Spinoza, célèbre victime de l’obscurantisme
Albert Einstein, qui avait pu bénéficier d'un accès privilégié à la bibliothèque des oeuvres de Spinoza fut abasourdi de découvrir tant de sagesse, de richesse, d'audace et d'intelligence chez ce philosophe détesté de son temps. Il lui dédia un poème spécial : « que j'aime cet homme noble plus que je ne puis le dire. Pourtant, je crains qu'il ne demeure seul auréolé de sa lumière. » (Albert Einstein, poème « pour l'Ethique de Spinoza, écrit le 2 novembre 1920).
Vous ne trouverez pas plus opposé au communautarisme que Baruch Spinoza qui accepta de payer le prix fort son choix de penser librement, par lui-même. Il aurait pu se soumettre à sa communauté. Le rabin lui proposa même un poste prestigieux mais il refusa tout compromis au nom de la recherche de la seule vérité.
"Le problème Spinoza" de l'écrivain Yalom raconte de façon romancée comment le jeune philosophe fut excommunié par un rabin fanatique : celui-ci déclara publliquement un "herem" envers Spinoza, et le bannit à vie de sa communauté. Quel était le crime du jeune philosophe, reconnu pourtant comme le représentant le plus prometteur de sa communauté pour son esprit savant ? Avoir défié la pensée dominante en posant des questions de bon sens sur les miracles et autres affirmations contenues dans la Torah - mais le plus souvent dans les interprétations personnelles des hommes savants qui l'ont commentée - et qui à ses yeux ne reposaient sur aucune cause rationnelle.
L'excommunication, le "herem" en hébreu, prononcé contre lui fut d'une exceptionnelle violence. En fait, Spinoza joua le rôle de véritable bouc-émissaire. Le herem prive un homme de la communauté de tous droits, à l'exception de celui de survivre (enfin, s'il y parvient). Elle interdit tout commerce, toute transaction, toute profession, tout enseignement ou étude, dans la communauté dont il est chassé. Il y bien plus : celui qui est frappé d'un herem n'a plus le droit à aucun contact avec sa famille. La religion légifère donc et réprime au sein même des foyers !
La haine, un choix volontaire de l'obscurantisme religieux
Etant aussi interdit de publier, le jeune Baruch dut se replier sur une activité qu'il connaissait : le polissage de verres.
Spinoza qui avait longtemps observé l'effet des passions religieuses sur le comportement de ses contemporains fut victime d'un attentant au couteau, frappé par un illuminé qui criait "hérétique ! Hérétique !" Ce fait n'est évidemment pas sans rappeler d'autres faits, contemporains ceux-là, et concernant une autre religion. Tout comme des islamistes tuent des musulmans au 21ème siècle de l'ère chrétienne, des Juifs étaient appelés officiellement à haïr et à attenter à la vie de leurs frères au nom d'une vision plus qu'excessive de la foi. Dans les deux cas de figure, il y a légitimation officielle de la haine par l'autorité religieuse. Comme quoi, la haine est bien une composante délibérée des religions. Le catholicisme a, pour ce qui le concerne, prôné la haine envers des femmes déclarées sorcières et jetées dans des bûchers.
Molla Sadrâ Shîrâzî, philosophe iranien (1571 - 1636) eut lui aussi à se plaindre de l'aveuglement des doctes religieux. Ce philosophe n'est pas n'importe qui : héritier des sages de la Perse zoroastrienne et des penseurs chiites, il avait aussi l'esprit très ouvert aux philosophes antiques.
Ce qu'il écrit dans "Le Livre des pénétrations métaphysiques" (Verdier, 1988, traduction d’Henry Corbin) est encore valable aujourd'hui où les Lumières n'ont pas encore remporté la partie sur l'ignorance, le dogmatisme et la haine obscurantiste.
