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Accueil du site > Actualités > Santé > Le destin tronqué de Vincent Lambert

Le destin tronqué de Vincent Lambert

« Tout est noir. Je suis dans le noir. (…) J’ai beau regarder de toutes mes forces, je ne vois rien. Rien que ce noir profond. Ai-je les yeux ouverts ou fermés ? Je l’ignore. Que s’est-il passé ? Je l’ignore également. Je sais seulement que je ne suis pas seule : j’entends quelqu’un à côté de moi. (…) En fait, c’est comme si l’hôpital m’était tombé sur le dessus… C’est cela : comme s’il y avait eu un tremblement de terre, et que j’étais ensevelie sous des tonnes de décombres. » (Angèle Lieby, "Une larme m’a sauvée").

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Au moment où l’on parle de supprimer l’ENA, on pourrait en profiter pour se demander si cette école d’application qui regroupe l’élite de la nation a su préparer les futurs magistrats du Conseil d’État à se prononcer sur la vie ou la mort d’un de leurs compatriotes parmi les plus fragiles. J’ai une idée de la réponse.

Ce fut ce mercredi 24 avril 2019 vers 14 heures 30 que le Conseil d’État, l’instance suprême de la justice administrative, réuni le 29 mars 2019, a rendu son verdict, et il s’agit hélas d’un verdict. Il autorise la procédure d’arrêt de soins pour, ou plutôt, contre Vincent Lambert. Cela signifie concrètement qu’il autorise une procédure de fin de vie (amorcée par le CHU de Reims le 9 avril 2018 et confirmée par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne le 31 janvier 2019) qui va inéluctablement entraîner la mort de Vincent Lambert en dépit des avis de nombreux experts. Le Conseil d’État, qui avait annoncé le 29 mars 2019 qu’il prendrait sa décision environ trois semaines plus tard, a eu l’élégance de ne pas la communiquer le Vendredi Saint, le 19 avril 2019, soit trois semaines exactement plus tard.

Répétons-le : Vincent Lambert n’est pas en fin de vie. Vincent n’est pas à "débrancher" parce qu’il n’a aucun branchement pour pouvoir vivre. Comme 110 000 autres personnes qui soutiennent Vincent, je suis triste et dans l’incompréhension d’une telle décision, du reste peu étonnante puisqu’elle reprend la même décision rendue le 24 juin 2014. On voit d’ailleurs, avec cette histoire judiciaire, à quel point il est faux de parler de "fin de vie" pour Vincent, puisqu’il est toujours vivant, et en état stable. Il y a un acharnement judiciaire à ne pas vouloir le soigner.

À court terme, les avocats qui défendent Vincent ont fait deux recours, un auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, mais aussi un autre auprès du Comité international des droits des handicapés en application de conventions auxquelles la France a adhéré.

Cette décision du Conseil d’État reste incompréhensible car les experts judiciaires avaient précisé le 22 novembre 2018 que, bien qu’en état supposé irréversible (ce qui n’a jamais été démontré, voir en fin d’article), Vincent Lambert n’était pas dans une situation où le maintien de sa vie pourrait être considéré comme une obstination déraisonnable, or, selon la loi Claeys-Léonetti, c’est le seul cas où l’arrêt des soins peut être décidé.

En avril 2018, une soixantaine de médecins spécialisés dans les soins de patients dans cet état grave de conscience minimale avaient pris leur plume pour soutenir Vincent et surtout, demander son transfert dans une unité spécialisée. Actuellement, Vincent est enfermé et il n’a aucune stimulation pour l’aider à progresser, il est dans un hôpital qui n’a pas son handicap en spécialité et il est au service de soins palliatifs. Vincent Lambert n’est pourtant pas en fin de vie. Ses parents le visitent tous les jours, dans des conditions rendues pénibles par l’hôpital lui-même.

Son épouse soutient qu’il avait la volonté de ne pas poursuivre ainsi sa vie, mais la réalité a montré qu’il s’est accroché à la vie. Il l’a démontré notamment lorsqu’il fut privé de nourriture pendant cinq semaines. Avant son accident, et bien que très concerné par son métier d’infirmier, il n’avait d’ailleurs laissé aucune consigne, aucune directive anticipée, n’avait pas même désigné de personne de confiance pour le suppléer dans une telle situation.

