Borderline... of life ?
Décrits et dénommés en d’autres termes dès la fin du XIXe siècle, les états limites rassemblaient les pathologies ne relevant pas exclusivement de la névrose ou de la psychose, mais se trouvant à leurs frontières. Schizonévrose (Ey), schizophrénie latente (Bleuler), schizose (Claude), schizophrénie pseudonévrotique (Hoch & Polatin), schizoïdie (Kretschmer), et même personnalité narcissique ou psychopathique ou prépsychotique, ont depuis les travaux de Stern (1938) et Eisenstein (1949) cédé la place à borderline ou état limite pour désigner l’intrication de traits névrotiques et psychotiques.
Touchant 2 à 4% de la population générale, soit deux à quatre fois plus que la schizophrénie, motivant jusqu’à 30% des consultations et 15 à 20% des admissions en psychiatrie, cette pathologie de la prodigalité des émotions se trouve de plus en plus en décalage avec la société occidentale. Elle est d’ailleurs peut être même favorisée, si ce n’est pas générée par nos modes de vie et standards sociétaux...
A la différence de la psychopathie, le diagnostic de personnalité borderline est plus souvent posé chez la femme. Cependant, les deux pathologies restent étroitement liées et touchent les deux sexes. Ignorant ses émotions et son angoisse, se croyant fort, ressentant très peu de culpabilité, le psychopathe passe à l’acte hétéro-agressif pour résoudre ses problèmes d’une façon bien sûr pathologique et inappropriée. A contrario, la personne borderline subissant ses émotions de plein fouet, sans réussir à les temporiser ni à les canaliser, est plus victime que prédatrice. Elle éprouve un sentiment de vide, est très anxieuse, connaît des sautes d’humeur déroutantes, peut se montrer verbalement très violente mais physiquement s’en prend plus à elle-même qu’aux autres. Son image de soi particulièrement instable et sa difficulté à se sentir en confiance inhibent ses moyens d’action.
Loin de se trouver aux antipodes l’une de l’autre, ces deux pathologies ressemblent aux deux facettes d’une pièce de monnaie dont le métal serait l’émotion vécue de part et d’autre d’une façon inappropriée. La personne psychopathe ignore superbement ses émotions, tandis que la personne borderline en est tragiquement le jouet.
Cliniquement et sans trop entrer dans les détails, retenons simplement que la personne borderline est :
d’une grande instabilité comportementale et émotionnelle
perturbée dans son identité jusqu’à développer souvent des troubles de la sexualité
vis-à-vis des autres à la fois dépendante et en conflit pouvant aller jusqu’à la rupture
empêtrée dans l’idéalisation et/ou le rejet de l’autre avec un fort besoin d’identification
très
souvent dans la projection de ses affects violents sur son entourage,
l’accusant ainsi d’une agressivité qui n’est autre que la sienne.
coutumière des passages à l’acte le plus souvent auto-agressifs
attirée par les conduites à risque car génératrices d’émotions, malheureusement incontrôlables par le sujet
très
facilement dépendante de substances telles que les stupéfiants,
l’alcool, le tabac, mais aussi du jeu sous toutes ses formes
souvent dépensière et coutumière des achats sur coup de tête
en proie à un sentiment de vide et d’insatisfaction d’où angoisse, dépression et révolte.
En résumé, tout tourne autour des émotions, indispensables à la vie, mais particulièrement difficiles à gérer par la personne borderline. C’est ainsi qu’elle se trouve placée dans une dynamique perverse, demandant et redemandant des émotions qu’elle n’est pas en mesure de supporter. En fait, pour parler trivialement, elle se shoote aux émotions, mais va péter un câble avant même d’avoir complètement assimilé la première dose tandis qu’elle se prépare déjà la suivante...
Néanmoins capables, pour certaines, de stocker très temporairement leur flux émotionnel, elles vont réussir vaille que vaille, et non sans déboires, à maintenir aux prix de titanesques efforts une façade acceptable en société, mais explosent une fois revenues dans leur cercle conjugal ou familial, mettant du coup leurs proches en grande difficulté, allant même jusqu’à les rendre responsables de son état. Mais contrairement aux couples ou familles dont un membre est pervers, dans le cas de la personne borderline, c’est tout le monde qui souffre, à commencer par elle-même. Ainsi, se positionner en censeur, moraliser ou l’ignorer ne fait qu’accroître sa souffrance et génère des émotions provoquant une réaction en chaîne...
D’où la nécessité, face
à une personne présentant ce trouble, de travailler le rôle que l’on
souhaite jouer et d’être soi-même plutôt « maître » de ses propres
émotions. Et quand cette relation se joue au sein d’un couple ou d’un
cercle familial, il n’est pas superflu de proposer aux proches de
prendre du recul dans le cadre d’une psychothérapie de soutien et/ou
d’un travail de relation d’aide. Car d’un point de vue pharmaceutique,
les traitements psychotropes, trop souvent administrés à tort et à
travers, et forcément à visée purement symptomatique, compliquent le
problème plus qu’ils le résolvent en y ajoutant une kyrielle
d’effets indésirables. Seuls les stabilisants de l’humeur (ou
thymorégulateurs), employés aussi pour soigner les personnes atteintes
de troubles bipolaires sont, selon certains praticiens, d’une réelle
utilité. Ce qui montre l’importance de privilégier l’élément humain,
plutôt que de vendre son âme aux laboratoires pharmaceutiques !
