le même sens, si tant est qu’il ait pu se tenir dans des règles universitaire que j’ignore.
Le bogue dont nous parlons, c’est cette césure entre musulmans et non-musulmans ; connue, ressentie, constante, qui parfois surnage, mais est toujours masquée par les représentants des deux parties. Ce débat impossible, non-dit permanent, donne lieu à des pustules sociales innombrables, multipliées, intraitables, inguérissables, dissimulées sous des pansements d’anti-racisme institutionnel enduits de crème de bonté aux mots creux et sans vérité ; car sans réalité. Le logiciel ne marche pas ; « pas » et non « plus ».
Un peu de volonté transcendée proposez-vous, pouvons-nous vous croire ? Il ne s’agit pas de suspecter votre sincérité mais de savoir si votre analyse n’est pas similaire à celle qui à conduit au blocage. Avez-vous exploré les méandres douloureux, imaginé une réalité autre, en enchaînement différent ? J’en doute.
La forme de votre discours déjà me dérange, j’y vois le ton d’un bréviaire, l’emphase et la souplesse de quelques phrases m’ont conduit, un moment, à penser que le texte avait pu être traduit d’une version en arabe.
La flambée de l'intolérance et de la haine, que vous redoutez, se consumerait vite n’ayant donnée qu’une chaleur factice, mais au-delà vous parlez de tensions civiles graves, d’engrenage maudit (par qui ? dieu ?), de mécanisme de désastre. Même durant la guerre d’Algérie il n’y a jamais eu en France de violence de cette nature ; jamais depuis, le moindre incident majeur, c’est donc une spéculation inutile, un leurre commode. La France n’est pas un pays musulman, ses masses sont moins versatiles, ou plus atones. Si ce que vous évoquez dans la première partie de votre tribune devait avoir une consistance alors il faudrait craindre, dans l’Europe toute entière, des tragédies similaires mais inverses à celles des grecs, des arméniens, des syriaques, des indous, des peuls, et … des pieds-noirs.
Les dénonciations de l’État Islamique par mes « concitoyens musulmans » ne m’ont guère assourdi, ni éteint l’écho des explosions. Nous sommes loin du compte, et le texte du CFCM, assez alambiqué, n’était même pas destiné à être lu publiquement ou incorporé aux prêches. Tragiquement insuffisant écrivez-vous, avant, à votre corpus défendant, de citer le convenu ne faisons pas l'amalgame entre islam et islamisme, autant demander de ne pas faire de lien entre la Bretagne et la Pointe du Raz. Les français en ont assez de la Pravda ; le résultat sera celui du référendum volé de 2005, un traumatisme profond, un enracinement de la pensée contraire.
Prenant appui sur la parabole du ver dans le fruit vous écrivez ensuite un paragraphe qui est, je crois, d’une immense portée ; il m’apparaît comme le pendant français du discours du Maréchal Sissi devant al-Azhar il y a un an. Je pense que tous les députés et tous les maires de France devraient en avoir une impression en gros caractères posée sur leur bureau.
Un résumé, mauvais procédé je vous l’accorde, serait de dire « la religion musulmane est gangrenée par son incapacité à l’évolution » ; je connais quelques islamophobes patentés qui n’oseraient pas l’écrire !
Civilisation et culture musulmane sont vos mots ; soutenez-vous que les musulmans chinois, ceux des États-Unis, ceux du sahel, ceux des Balkans, ceux d’Indonésie, ceux de France et enfin ceux d’Arabie partagent ensemble assez de reflexes sociaux, de références culturelles, de pratiques civiles, d’habitudes quotidiennes, de présupposés intellectuels, de sentiment d’appartenance, d’unicité pour que nous puissions parler de civilisation musulmane ? Je ne suis pas loin de le croire, Palmyre à des précédents qui ne sont pas que de pierres ; les miniatures persanes ne sont plus qu’un souvenir et les rituels païens disparaissent en Afrique musulmane.
Après avoir utilisé les mots menacé et incapable dans un sens général qui les oppose – lequel est l’abrogeant ? – vous terminez ce qui est devenu un réquisitoire par l’appel à la marche de l'histoire et à la volonté des hommes !
Comment ne pas vous approuver, mais comment vous suivre alors que c’est ce principe même que réfute le coran, parole incréée d’allah.
Alors pourquoi parler de cancer, de dégénérescence lorsqu’il n’y a que soumission à l’idéologie ; cancer, le bannissement d’Avéroes ? Dégénérescence, l’interdiction de l’imprimerie jusqu’au 18eme siècle ? Enfin dans un élan cathartique vous voici prêt à tout bousculer, il faut régénérer, réinventer, métamorphoser, quelle ambition salutaire, mais après que restera-t-il de l’original ?
Je vous pense trop fin pour ne pas savoir que le fruit véreux est perdu.