Les experts judiciaires aussi avaient recommandé que Vincent puisse être transféré dans un établissement adapté à son handicap. Il n’est sous aucune assistance ni respiratoire ni cardiaque. Il n’a aucun tuyau. Il n’est pas en "état végétatif" comme les médias négligents le laissent entendre. Il est d’abord une personne humaine et à ce titre, il a le droit à des égards, à sa dignité, pas d’être traité de plante.

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Cette décision du Conseil d’État est un acte grave de conséquence. Elle signe le début de l’élimination des plus faibles, des plus fragiles, ceux-là mêmes qui sont dans l’incapacité de s’exprimer, d’exprimer leur volonté. Les considérations financières des hôpitaux multiplieront nécessairement ce genre de procédure, d’autant plus facilement que le patient n’aura pas de soutien de la part de personnes valides, ce qui n’est heureusement pas le cas de Vincent qui bénéficie d’un soutien de plus de 110 000 personnes dont beaucoup d’amis et de membres de sa famille.

Ses proches ont exprimé leur révolte dans un communiqué ce 24 avril 2019 : « Vincent Lambert est dans un état stable. Il n’est pas en fin de vie. Il n’est pas sous assistance respiratoire ni cardiaque. Il n’a pas perdu le réflexe de déglution. Ses parents qui le visitent chaque jour voient bien qu’il n’est pas un légume décrit par les médias et beaucoup de médecins le constatent avec eux. (…) Vincent Lambert est un très grand handicapé, en état de conscience minimale, mais beaucoup d’autres le sont comme lui et accepter qu’il trouve la mort dans les conditions d’une euthanasie déguisée condamnerait de facto tous ses semblables. ».

Comment une instance d’État peut-elle avaliser la mise à mort d’une personne alors qu’elle n’a jamais exprimé une telle volonté, qu’elle n’est pas en fin de vie, qu’elle n’est pas en situation d’obstination déraisonnable (pas d’acharnement thérapeutique), et plus encore, même si les conditions précédentes étaient réunies, alors qu’il n’y a pas consensus parmi ses plus proches (opposition entre son épouse et ses parents) ? Le moindre doute, la moindre faille de consensus, devrait nécessairement bénéficier à la solution la moins irréversible possible. Il faut au moins que Vincent puisse être soigné correctement, puisse être stimulé pour pouvoir évoluer.

L’un des arguments est que son état serait lui-même "irréversible", mais cela est le cas de dizaines voire de centaines de milliers de personnes en situation de handicap. Est-ce suffisant pour le conduire à la mort en toute légalité ? Cette conception des valeurs me fait frémir et c’est une société dans laquelle je ne souhaite pas vivre car je crois au rôle régalien de l’État de protéger les plus fragiles.

Cette situation est d’autant plus scandaleuse que la veille, 23 avril 2019, hasard de l’actualité, la BBC a révélé qu’une habitante des Émirats arabes unis, Mounira, qui avait été victime d’un accident de la circulation en 1991 et qui était plongée depuis vingt-sept ans dans le coma, un état pire que celui de Vincent, a repris connaissance en janvier 2018 dans un hôpital allemand où elle avait été transférée. Son fils Omar, qu’elle avait protégé dans ses bras lors de l’accident, a déclaré à la BBC : « J’ai toujours cru que l’état de santé de ma mère allait s’améliorer. » alors que les médecins avaient été très pessimistes sur les chances d’évolution. Elle avait 32 ans au moment de l’accident, elle a maintenant 60 ans.