Admises en milieu hospitalier le plus souvent en état de crise, les personnes borderline ont premièrement besoin d’un contenant non anxiogène. Ce qui peut paraître contradictoire avec une hospitalisation en psychiatrie. Et pourtant, l’institution, avec ses murs et ses rites, joue le rôle de contenant qu’il appartient aux soignants de rendre le moins anxiogène possible. C’est en cela qu’une attitude bienveillante sans être permissive, chaleureuse sans être familière, aidante sans être infantilisante, directive sans être dictatoriale, favorise le sentiment de sécurité affective et la stabilité émotionnelle dont la personne a besoin. Tout l’art du soignant réside dans cette perception fine des limites à donner à son attitude et dans le développement d’une capacité d’adaptation permettant de trouver très rapidement la bonne position. Particulièrement intuitives, les personnes borderline ont, à l’instar des psychotiques, cette étonnante faculté de percer à jour leurs interlocuteurs. Ainsi, avec elles, il est totalement inutile et particulièrement dangereux de « se la jouer »...
En perpétuel état d’implosion-explosion, les familles et conjoints de personnes borderline ne peuvent faire face seules à la situation. La maladie de l’un oblige l’autre ou les autres, à tantôt subir un typhon, tantôt ramer comme des galériens sur une mer d’huile. En fait, les choses les plus simples deviennent rapidement extrêmement compliquées et seule la mise au repos complet permettrait de vraiment calmer le jeu. Ce qui est approprié en situation de crise mais ne rend pas facile la gestion du quotidien. Pour faire simple, il faudrait à une personne borderline une routine et des habitudes particulièrement rassurantes, mais ses ambitions n’ayant rien à voir avec le cocooning, elle ne peut s’en contenter et y adjoint allègrement des complications génératrices d’émotions. Emotions qui très rapidement la submergent pour, dans son entourage, provoquer immanquablement des dommages collatéraux !
Ceci peut être évité en employant la stratégie du cadeau annoncé. En clair, la surprise totale étant par nature insupportable, il suffit de la dévoiler très partiellement pour lui conserver un caractère stimulant sans devenir pour autant déstabilisant. En la ménageant trop, les proches d’une personne borderline provoquent immanquablement sa colère car elle se sent exclue et infantilisée. Il est alors stratégiquement plus « rentable » et humainement plus valorisant de lui proposer des projets novateurs en balisant leur réalisation par son implication dans leur préparation très détaillée. Dans cette dynamique, un projet qui, pour une bonne raison, ne peut aboutir est très souvent bien accepté, et un projet mené à terme ne provoque pas de décharge émotionnelle gâchant du coup son succès. Les week-ends et les périodes de vacances sont paradoxalement toujours difficiles pour les personnes borderline. Le repos qu’elles présupposent est, en temps que tel, insupportable, car symboliquement connoté d’une incommensurable vacuité. Aussi est-il indispensable de donner à ces temps un cadre structurant où la personne peut trouver des moyens de réassurance et des facteurs d’équilibre.
Dans un contexte socio-économique caractérisé par l’insécurité et obligeant constamment à la performance, non seulement les personnes borderline ont de plus en plus de mal à s’intégrer, mais il n’est pas exclu de penser que ces malades des émotions pourraient être fabriqués par la société. Ils ont néanmoins autant de droits que quiconque et ne peuvent être traités comme des sous-citoyens, sortes d’intouchables des temps modernes, générateurs de contre-transferts massifs. Leur fragilité émotionnelle n’en fait pas pour autant des inadaptés à la vie en société. C’est à la société de les protéger en les valorisant, car les marginaliser revient à céder au doux chant des sirènes eugénistes. Ce qui est malheureusement en train d’arriver sous couvert de dogmes inhumains tels que : compétitivité, mobilité, flexibilité, rentabilité, excellence, etc.
A l’approche de chaque échéance électorale, il serait intéressant d’interpeller les candidats concernant leurs éventuels projets pour ces 2 à 3% de la population générale, dont les bulletins de votes ne pèsent finalement jamais très lourd. C’est à se demander si le récent bertrandien « Plan sommeil » n’aura pas pour effet indésirable de neutraliser le douste-blazyen « Plan psychiatrie santé mentale 2005-2008 » qui, entre nous soit dit, ne concernait explicitement à aucun moment les personnes border line. Comme si 30% des consultations et 15 à 20% des admissions en psychiatrie étaient quantité négligeable ! Dormez, braves gens, dormez, la nuit est calme, dormez !
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