Des lors, mais je vous comprends sans doute mal, votre troisième partie m’apparaît comme une déambulation songeuse, celle d’un homme, d’un humain en quête d’universel tout à coup égaré par une carte erronée à laquelle il a cru.
Inquiet même, les clercs éclairés de l’islam seraient impropres à aborder la critique du noyau du dogme ; serais-ce donc là que se forme la problématique de l’archaïsme musulman ? N’est-ce justement pas ce cœur intangible qui empêche les fidèles du coran de devenir sans frein des citoyens qui participent au progrès moral et social général. L’islam n’est-il pas seulement cela, un ensemble de contraintes centripètes, résisterait-il à l’inversion du sens d’action de ses forces ? Il est notable que les musulmans apostats choisissent souvent des sectes chrétiennes dont, au fond, le positionnement réactionnaire est similaire à celui de l’islam – même pacifiques 1,5 milliard d’amishs cela ferait quand même beaucoup !
Le matérialisme anti spirituel que vous désignez comme le point à dépasser pour l’humanité est puissant, productif, il est à l’œuvre depuis longtemps, en Israël même il est sans cesse dénoncé, en Europe c’est cette influence que la révolution à propagé, le culte de l’être suprême, vite abandonné, montrait que cette conséquence avait été identifiée. La désoviétisation de la Russie à vu une lutte entre le renouveau de l’Église Orthodoxe et une course au profit et au consumérisme. Cette spiritualité dégagée du mysticisme, cette posture écologique animée que vous voulez bâtir nomme-t-elle le nouveau de l’Homme ?
Jusqu’à ce point l’intention altruiste dépasse l’incertitude de l’analyse, nous sommes dans le parti-pris d’optimiste, il faut écouter l’appel irénique à une spiritualité mondialisée, au grand métissage de tout dans un Tout indépassable ; répondre au mondialisme destructeur libéral-libertaire, par un mondialisme spirituel globalisant ; je crains que cela soit tout aussi mortifère.
L’universel reste rebelle à l’indifférenciation.
Et puis vous vous reprenez, votre rêverie bute sur la réalité, et qu’appelez-vous à la rescousse pour entreprendre votre conclusion, quelle est la solution … bon sang mais c’est bien sur : le coran !
Français musulman ou musulman de France, philosophe musulman ou musulman diplômé de philosophie, toujours la lancinante question du premier cercle d’appartenance.
Pire, le verset que vous citez n’est-il pas abrogé, les mots qu’il contient n’ont-ils pas besoin de clefs de compréhension ; « l’ami chaleureux » peut-il être pris parmi les associateurs ou les mécréants ? 5:51, 3:28 …
Revoilà la soumission, le travers de l’habitude, l’ornière qui impose le chemin, les exemples frelatés ; ainsi de l’Andalousie qui à l’arrivée des musulmans était une région riche, peuplée, civilisée, administrée, disposant d’infrastructures importantes, d’où vient son sous-développement ultérieur ?
Désirer que les individus puissent grandir en humanité, selon votre belle formule, sans les envelopper par le cercle protecteur d’une nation, seul lieu de la culture ancrée, de l’exercice de la démocratie, du lien avec le temps, est une vue de l’esprit ; ce n’est pas une utopie éclairante mais une impasse.
Le recroquevillement des musulmans dans « leurs » quartiers –ce sont eux qui forment les ghettos– leur famille, leur langue, leurs fêtes et leur nourriture, leur culture en un mot, répond à ce besoin de protection, intime plus que matérielle, ces populations ne trouvent pas cette chaleur persistante dans la nation française. Le partage ne se fait pas sur un commun assez large, les liens ne sont pas assez importants, les mailles sont trop lâches, les pratiques sociales ne sont pas assez superposables, le temps n’y changera rien ; l’évolution du rapport démographique entraînera une confrontation violente.
Les frontières physiques de ces quartiers comment à se dessiner, couleurs des devantures, inscriptions uniquement en arabe, trottoirs encombrés, véhicules mal garés, absence de chiens, terrasses de café masculine, habillement exotique majoritaire, cette frontière que les femmes sortant de l’enclave transportent avec elle par leur accoutrement , est la réponse communautaire d’une culture ayant peur de la mixité ; parce que voilà la réalité ce sont les musulmans qui craignent le mélange, la contamination haram, c’est l’islam qui n’accepte pas la comparaison.
Au fond ce n’est pas tant l’islam que vous voulez sauver en le transmutant que son implantation en France. Le ferment de votre inquiétude c’est de voir que se créent les conditions sociologiques d’un divorce consommé, qu’une alternative émerge sur le modèle de la révocation de l’Édit de Nantes.
L’Histoire nous montre que la France a, en vérité, peu souffert de ce choix politique.
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