La réalité, c’est qu’aucun médecin sérieux ne peut donner de pronostic véritablement pertinent tant il y a des "réveils" inexplicables. Vincent Lambert a besoin de meilleurs soins pour le stimuler, pour renforcer son éveil, et pour l’amener à progresser. Il est loin d’être en fin de vie. Mais il faut accepter qu’il y a encore un long chemin. Rien n’est facile dans ces situations extrêmes comme celles-ci, mais la mort ne peut, ne doit jamais être la solution, et encore moins la solution choisie par l’État, contre l’avis de très proches, à moins de changer radicalement nos valeurs et nos priorités…

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Je terminerai par cet appel, déjà ancien, de Philippe Pozzo di Borgo dont le livre témoignage a servi de base à l’excellent film "Intouchables" : « Si vous m’aviez demandé lors de mes quarante-deux ans de "splendeur", avant mon accident, si j’accepterais de vivre la vie qui est la mienne depuis vingt ans, j’aurais répondu sans hésiter, comme beaucoup : non, plutôt la mort ! Et j’aurais signé toutes les pétitions en faveur d’une légalisation du suicide assisté ou de l’euthanasie. Quel "progrès" ! Mais quelle violence faite aux humiliés, à la vie aux extrémités ; comme s’il n’y avait de dignité que dans l’apparence et la performance. La dignité, nous la trouvons dans le respect dû à toute personne, dans l’accompagnement avec tendresse et considération, dans l’acceptation de la fragilité inhérente à la création. Qu’il est surprenant d’adhérer à la lutte pour la survie des espèces menacées et de me la refuser ! Redonnons un peu de fraîcheur au mot de dignité, ne réduisons pas la dignité à la dignité d’apparence. (…) La dignité est le respect dû à la personne : ne touchez pas l’Intouchable ! » ("Ouest France" du 23 juin 2014).

La dignité de Vincent, c’est de l’accompagner dans sa vie pour qu’il puisse recevoir le maximum de confort et qu’il puisse, le cas échéant, être en mesure de progresser. Cela nécessite son transfert dans une unité spécialisée. Les solutions existent et une place l’attend depuis plusieurs années dans plusieurs établissements en France. Pourquoi l’enfermer jusqu’à la mort dans cet hôpital de Reims qui n’a manifestement pas les compétences pour soigner des personnes dans cette situation ?


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (24 avril 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Les illustrations sont des œuvres de l’artiste Egon Schiele.


Pour aller plus loin :
Le destin tronqué de Vincent Lambert.
Vincent Lambert entre la vie et la mort.
La tragédie judiciaire et médicale de Vincent Lambert.
Le retour de la peine de mort prononcée par un tribunal français.
Le livre blanc des personnes en état de conscience altérée publié par l’UNAFTC en 2018 (à télécharger).
Vincent Lambert et la dignité de tout être humain, des plus vulnérables en particulier.
Réglementation sur la procédure collégiale (décret n°2016-1066 du 3 août 2016).
Le départ programmé d’Inès.
Alfie Evans, tragédie humaine.
Pétition : soutenez Vincent !
Vers une nouvelle dictature des médecins ?
Sédation létale pour l’inutile Conseil économique, social et environnemental.
Vincent Lambert et Inès : en route vers une société eugénique ?
Le congé de proche aidant.
Stephen Hawking, le courage dans le génie.
Le plus dur est passé.
Le réveil de conscience est possible !
On n’emporte rien dans la tombe.
Le congé de proche aidant.
Un génie très atypique.
Les nouvelles directives anticipées depuis le 6 août 2016.
Un fauteuil pour Vincent !
Pour se rappeler l'histoire de Vincent.
Dépendances.
Sans autonomie.
La dignité et le handicap.
Alain Minc et le coût des soins des "très vieux".
Euthanasie ou sédation ?
François Hollande et la fin de vie.
Les embryons humains, matériau de recherche ?
Texte intégral de la loi n°2016-87 du 2 février 2016.
La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016.
La leçon du procès Bonnemaison.
Les sondages sur la fin de vie.
Les expériences de l’étranger.
Indépendance professionnelle et morale.
Fausse solution.
Autre fausse solution.
La loi du 22 avril 2005.
Chaque vie humaine compte.