« Dès l’aube de ma jeunesse, j’ai consacré mes efforts, dans toute la mesure où le pouvoir m’en avait été donné, à la philosophie divine [la métaphysique]. […] J’ai constaté l’hostilité que l’on s’attire de nos jours à vouloir réformer les ignorants et les incultes et j’ai vu briller de tout son éclat le feu infernal de la bêtise et de l’égarement dont la source n’est autre que la misère malsaine et la médiocrité des élites. […] En raison de leur hostilité à l’égard de la connaissance et de la gnose mystique et parce qu’ils rejettent totalement la voie de la philosophie sagesse, de la certitude personnellement vécue et de l’argumentation, [ces gens] demeurent interdits et privés des sciences sacrées et divines […]. Alors cet étouffement de l’intelligence et cette congélation de la nature s’ensuivant de l’hostilité de notre époque me contraignirent à me retirer dans une contrée à l’écart, me cachant dans l’obscurité et la détresse, sevré de mes espérances et le cœur brisé […]. »
Deux philosophes intègres, deux esprits très éclairés
Molla Sadrâ Shîrâzî, puis Baruch Spinoza, furent les esprits les plus sages et les plus aiguisés de leur époque. Aujourdhui, chacun le reconnaît.
La théorie de Sadrâ Shîrâzî est qu'il faut tenir compte à la fois du principe interne de transformation des choses, appelé « nature », et de l'acte perpétuel de création, une causalité horizontale et une causalité verticale. En d'autres termes, l'homme n'est pas qu'un être en devenir, il est aussi création et projet par le jeu de sa volonté et par conséquent de sa propre liberté. Il voit dans la philosophie un moyen, à la fois, de perfectionnement de l'âme et investigation intellectuelle par argumentation logique.
Le philosophe iranien affiche la même obsession qu'aura Spinoza : la recherche de la perfection. Pour lui, "la recherche de ce qui est supérieur est implantée dans la complexion de l’inférieur". "La perfection de la chose et son activité consistent en quelque chose qui est plus intense qu’elle-même en existence et plus noble en essence".
Le bien et le mal au service du dogmatisme religieux
Spinoza avait bien pris conscience que les notions de bien et de mal étaient à géométrie variable selon les autorités qui les édictaient ou les répandaient. Son idée, scandaleusement choquante pour la communauté de son époque, était que le bon et le mauvais sont les deux sens de la variation de la "puissance d’agir" : la diminution de cette puissance (tristesse) est mauvaise, son augmentation (joie) est bonne (Ethique, IV, 41). Est bon ce qui augmente ou favorise notre puissance d’agir.
« Si les hommes naissaient libres, ils ne formeraient aucun concept de chose bonne ou mauvaise aussi longtemps qu’ils seraient libres. »
Ce voeu de liberté sera suivi plus tard par l'inscription sur une plaque de sa maison d'un autre voeu, d'un autre "si..."
« Oh ! Si seulement tous les hommes étaient sages
Et si tous étaient de bonne volonté
La Terre pour eux serait le Paradis,
Mais maintenant, c’est la plupart du temps l’Enfer. »
(vers du poète Dirck Rafaelsz Camphuysen dédiés à Spinoza)
La foi ne devrait-elle pas connaître des limites ? Les première limites ne devraient-elles pas être la haine de l'autre et l'inquisition dans la vie familiale ? L'esprit de tolérance de notre république laïque n'implique-t-il pas d'interdire, sur notre territoire et dans la totalité de notre espace commun, toute propagation d'idées radicalement opposées aux Lumières ? Mais il est vrai que les religions et la Raison se disputent la référence à la lumière. La lumière est, pour les croyants, la vérité de leur foi. Pour les philosophes, elle est la vérité rationnelle. C'est un paradoxe qui reste à élucider (mot dont l'origine se réfère aussi à la lumière) avec une grande lucidité (idem) !
Oui ! « Si les hommes naissaient libres" et "si seulement tous les hommes étaient sages et tous étaient de bonne volonté..." !
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