La stérilisation humaine à l’épreuve de la clause de conscience
Connaissez-vous la méthode de contraception la plus largement utilisée dans le monde ? Non, ce n’est pas la pilule. Ni le stérilet. La réponse est donnée par l’Ined (Institut national d’études démographiques) : il s’agit de la stérilisation. Un sujet qui reste épineux du fait de son caractère irréversible. Autorisée par la loi française depuis 2001, elle est parfois difficile d’accès pour les patients qui en font la demande et qui font face aux réticences du corps médical. C’est là tout l’intérêt –et la difficulté– des débats liés à la bioéthique : ils touchent à des sujets sensibles de la vie, qui s’ancrent dans le réel. Les situations questionnées sont vécues par des individus de chair et d’os doués de pensée, qu’il s’agisse de patients ou de professionnels de santé. Saviez-vous que dans certains cas, justement, ces derniers peuvent recourir à une clause de conscience qui leur garantit le droit de ne pas accomplir un acte qui heurterait leur éthique ? Cette clause, qui s’applique notamment à ce qui touche au commencement et à la fin de la vie, peut en revanche poser problème du fait de l’opacité qui l’entoure. Voici quelques repères pour comprendre la question de la stérilisation et ses enjeux.
« Contraception définitive » : de quoi parle-t-on exactement ?
Officiellement, en France, on l’appelle « stérilisation à visée contraceptive » ou encore « stérilisation volontaire ». Il s’agit d’une opération visant à empêcher définitivement la fécondation, par ligature ou ablation des trompes de fallope pour les personnes dotées d’un utérus, ou par ligature ou section des canaux déférents pour celles dotées d’un pénis. Dans le premier cas, la fécondation est rendue impossible du fait que la liaison entre les ovaires et l’utérus n’existe plus : l’ovule meurt donc en amont et ne risque plus de rencontrer les spermatozoïdes. Dans le deuxième cas, ce sont les spermatozoïdes qui meurent sans pouvoir rejoindre, via les canaux déférents, la prostate qui sécrète le liquide dans lequel ils évoluent. Là encore, il ne peut donc plus y avoir de fécondation lors du rapport sexuel. Dans les deux cas, l’opération est considérée comme irréversible et la contraception est donc définitive. Il va sans dire qu’une telle décision doit donc être choisie en toute conscience.
Les avantages de la stérilisation volontaire :
- La pérennité : on y a recours une seule fois et la contraception est assurée à vie ;
- La fiabilité : pas de risque d’oubli, pas de risque de détérioration du dispositif ;
- La santé : aucun effet secondaire, pas de modification hormonale ;
- La sérénité : la charge mentale liée à la contraception s’envole.
La stérilisation affiche la meilleure efficacité théorique (appelée indice de Pearl) et la meilleure efficacité pratique. Sauf si le chirurgien pratique un dépassement d’honoraires, l’opération est entièrement remboursée.
La stérilisation à visée contraceptive pose-t-elle problème ?
En-dehors de son caractère définitif, qui est un avantage pour les personnes l’ayant choisie pour cette raison, la stérilisation peut poser quelques difficultés. Ce genre d’opérations étant relativement récent, on a pu voir éclater un scandale il y a quelques années concernant l’une des méthodes proposées. Dénommée « Essure », la pose de minuscules ressorts sans recourir à une coelioscopie avait été mise en avant du fait de sa simplicité et de son caractère non-invasif. Malheureusement, de nombreuses personnes en ont souffert par la suite et il s’est avéré que des particules de métal avaient pu migrer dans les tissus organiques : impossible de les retirer. Cette méthode a depuis été interdite en France jusqu’à nouvel ordre. Notons également que d’autres opérations conduisant à la stérilité existent : l’hystérectomie, qui est une ablation de l’utérus, et l’ovariectomie, qui consiste à retirer les ovaires et conduit donc à une ménopause prématurée. En plus d'entraîner l’infertilité, ces opérations plus lourdes ont pour conséquence de supprimer les règles. Elles ne sont en revanche pratiquées que dans des cas très précis et ne font pas partie, en soi, des méthodes de stérilisation sans risques. Malgré ce cadre bien établi, de nombreux professionnels de santé se refusent à pratiquer une telle opération. D’où vient ce droit et que dit-il ?
La loi, l’individu et la liberté de conscience
Un principe fondateur de la République
La liberté de conscience apparaît dans les grands textes fondateurs, que ce soit dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme, dans la Convention européenne des droits de l’homme élaborée par le Conseil de l’Europe, ou dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. La République française l’inscrit comme « principe fondamental reconnu par les lois de la République » dans sa Constitution, lui donnant une importance supérieure aux lois ordinaires qui ne peuvent donc pas y porter atteinte. Concrètement, cette valeur constitutionnelle permet donc à certains professionnels tels que les avocats ou les journalistes de pouvoir se soustraire à des obligations légales du fait de valeurs personnelles ou religieuses qu’ils choisissent librement. Du côté de la santé, cette liberté figurait dès 1947 dans le Code de déontologie médicale sans être pour autant nommée ainsi.
Une liberté reconnue par la loi Veil et reconduite dans la loi de 2001
C’est à la faveur des débats houleux autour de la dépénalisation de l’Interruption volontaire de grossesse (IVG) que cette liberté a finalement été inscrite dans la loi en 1975. Face à la résistance de différentes instances, l’ajout d’une clause de conscience spécifique a permis un compromis législatif. La loi est donc passée, tout en stipulant qu’aucun « médecin n’est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse », et les modalités de ce droit. Même procédé pour la loi de 2001 relative à la stérilisation à visée contraceptive : la loi permet à toute personne majeure d’y avoir recours sans autre condition que son consentement éclairé, et garantit au médecin cette même liberté de s’y refuser.