 


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10 réactions à cet article    


  • Loatse Loatse 25 avril 2019 12:04

    Bonjour Sylvain,

    Voici je pense deux documents qui pourraient vous intéresser... l’un est un mémoire sur les états pauci relationnels et végétatifs, dans le cadre de la recherche en ethique... les relations, liens qui s’établissent entre les soignants et la personne, le langage corporel que celui ci exprime sous diverses formes (contractions musculaires spécifiques notamment)

    Rappelons que le Comité Consultatif National d’Ethique les considère comme des personnes humaines particulièrement vulnérables, pas comme des personnes en fin de vie !

    La réponse collective, nous dit l’auteur de ce mémoire, ne s’entend pas comme une norme à appliquer, mais comme une proposition que fait la société...

    et la société, si j’en crois les commentaires du figaro, qui m’ont laissé les cheveux quasi dressés sur la tête, reflètent parfaitement la culture de mort qui est devenue la nôtre, pour faire bonne mesure, la question du coût des soins apportés à ces personnes, semble primordiale pour beaucoup...

    Le deuxième lien tout aussi intéressant, démontre de manière factuelle, qu’il est possible d’amener une personne en état dit végétatif durant 15 ans, à interagir avec son entourage, et ce, grâce à une stimulation du nerf vague (si j’ai bien compris)

    La médecine progresse en ce domaine... pourquoi n’en parle t’on pas ? C’est tout de même extraordinaire comme avancée !

    http://www.france-traumatisme-cranien.fr/upload/actions/evcpcr/v.-saout.pdf

    https://www.francetvinfo.fr/societe/euthanasie/vincent-lambert/lyon-un-patient-en-etat-vegetatif-retrouve-une-conscience-minimale_2393476.html



    • Loatse Loatse 25 avril 2019 14:27

      @oncle archibald

      merci pour le lien. j’avais vu des docs télés traitant de ce génocide dont on ne parle peu...voir pas du tout... mais ce lien est très complet, très précieux et utile aussi pour comprendre comment on peut perdre toute humanité...

      ce qui nous parait monstrueux, selon le contexte peut, qui sait, nous apparaître comme « normal, banal » si nous n’y prenons garde.

      Qui nous dit qu’en europe, demain, nous n’entendrons pas des sommités dans leur domaine proférer des monstruosités telle que celle ci : (dans ton lien, je cite) ?

       « La mort des malades incurables est une délivrance pour eux-mêmes, et ensuite pour la société d’un point de vue économique, émotionnel, et même esthétique. »


    • ZenZoe ZenZoe 25 avril 2019 14:51

      Les avancées médicales posent la question des soins actifs versus les soins palliatifs. Si les soins actifs (ramener à la vie) ne posent évidemment aucun problème éthique, en revanche les soins palliatifs (accompagner vers la mort) amènent immanquablement celui de l’acharnement thérapeutique, appelé aussi obstination déraisonnable.

      Où s’arrête-t-on ?

      La loi a pris les choses en main en prenant en considération l’intérêt de la personne. Est-il de l’intérêt de Vincent Lambert de vivre dans un corps inerte sans pouvoir communiquer, et ce sans doute jusqu’à sa mort naturelle puisque son état a été jugé à maintes reprises comme irréversible ? Les conditions dans lesquelles ses parents veulent le maintenir sont-elles dignes ou indignes, prennent-elles en compte une possible souffrance mentale (et peut-être même physique) intolérable ?

      L’auteur prétend que nous vivons dans une culture de la mort. C’est faux. Au contraire, nous faisons tout pour ne pas l’affronter, et nous refusons de considérer que la mort et la vie sont indissociables. Nous refusons la mort.

      Les parents de Vincent Lambert refusent sa mort. C’est d’autant plus étrange de leur part qu’ils se disent catholiques, et donc croient en une vie céleste après la mort terrestre, un paradis certainement grand ouvert à leur fils. Alors quel est leur problème exactement, à part passer pour des monstres pour une grande partie de leurs semblables, encombrer les tribunaux et faire suer un personnel médical débordé qui aurait bien d’autres chats à fouetter ?


      • foufouille foufouille 25 avril 2019 15:46

        @ZenZoe
        il restera ensuite 1500 autre personnes à laisser crever car elles « dérangent » le personnel médical.


