Pandémigate OMS H1N1 : et si c’était pire que des conflits d’intérêts ?

L’OMS vient d’être auditionnée par la commission santé du Conseil de l’Europe, à l’initiative du Dr Wogard, un inconnu jusqu’alors mais qui ne devrait pas tarder à être assailli de microphones et autres caméras. Le motif de cette audition est limpide et s’expose clairement. Le 11 juin 2009, l’OMS annonçait le niveau 6 de pandémie. Quelques semaines plus tard, les laboratoires lançaient la procédure de fabrication des vaccins. L’OMS diffusait des communiqués sur la propagation du virus, sur les décès notifiés, puis cessait de livrer les chiffres en arguant d’un prétexte apparemment bidonné. Pendant cette période cruciale, située entre mai et août 2009, nombres d’experts ont annoncé des spéculations sur la propagation virale et les décès. La presse de masse ne s’est pas fait prier pour relayer les communiqués se voulant inquiétants, pour ne pas dire alarmistes. Quelques mois plus tard, la grande vague pandémique H1N1 s’achevait et les estimations tombaient. Le virus A(H1N1) de 2009 a été nettement moins fatal que ceux des précédentes grippes saisonnières. Partant des faits recensés, il est raisonnable de penser que le déclenchement du niveau 6 et surtout des recommandations vaccinales n’était pas justifié. La raison tente alors de trouver les facteurs expliquant cette mise en œuvre d’une procédure disproportionnée face à la réalité d’une menace que les experts ont largement surestimée. Il s’est produit manifestement une série de fautes. Et c’est en raisonnant ainsi que le Dr Wodarg émet quelques soupçons de conflits d’intérêt entre les experts et les laboratoires pharmaceutiques en charge de préparer les vaccins. Ces soupçons sont légitimes dans la mesure où ces experts de la grippe auraient une double casquette. Etant rémunérés par l’industrie pharmaceutique (et l’OMS), on peut supposer, comme le fait Wodarg, qu’ils aient été inclinés à aggraver la menace grippale et donc, on est en droit d’exiger plus de transparence. Il semble que six des huit membres du comité stratégique ayant conseillé M. Chan soient rattachés de manière intéressée à des laboratoires.
La vérité sera-t-elle établie ? Il sera difficile, comme je l’écrivais il y a deux mois, de mettre à jour les conflits d’intérêts sauf à mettre les experts sous hypnose et leur arracher les motivations intimes de leur décision. De plus, axer l’enquête sur ce volet risque d’écarter une autre hypothèse que je vais exposer brièvement. Les experts de l’OMS, ainsi que ceux nommés par Mme Bachelot, ont-il péché par incompétence ? Cette question se pose. Elle engage le fonctionnement des systèmes publics sont celui de la santé. On peut penser que les conflits d’intérêts avérés ne seraient qu’un moindre mal. Un défaut pouvant être corrigé par des règles. Et qui ne met pas en cause l’institution. Par contre, envisager des incompétences constitue une hypothèse plus inquiétante. L’OMS serait-elle devenue un repaire de spécialistes incompétents venus arrondir leurs fins de mois ? La question se pose aussi pour les 17 (paraît-il) experts choisis par la Ministre Bachelot pour piloter la lutte anti-pandémique. Il faut établir les responsabilités et ne pas tout faire reposer sur l’OMS. Après tout, la Pologne s’en est très bien tirée avec cette grippe en se passant des vaccins. Mais bien des pays sont en droit d’obtenir des réponses sur cette alerte pandémique qui les a conduit à mobiliser leur système de santé en engageant des dépenses exorbitantes pour contrer une grippette.
Un document important à verser dans ce dossier. Le Haut conseil de la santé publique avait émis, suite à une saisine de la DGS (direction de la santé, autrement dit, la « Bachelot team »), un avis sur la chose. Il en ressort deux éléments importants. D’abord le constat d’une impossibilité à évaluer la dangerosité du nouveau virus, autrement dit, dans le texte, une « incertitude sur la gravité de la grippe ». Ensuite, ce comité a « estimé inopportun, dans l’état actuel des connaissances, que les vaccins antipandémiques puissent faire l’objet d’une obligation vaccinale, tant en population générale que pour les personnes fragilisées ou les personnels de santé ». Les experts de la ministre n’ont visiblement pas suivi ces recommandations, pourquoi ?
Fiasco, le mot est lancé, qui rime avec Outreau. Pourquoi ce fiasco des experts et des autorités. Comment expliquer la nature de l’expert ? Un procès à charge le décrira comme un individu obtus, zélé, psychorigide, carriériste, réfléchissant le nez sur le guidon, opportuniste. Ceux qui connaissent le fonctionnement du CNRS ou d’autres institutions savent que les postes de cadres sont souvent occupés par des professionnels qui ont raté leur dessein, ne se sont pas signalés par des talents démesurés et ont choisi la voie administrative pour gagner du galon. On les retrouve dans les organigrammes des directions. Ce phénomène social constitue un fléau. Il se peut bien qu’on soit face à ce même schéma dans le cas de la gestion de la « pandémie grippale ». Mais observons d’autres secteurs, par exemple le climat, que l’on retrouvera les mêmes, y compris aux affaires culturelles ; des gens obtus qui imposent leurs choix et nous proposent ce pitoyable et surfait Boltanski avec son art contemporain servant son ego et ses intérêts financiers. Que ce soit au niveau des merdes d’art conceptuel, des dispositifs de la gestion verte ou de la machine sanitaire, des experts imposent aux populations leurs vues étroites et la mise en œuvre de solutions dont on peut très bien se passer.
La pandémie grippale n’aura pas été inutile. Elle aura dévoilé les travers majeurs de nos sociétés avec ses techniques et ses élites dont on peut dire qu’elles font preuve d’un autisme avéré. Des élites fermées dans leur petit univers professionnel spécialisé, inapte à comprendre comment la société fonctionne et à se mettre dans la peau d’un individu ordinaire. Même les sociologues, ces spécialistes de la société, ne sont plus aptes à la saisir. Ils sont comme les experts. Lesquels en imposant leurs solutions, font marcher le système sur la tête. Tel est l’enseignement de cette affaire grippale.
Le monde semble se déglinguer mais pas plus qu’il y a 70 ans. Le système technicien semble échapper à la gravitation humaine raisonnable et vivre son inertie activiste sous le contrôle d’experts machinistes autistes. Rien de bien grave. Juste du gaspillage. C’est bien la leçon de cette pandémie mal gérée que de démontrer que le capitalisme n’a pas, contrairement à l’avis de Roger Caillois, le monopole de la dépense inutile. Nous savons où nous sommes. Ces experts sont des humains perfectibles mais parfaits dans la gestion de leur carrière, perfectibles comme du reste les gens de la société civile. L’aventure humaine a pour destinée de réaliser des belles choses mais aussi de merder complètement dans d’autres secteurs. Les politiques décideront s’il y a lieu de remédier à ces tares du système. A moins que les citoyens ne soient tentés pour une révolution visant à débarquer ces élites responsables de la mal-gouvernance du monde. Si tel est le cas, un conseil aux citoyens, instruisez-vous, rendez-vous maîtres des savoirs, développez vos compétences sans vous fermer aux choses quotidiennes du monde, soyez des élites sans être élitistes !
Pour finir, j’aurais volontiers reproduit un extrait de l’étrange défaite de Marc Bloch, ainsi que mentionnés quelques constats émis par Joseph K, pseudonyme derrière lequel se cache un haut fonctionnaire qui témoigna de la stratégie du déclin menée par les élites françaises technocratiques et politiques. Courrez vite lire ces deux livres !
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