Et l’éthique dans tout ça ?
Toucher à la vie
Pourquoi refuser de stériliser une personne qui en fait la demande explicite ? Diverses raisons peuvent être évoquées. En termes purement bioéthiques, il s’agit d’une opération qui modifie définitivement ce qui est au cœur de la vie : la reproduction. Peut-on modifier à ce point la nature d’un individu ? Comment être certain que la personne qui est sûre d’elle aujourd’hui ne regrettera pas demain ? C’est la question qui revient inlassablement dans les débats à ce sujet. C’est d’ailleurs pour cela qu’on parle de consentement éclairé.
Le cas de la transidentité
Ces considérations éthiques peuvent-elles être à géométrie variable ? On peut se poser la question lorsqu’on sait que les personnes trans ont beaucoup plus facilement accès à la stérilisation lorsqu’elles en font la demande. D’ailleurs, elles y sont encore invitées par le corps médical bien que cela ne soit plus une obligation. Jusqu’en 2016 il était nécessaire, en vue d’obtenir un changement d’état civil, de prouver qu’on avait eu recours à la stérilisation. Si cette obligation n’est plus d’actualité, une certaine pression médicale règne encore. Il n’est pas rare que les médecins fassent « choisir » la stérilisation à ces personnes pour éviter tout risque (hypothétique) d’encourir des problèmes de santé liés à la prise d’hormones et à la conservation de l’appareil reproducteur. Peut-on alors parler de choix délibéré ?
Et si le consentement est invérifiable ?
Le cas des personnes souffrant d’un handicap mental et placées sous tutelle ou curatelle est différent. Considérant qu’il est impossible de recueillir un consentement éclairé, la loi ne prévoit le recours à la stérilisation que si preuve est faite qu’aucun autre moyen de contraception n’est envisageable. C’est le juge des tutelles qui est amené à prendre la décision suite à une enquête.
Quels sont les contours légaux de la clause de conscience ?
Du côté des médecins, il faut noter que les droits impliquent des obligations. La loi rappelle que le médecin qui invoque la clause de conscience se doit d’en informer clairement son patient dès la première consultation. Le code de la santé publique stipule qu’il doit fournir une « information claire, loyale et appropriée ». S’il refuse d’intervenir, il doit donc donner au patient les informations, les conseils et les moyens lui permettant d’obtenir une prise en charge adaptée, ceci afin de garantir l’accès aux soins.
Entre conscience et errance, difficile d’ajuster la balance
Un parcours semé d’embûches
Le fait que chacun puisse agir selon sa propre éthique n’est pas à remettre en cause. Cependant, l’application de cette clause de conscience spécifique pose problème aujourd’hui pour plusieurs raisons. D’innombrables personnes errent en quête du médecin qui acceptera de pratiquer une opération que la loi leur concède et que les praticiens refusent. La clause de conscience leur étant acquise, nombreux sont les médecins qui refusent ne serait-ce que de réorienter les patients vers un confrère susceptible de les aider, puisqu’ils n’en ont pas l’obligation. C’est alors au patient de rechercher le gynécologue ou l’urologue qui acceptera de l’opérer. Commence alors un parcours long et difficile, quand les praticiens ne stipulent pas dès le départ, comme le leur demande la loi, qu’ils refusent de pratiquer cet acte. Plus grave encore, des médecins ne semblent toujours pas informés de la loi de 2001 et affirment aux patients venus les voir que leur demande est illégale et que personne n’acceptera de les opérer.
Des patients en manque d’écoute
Le rôle des professionnels de santé est bien d’accompagner les patients et de les conseiller. C’est pour cela que chaque rendez-vous concernant une demande de stérilisation doit commencer par un tour d’horizon de toutes les autres méthodes de contraception envisageables, et une explication des risques de l’opération. On peut malgré tout, parfois, se demander où s’arrête l’éthique et où commence la prise de position. Prenons le cas de cet urologue qui refuse la stérilisation et brandit le spectre des regrets à un homme qu’il imagine refaire sa vie avec une autre femme ou perdre l’un de ses enfants. Prend-il réellement en compte les aspirations de son patient, sa psychologie, en un mot son individualité, ou reproduit-il un schéma applicable d’après lui à tous et pour toujours ? Et cette gynécologue, qui refuse de pratiquer la stérilisation sur une jeune femme sans enfants et exige qu’elle prenne le temps la réflexion jusqu’à ses trente-cinq ans. Dans le même temps, elle l’invite à arrêter le préservatif et à passer au stérilet pour « s’assumer » et ne pas risquer de revenir quelques mois plus tard pour une IVG. Cette professionnelle prend-elle en compte le parcours, les angoisses et les certitudes de sa patiente, ou projette-t-elle ses propres convictions sur elle ?
Les conséquences dramatiques du manque d’accès aux soins
Les patients qui font la demande d’une stérilisation ont généralement déjà testé plusieurs moyens de contraception. Ils s’orientent vers cette opération en connaissance de cause. Leur errance conduit justement à des situations dramatiques comme une grossesse non désirée voire un déni de grossesse. À ce moment-là, retour à la case départ des questions d’éthique, parfois au prix d’un traumatisme profond. Garder et élever un enfant non-désiré ? Avoir recours à l’IVG s’il est encore temps ? Et s’il est trop tard, que faire ? Accoucher sous X ? On voit alors que les sujets de bioéthique sont intimement liés entre eux et doivent être traités avec la plus grande présence d’esprit.
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