      • ZenZoe ZenZoe 25 avril 2019 18:45

        @foufouille
        Voilààà, tu as parfaitement résumé ma pensée. On les laisse tous crever car ils dérangent le personnel médical.


      • Eric F Eric F 25 avril 2019 21:40

        @ZenZoe
        « corps inerte sans pouvoir communiquer »
        Il existe pourtant des expériences de communication avec des personnes en état de conscience minimale sous imagerie cérébrale, on sait reconnaitre des réactions réflexes par rapport à des réactions commandées (par exemple en demandant de penser à quelque chose de précis).
        Dès lors, qu’un contact serait établi, il pourrait lui être posé la question de SES directives de [fin de] vie
        preuve d’un contact de cette nature :.https://www.youtube.com/watch?v=rN6XQxETdRY


      • Christian Labrune Christian Labrune 25 avril 2019 16:22

        Cette information me plonge dans le dégoût. Comment un pays comme la France, non seulement allié désormais de l’islamo-nazisme iranien peut-t-il de surcroît cautionner des pratiques qui étaient celles du nazisme allemand ? Je suis resté au moins cinq minutes devant l’écran, ne sachant même quoi quoi écrire. Je viens de me rappeler que j’avais déjà proposé ici des articles sur cette question. Ils n’ont évidemment pas été publiés et je vais recopier ici le dernier. Sylvain Rakatoarison me pardonnera sans doute de pirater sa page, puisqu’il convient d’enfoncer le clou et qu’on n’en fera jamais assez.

        Déconstruction d’une idéologie mortifère.

        Texte

        Depuis bien des années maintenant, l’association ADMD répand impunément dans le public sa sinistre propagande pour le droit à « mourir dans la dignité ». Pour qui ne dispose pas d’un minimum de culture philosophique, cet objectif peut paraître séduisant mais il est aisé de mettre au jour ce que dissimule une pareille idéologie.

        Il y a une dizaine d’années, j’avais pu constater que mes élèves pourtant déjà bacheliers mais sensibles à la propagande médiatique, étaient majoritairement persuadés que les hôpitaux étaient remplis de tétraplégiques aphasiques désirant la mort et très empêchés de l’obtenir. Ces gens-là, il fallait bien évidemment les tuer de toute urgence. Un jeune m’avait même dit : « M’sieur, les chiens, quand il sont vieux, on les pique, ça vaut quand même mieux que de les laisser souffrir ! ». C’est ce que voudraient aussi la plupart de ceux qui, souvent en parfaite santé, réclament à cor et à cri une légalisation de l’euthanasie. Qu’on puisse donc enfin piquer comme des chiens les vieux qui en sont au dernier acte ! J’avoue que je ne vois pas très bien où serait l’exigence de « dignité » dans cette manière d’aligner le destin des hommes sur celui des chiens, mais passons.

        Ce que les fanatiques de l’euthanasie sont incapables de comprendre, semble-t-il, c’est qu’il ne suffit pas de « vouloir » mourir, les choses sont loin d’être aussi simples. On s’abstiendra évidemment de porter un jugement sur quiconque a décidé de mettre fin à ses jours librement : il SE tue, c’est son affaire. Mais peut-il demander à UN AUTRE de le tuer ? N’y a-t-il pas dans une pareille demande quelque chose d’exorbitant et qui met en jeu, lors même qu’on à renoncé à la vie et à la liberté qui va avec, lors même qu’on a déjà consenti à l’absolue passivité du cadavre, la liberté de l’autre, celui qui va vous achever ? Parmi les partisans de l’euthanasie, il y en aurait probablement très peu, du moins je l’espère, qui accepteraient de céder à une pareille demande. Ils auraient absolument raison. Pourquoi ?

        Parce que rien n’est plus banal, dans un moment de désespoir ou de dépression, que de se dire qu’on préfèrerait être mort. Lorsqu’on entend de pareils propos, on se garde en général de les prendre au sérieux, on se dit que le sujet est en proie à une souffrance et que c’est à cela qu’il faut d’urgence trouver un remède. Quand le suicidaire entreprend d’enjamber le garde-fou du Pont Neuf pour se jeter à l’eau, l’intention d’en finir paraît tout à fait évidente et néanmoins on essaie d’arrêter, manu militari s’il le faut, le geste irrémédiable. Dans bien des cas, le désespéré ne recommencera pas. On me dira que l’individu qui agit ainsi n’est pas grabataire, qu’il est même souvent en parfaite santé, que sa situation est sans comparaison possible avec celle de l’agonisant. Eh bien, parlons un peu de l’agonisant.

        Dans le cadre actuel de la loi Léonetti, le mourant a le droit, si j’ose dire, de prendre son temps, et la norme est même d’attendre que le processus suive son cours, en utilisant tous les moyens dont on dispose - et ils sont efficaces-, pour faire en sorte que les choses restent supportables physiquement et psychiquement. Personne n’est actuellement fondé à représenter au mourant qu’il y aurait une autre solution plus rapide, réputée moins douloureuse et assurément plus économique pour l’institution hospitalière. Mais si une loi stipulait que c’est un droit de se faire « piquer » comme un vieux chien, il deviendrait tout à fait normal dans ces conditions, et même tout à fait indispensable, d’informer le mourant de tous ses droits, y compris celui d’être achevé. Tout plaiderait évidemment en faveur du droit à disparaître « dans la dignité » : le mourant occupe bien inutilement un lit d’hôpital ; son agonie, si elle se prolonge au delà du souhaitable, va peser lourdement sur le vécu quotidien de son entourage, et de toute façon, au point où vous en êtes, chère Madame ou cher Monsieur, les carottes sont cuites, etc. Bref, la « liberté » de la décision, dans un tel contexte, paraît fort relative, et qui voudrait continuer à vivre ne le ferait que pour compliquer l’existence de tout le monde, il y aurait de sa part beaucoup de mauvaise volonté et même, disons-le, une certaine lâcheté.


        • Eric F Eric F 25 avril 2019 21:43

          @Christian Labrune
          votre commentaire aurait un certain intérêt, si cela n’avait pas une nouvelle fois été l’occasion de glisser un slogan géopolitique hors de propos


        • Christian Labrune Christian Labrune 25 avril 2019 16:24

          Suite du texte ci-dessus

          Mais qui tuerait le malade ? J’évite à dessein l’euphémisme « euthanasier », parce qu’euthanasier, qu’on le veuille ou non, c’est mettre à mort, par des moyens particulièrement expéditifs et il faut appeler un chat un chat. Ce ne sont évidemment pas des médecins, ça n’est pas leur rôle, pas plus que celui du personnel soignant, et la position de l’Académie de médecine (1) sur toutes ces questions est fort claire : on peut laisser mourir lorsqu’aucun traitement n’est plus efficace, éviter l’acharnement thérapeutique, mais certainement pas tuer. Il faudrait donc recruter, sur dossier de motivation, un personnel spécialisé de tueurs, et probablement aussi prévoir des espaces particuliers du côté des morgues, là où opèrent en général les employés des Pompes funèbres. Au reste, pourquoi ne pas rattacher ce personnel un peu particulier à l’administration des Pompes funèbres, ce serait plus simple. De toute façon, l’euthanasie n’impose pas un environnement stérile, on pourrait bien évidemment utiliser toujours la même seringue, un sou est un sou. Les risques d’infection, de maladie nosocomiale, n’existent plus et on n’a plus à craindre je ne sais quel effet secondaire du « médicament » utilisé.

          Toutes ces questions, les partisans de l’euthanasie évitent bien évidemment de les poser. L’intitulé de leur association est du reste extrêmement révélateur du processus de déni du réel qui les caractérise. Pour eux, il ne s’agit évidemment pas de « tuer » le malade, puisqu’il est pour ainsi dire déjà mort. Parlant du cadavre et citant Tertullien, Bossuet, dans son « Sermon sur la mort », le décrit comme « un je ne sais quoi qui n’a plus de nom dans aucune langue ». Les membres d’ADMD pourraient bien dire la même chose de l’agonisant : c’est parce qu’il n’est déjà plus dans un état qui correspondrait à l’idée qu’ils se font d’une vie « digne » qu’ils le tuent. Mais ils se croient fondés à considérer qu’ils ne le tuent pas puisqu’aussi bien il est déjà mort à leurs yeux : l’agonisant, pour eux, même encore conscient, n’est déjà plus qu’une charogne.

          Dans son article « Torture » destiné à l’Encyclopédie, Voltaire remarquait déjà qu’un homme ne peut, en conscience, en torturer un autre. Pour que la chose devienne psychologiquement soutenable pour le tortionnaire, il faut d’abord dégrader l’autre, le priver de sa « dignité » d’homme, en faire une simple chose qui excite la répugnance et le dégoût. Lorsqu’il s’agit de tuer, c’est encore plus vrai. On ne procédait pas autrement dans les camps nazis où ceux qu’on destinait à l’extermination n’étaient plus qu’un troupeau de corps à moitié nus, décharnés et tatoués. L’agonisant n’est donc plus un homme, mais un tas de chair corrompue ; et s’il reste une conscience, il serait irrationnel et indécent qu’elle voulût autre chose que mettre la réalité en accord avec la pseudo-évidence du diagnostic de l’entourage : pour nous, la question est déjà réglée, mon pauvre vieux : tu es déjà mort et la piqûre, dans tout cela, a la légèreté d’une simple régularisation administrative. Mais entre la vie et la mort, il n’y a pas de moyen-terme : en deçà de l’instant fatal où les fonctions vitales s’arrêtent, on est vivant et tout peut arriver ; on a même vu des gens dont l’électro-encéphalogramme paraissait tout à fait plat sortir d’un coma profond après des années. Au-delà de l’instant fatal, en revanche, on est mort, il n’y a plus rien à espérer.

          Il y aurait une solution technique qui permettrait aux partisans de l’euthanasie pour eux-mêmes (si on n’en est pas partisan pour soi-même, je vois mal qu’on puisse la désirer pour les autres !) de supporter la peur panique que la pensée de leur déchéance paraît leur inspirer, sans imposer pour autant leur pathologie particulière à l’ensemble du corps social. On sait que pour limiter le personnel dans les locomotives, la SNCF a mis au point ce système qu’on appelle « de l’homme mort ». A intervalles réguliers, le conducteur du train envoie un signal électrique qui assure le système de sa vigilance. S’il perdait conscience, le train s’arrêterait immédiatement. La technique permettrait aujourd’hui sans grande difficulté d’insérer sous la peau de l’épaule un clavier en silicone où le postulant à l’euthanasie pourrait périodiquement taper un code connu de lui seul. S’il ne le faisait pas, un micro-processeur libèrerait dans la circulation sanguine, après un certain délai, un neuro-toxique puissant qui arrêterait immédiatement les fonctions vitales, ou bien provoquerait une fibrillation cardiaque. Cela fonctionnerait un peu à l’inverse du pacemaker déjà si répandu. Pour les distraits, il conviendrait évidemment de prévoir une alarme ! Si le sujet tombe dans le coma, il meurt dans les délais qu’il aura programmés. S’il tombe soudain dans la paralysie générale, il peut évidemment, en urgence, demander une petite intervention qui désamorce momentanément le système, ce qui sera fait, n’en doutons pas, dans un bon nombre de cas. Le chirurgien qui installe le dispositif ne tue personne, l’individu ainsi appareillé vivra aussi longtemps qu’il le voudra. Il ne s’agit plus de l’euthanasie active qui suppose un TUEUR, mais d’un suicide conditionnel programmé qui, de la part des moralistes les plus rigoureux, ne saurait susciter la moindre objection.

          Il reste qu’on peut aisément prévoir qu’une pareille proposition suscitera l’horreur de ceux qui pourtant devraient s’en réjouir. Pourquoi ? Je suis curieux de lire les réactions qu’on peut aisément prévoir et qui ne manqueront pas de contribuer à éclaircir le débat.

           

          (1)Le point de vue de l’académie de médecine est à cette page :

          http://www.academie-medecine.fr/detailPublication.cfm?idRub=27&idLigne=2097

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